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tome 1, Chapitre 12 tome 1, Chapitre 12

Namtar nous raccompagna le long de l'immense escalier, qui s'avéra bien plus facile à descendre qu'à monter. Alors que je m'étonnais de la présence d'une seule Porte, il m'éclaira :

— Ma reine a créé ces passages, expliqua-t-il, et les contrôle à sa guise. Ainsi, il n'est besoin que d'un unique seuil en Irkala qui communique avec tous autres à la discrétion de la maîtresse des lieux.

— C'est terriblement pratique, fit Ella d'un air songeur. On peut ainsi se rendre dans n'importe quel autre royaume des morts et partout sur Terre, c'est bien cela ?

— Absolument, répondit Namtar, vous êtes d'une très grande perspicacité.

La jeune femme se renfrogna légèrement.

— On raconte que je tiens cela de mon père, de même que mon sens de la diplomatie.

— Alors la conversation de votre père doit être des plus passionnantes, conclu le dieu du Destin.

La montée de l'escalier fut si longue qu'elle nous parut durer des heures et quand, enfin, nous posâmes le pied sur la dernière marche, notre guide désigna le portail du doigt et nous dit :

— De l'autre côté se trouve votre ville, ma reine a veillé à ce que votre lieu de travail ne se trouve qu'à quelques minutes de marche, pensant que vous seriez sans doute fatigués après pareille ascension. Elle vous adresse ses plus chaleureuses salutations et vous souhaite bonne chance.

— Elle aurait pu le faire en bas, grommelai-je en m'approchant de la Porte, on était juste devant elle.

— Le protocole, mon ami, le protocole.

Je soupirai et m'élançai à travers le seuil... pour atterrir dans une petite rue que j'associai immédiatement à Astoria. J'étais de retour à New York, à Queens plus précisément et à seulement un pâté de maison du bureau. La nuit était très claire et, malgré les bâtiments qui me voilaient la vue, je compris que l'aube se levait.

En bras de chemise, je frissonnai dans le froid mordant du petit matin et prit la direction de notre appartement, mes compères sur les talons. Quelques personnes nous jetèrent des regards surpris, choqués ou chargés de reproches, particulièrement à Ella qui tentait tant bien que mal de se cacher derrière le Balafré, mais fort heureusement pour nous, les rues étaient bondées à cette heure-ci, si bien que nous pûmes nous mêler à une foule pressée aux yeux de laquelle nous devînmes rapidement comme les autres : présent, mais pourtant invisibles.

Ozzy et moi grelottions lorsque nous poussâmes la porte de l'immeuble, tandis que notre compagne semblait beaucoup plus à son aise. Ce n'est qu'après avoir passé des vêtements plus appropriés et ingurgité une boisson chaude que nous avons pris le temps de nous asseoir. J'en ai profité pour consigner les événements de la nuit, récit qui touche à sa fin.

Je referme les pages, il est l'heure pour nous d'avoir une discussion des plus sérieuses.

Journal de bord – 2 novembre 1950

J'écris au beau milieu de la nuit, je suppose que nous sommes le 2 novembre, mais ma montre n'ayant pas survécu à ma baignade dans l'Hudson River, je n'en suis pas tout à fait certain.

Au matin du premier, tandis que la situation revenait à la normale après la fermeture des Portes et le reflux des fantômes et autres créatures de la nuit, je tenais réunion avec mes deux comparses.

Retrouver Nergal était une chose, savoir comment nous allions nous y prendre en était une autre. Or nous n'avions pas la moindre idée de la marche à suivre, raison pour laquelle nous nous trouvions dans notre bureau, Ozzy avec son éternel cigare au bec, Ella sirotant un cognac entre deux bouffées de cigarette et moi, avec mon triste verre d'eau, à discuter de nos quelques options.

— Si je résume bien, disait Ella, nous disposons d'une année pour retrouver un dieu disparu depuis cinq ans, sinon c'est la fin du monde. Sa propre épouse, qui dispose de moyens autrement plus importants que les nôtres, l'a cherché en vain et n'a pas l'ombre d'un début de piste à nous donner, ce qui signifie que nous sommes livrés à nous-mêmes avec une fantastique épée de Damoclès prête à s'abattre.

Ozzy fit un énorme rond avec la fumée de son cigare et le laissa dériver un instant.

— On est vraiment dans de beaux draps, dit-il enfin. Il y a deux milliards et demi de personnes sur Terre, Nergal peut être n'importe qui, n'importe où et nous n'avons qu'un an pour le retrouver sans savoir ses intentions, comment le reconnaître ou quoique ce soit. Même les dieux connus sont impossibles à retrouver s'ils ne souhaitent pas l'être, alors un qui n'a pas mis un orteil hors de chez lui depuis des milliers d'années ? Autant nous asseoir et regarder le monde brûler, conclu-t-il avec amertume.

— Hey ! intervins-je, ça te ressemble pas d'être si pessimiste.

