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tome 1, Chapitre 5 tome 1, Chapitre 5

Deux paires d'yeux se braquèrent sur moi, j'exposai mes théories et ma conclusion concernant un possible spectre bien décidé à se venger de Hattaway pour une raison ou une autre.

— Peut-être une reine du bal qu'il aurait repoussée ? glissa Ella.

— Ça serait romantique, me moquai-je, mais c'est un peu trop évident, non ?

Elle haussa les épaules, visiblement vexée.

— C'est toi qui nous rabats les oreilles avec ton rasoir d'Ockham, comme quoi la meilleure hypothèse est la plus simple.

— Touché, concédai-je. Du coup, on se répartit ça comment ?

— Je m'occupe d'interroger Hattaway, fit aussitôt Ella, je pense qu'il me parlera plus facilement à qu'à des fous furieux comme vous.

— Je me demande quand même pourquoi on l'a pas fait quand on l'avait sous la main, grommela Ozzy.

— Parce qu'on est complètement con, dis-je en riant. Ou, plus sérieusement, parce qu'on était convaincu que les flics et Zed auraient largement de quoi nous mettre sur la voie, comme d'habitude.

— Sans doute, ouais. Bon, si Ella s'occupe d'interroger Hattaway, il faudrait voir si on n'a pas un moyen de retrouver son corps et enquêter sur une possible reine dans son entourage, par exemple à l'université où il allait, quelque chose comme ça. Nessie, tu préfères quoi ?

Mon frère travaille dans la marine, mais nos relations ne sont pas à proprement parler excellentes. A dire vrai, je ne m'entends pas spécialement bien avec ma famille ; ce n'est pas que nous ne nous supportons pas, c'est simplement que moins je les vois et mieux je me

porte.

— A choisir, je préfère m'occuper de la reine. Tu as une piste pour retrouver le corps ?

Il sourit.

— T'es pas le seul à avoir des relations, mais contrairement à toi je soigne les miennes.

Je me sentis quelque peu soulagé de ne pas avoir à demander un service à mon frère et plein de reconnaissance pour le Balafré qui connaissait la situation et tentait de m'y soustraire.

— Parfait alors, il n'y a plus qu'à se mettre au travail.

Je risquais un bref coup d’œil à l'horloge murale : une heure du matin, mieux valait se presser. Je passais un rapide appel chez Orson Hattaway, que j'eus la surprise de trouver éveillé, afin de savoir à quelle université son neveu était inscrit.

University and Bellevue Hospital Medical College, située le long de la 1ère Avenue.

Un brillant étudiant en médecine, voilà qui n'était pas pour me surprendre. En revanche, le campus se trouvait une bonne heure et demie de marche, peut-être moins en forçant le pas, et le trajet me ferait traverser plusieurs zones considérées comme dangereuses une nuit de Halloween. Je fis un rapide calcul : en supposant qu'il ne m'arrive rien de fâcheux en chemin, je serai de retour au bureau aux alentours de quatre heures et demie du matin, peut-être sans la moindre information intéressante. Autant dire qu'il y avait peu de chances de boucler l'affaire cette nuit.

A tout hasard, je tentai d'appeler là-bas, mais personne ne répondit. Le contraire eut été surprenant à une heure pareille. Je me résignai donc à m'y rendre par mes propres moyens et enfilait mon imperméable.

Le temps d'arriver aux imposants bâtiments de l'University, je me trouvai frigorifié. Les hôpitaux intégrés au campus étaient toujours ouverts, les urgences débordaient de blessés, fêtards avinés renversés par des conducteurs ivres, rixes dégénérant parfois en meurtres, créatures des ténèbres en maraude... Cette nuit était la pire de l'année et les établissements surchargés se transformaient en mouroirs.

Je passai rapidement mon chemin pour me diriger vers l'université à proprement parler. S'il n'y avait absolument aucune chance pour que je mette la main sur un professeur ou qui que ce soit dépositaire d'une quelconque autorité, il ne faisait en revanche aucun doute que des dizaines d'étudiants devaient jouer à se faire peur dans les couloirs et que cette horde constituait ma meilleure chance d'obtenir des réponses avant l'aube.

Je n'eus pas à chercher longtemps pour les localiser, il suffisait de suivre les cris joyeux et le chemin de citrouilles qui illuminait les vitres. Je les trouvais dans un grand amphithéâtre, une vingtaine de jeunes gens déguisés maladroitement, qui s'envoyaient toutes sortes d'objets à la figure et donneraient probablement un travail fou à la femme de ménage le lendemain matin, surtout lorsque l'on songeait au nombre de mégots qui jonchaient le sol. Leur insouciance me laissait rêveur en une nuit où les deux tiers des gens fermaient leur porte à double tour, clouaient des planches à leurs vitres et grelottaient au fond de leur lit, priant pour qu'aucune horreur venue tout droit des Enfers ne se décide à leur régler leur compte.

Finalement, une fille s'aperçut de ma présence et poussa un hurlement strident. Je ne prétends pas être bel homme, Percy me répète d'ailleurs bien assez que ce n'est pas mon physique qui l'a séduite, mais ce cri me vexa profondément, je ne suis tout de même pas si repoussant que ça, je ne suis pas Ozzy ou le vieux Zed.