— Il faut bien admettre qu'il a raison, soupira Ella, nous ne savons pas où ni quoi chercher, nous ne sommes que trois pour fouiller la Terre entière. Et même si nous le trouvons, que faisons-nous ? C'est un dieu de la destruction je vous rappelle, je ne crois pas que nous ayons la moindre chance de le ramener pieds et poings liés.

Je lui adressai ce que j'espérais être mon plus beau sourire.

— Alors nous devrons nous en remettre à la verve que tu as hérité de ton père, dis-je.

Nous nous regardâmes tous les trois. Une idée venait de germer, une solution.

— Ella, demanda lentement Ozzy, ton père trempe bien dans tout un tas de magouilles ?

Elle acquiesça.

— Y compris avec des dieux ?

Elle grimaça.

— Je suppose, oui. Nous ne sommes pas en très bons termes et ne parlons que rarement. Disons que je désapprouve la plupart de ses activités et préfère ma quiétude à son chaos.

— Tu saurais nous mener à lui ? demanda le Balafré avec une exaltation certaine.

— Oui, mais ça ne veut pas dire pour autant que je le ferai. Mon père n'est pas homme à aider gratuitement, bien au contraire, et son prix est toujours très élevé.

— Moins qu'une planète ? tentai-je.

— Oui, concéda-t-elle, mais...

— Mais rien du tout, coupa Ozzy, on y va. C'est notre unique solution pour l'instant, il faut essayer. Où le trouve-t-on ?

Elle soupira profondément.

— A Chicago, c'est là qu'il s'est installé depuis quelques temps. Mais je vous assure que c'est une très mauvaise idée, vous voulez quand même y aller ?

— Un peu mon neveu, lançai-je joyeusement. Soit on va le voir, soit on s'assoit et on laisse Ereshkigal mettre ses menaces à exécution, alors je choisis de prendre le risque et de rencontrer ton paternel.

Elle se leva en soupirant.

— Je vais à la gare chercher des billets de train, alors. Prévenez vos femmes que ne vous rentrez pas pendant quelques jours.

Dès qu'elle fut sortie, Ozzy me regarda et prononça les mots fatidiques :

— Qui prend le téléphone ?

Lui comme moi savions ce qui nous attendait si nous parlions à nos épouses respectives : un torrent d'invectives et de menaces toutes plus atroces les unes que les autres. Fort heureusement, je disposais d'une solution à laquelle lui n'avait visiblement pas pensé :

— Je n'ai pas fait installer le téléphone chez moi. Je vais écrire une lettre à Percy dans la pièce à côté pendant que tu appelles ta femme.

Ses yeux étincelèrent et je sentis qu'il me maudissait intérieurement tandis que je prenais une feuille de papier et un stylo pour aller m'enfermer dans la chambre reconvertie en salle d'archives.

Je rédigeai une longue missive à l'attention de ma douce, dans laquelle je résumai les développements les plus récents de l'affaire et expliquai la mauvaise tournure prise par les événements. Il ne me restait plus qu'à espérer son indulgence pour les longs jours que je m'apprêtais à passer loin de ma demeure.

Lorsque je revins dans le bureau, je fus accueilli par la mine déconfite d'Ozzy.

— Ça c'est mal passé, hein ? fit-je en m'installant.

— Tu n'as pas idée, soupira-t-il. Je ne peux pas lui donner tort, cela dit, il faut être bien bête pour accepter le marché d'Ereshkigal sous sourciller et délaisser sa famille pour ça.

Je ne répondis pas, cela aurait été inutile. Si je n'avais jamais rencontré l'épouse du Balafré, je la savais femme à ne pas s'en laisser conter et elle aurait plus que probablement préféré savoir son mari à ses côtés plutôt qu'à courir le monde à la recherche du roi des morts.

Nous gardâmes le silence jusqu'au retour d'Ella.

— Nous partons cet après-midi, annonça-t-elle, le train roulera aussi de nuit, il y en a pour vingt heures de trajet. Prévoyez de quoi vous occuper, ça risque de faire long.

— Euh, Ella, dis-je en la voyant se diriger vers le bureau et sortir un revolver du tiroir, tu sais que tu peux blesser quelqu'un avec ça ?

Elle me regarda droit dans les yeux avec une expression effrayante.

— C'est le but, trancha-t-elle tel le couperet s'abattant sur la nuque du condamné.

Je déglutis. Son père était-il terrible au point de transformer la douce Ella en meurtrière en puissance ?

La matinée passa lentement tandis que nous préparions nos affaires pour le voyage et l'après-midi ne fut pas meilleure. Nous parlions peu, y compris de la rencontre avec le père d'Ella et montâmes dans le train dans une ambiance morose.

C'est d'ici que j'écris, dans le compartiment bar où j'accumule verres de whisky vides et cendriers pleins.


Texte publié par Tiphereth, 19 novembre 2015 à 16h29
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