L'ambiance festive retomba aussitôt et une quarantaine d'yeux se braquèrent vers moi. Je levai les mains en signe de paix, mais tous les visages affichaient une méfiance évidente, du moins quand ils n'étaient pas cachés derrière un masque. Un garçon s'avança vers moi, je déduisis de sa carrure une appartenance probable à l'équipe de football de l'université et du regard de certaines filles qu'il avait du succès. Tout mon contraire en somme.

Lorsqu'il arriva à mon niveau, je ne pus que constater qu'il me dépassait d'une bonne tête et aurait pu me broyer le crâne entre ses mains, détail beaucoup moins effrayant lorsque l'on a connu l'étreinte d'un certain revenant chinois.

— Vous êtes qui ? me lança-t-il en plantant son regard dans le mien.

Je sortis ma carte et la lui tendit.

— Je suis détective privé, expliquai-je au cas où ses neurones auraient élu domicile dans ses muscles. J'aurais des questions à vous poser sur certains étudiants, notamment sur Harry Hattaway.

Le grand gaillard me regarda d'un air suspicieux tandis que des murmures s'élevaient dans son dos et me firent comprendre que certains connaissaient mon fantôme, au moins de nom. Il lu plusieurs fois la carte de visite et sembla décider de m'accorder le bénéfice du doute.

— Jackson Dewitt, dit-il en me tendant une main massive que je serai vigoureusement. Que peut-on pour vous, monsieur Dess ?

— Pas de chichi entre nous, répondis-je, appelle-moi Nessie.

— On va s'asseoir ? proposai-je. Ça peut prendre un moment en fonction de vos réponses.

Il hocha la tête et m'accompagna à une table. Un petit groupe se forma autour de nous, mais certains étudiants prétendirent que je n'avais rien à faire là et qu'ils allaient terminer la fête ailleurs. Peu m'importait à vrai dire, je me doutais que leur présence ne m'apporterait rien, sinon rendre mon travail plus pénible ; et il serait toujours temps de les retrouver plus tard si le besoin se présentait.

— Bon, commençai-je, vous connaissez Harry Hattaway ?

— Le gars qui a disparu l'an dernier ? demanda Dewitt. Ouais, j'en ai entendu parler, on raconte qu'il est mort.

— Les gens manquent d'imagination, dis-je avec un faux rire, il aurait pu s'envoler pour l'Europe avec une jolie fille ou s'engager pour combattre les rouges, alors pourquoi penser qu'il est mort ?

Le sportif haussa les épaules et s'alluma une cigarette. Je l'imitai.

— J'en sais rien, je ne le connaissais pas personnellement, il a trois ans de plus que moi. Mais les autres disent que c'était pas le genre à avoir une petite amie ou à partir faire la guerre, ça c'est sur.

La personnalité du bonhomme se dessinait petit à petit et elle ne risquait pas de me surprendre. Il appartenait à ces gens amoureux d'eux-mêmes, qui s'écoutent parler et s'acharnent à être le centre de l'attention quand bien même ils n'auraient rien à dire. En somme, tout ce que j'aime chez autrui.

— Je vais jouer franc-jeu, dis-je en me penchant en avant pour souligner l'effet dramatique, Harry est mort lors de la dernière ouverture de la Porte.

Pour les plus âgés, qui le côtoyaient vraisemblablement à peine un an plus tôt, le choc fut réel, j'en vis deux s'éloigner pour pleurer.

— Son oncle m'a engagé pour retrouver son assassin, et un de mes indices concerne les derniers mots du tueur, qui aurait mentionné une reine.

— Attendez, m'interrompit une fille avec un air visiblement soupçonneux sur le visage, comment savez-vous ça ?

Je la regardai dans les yeux, de beaux yeux verts encadrés par une jolie frimousse et des cheveux roux. Une irlandaise a priori.

— Nous sommes dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, répondis-je en prenant soin d'articuler chaque syllabe, d'où puis-je tenir une telle information ? Du fantôme de Harry Hattaway, évidemment.

Elle cacha sa surprise en plaçant une main fine et délicate devant sa bouche, imitée en cela par plusieurs autres étudiants dans l'assistance.

— Maintenant que ce petit point est éclairci, se trouve-t-il dans l'assemblée une aimable personne pour me renseigner ? Les autres ne m'intéressent pas et peuvent retourner s'amuser, y compris toi Jackson.

Le grand blond me foudroya du regard et se redressa, menaçant. Les rires qui avaient suivi mon intervention se changèrent en silence de mort, je sentis mes lèvres s'étirer malgré moi. Nos regards restèrent rivés l'un à l'autre de longues secondes, tous retenaient leur souffle, certains espéraient une bagarre, d'autres priaient pour que l'on en reste là. Je n'aime pas spécialement me battre, mais je ne comptais certainement pas m'en laisser conter par un gosse et continuai de le fixer tranquillement.

Finalement, Dewitt décida que je gagnais cette manche et brisa le cercle qui s'était formé pour quitter l’amphithéâtre à grands pas, suivi par quelques acolytes. Je n'en tirai toutefois aucune satisfaction, ce n'est pas mon genre, je laisse ces puérilités aux hommes comme Jackson ou tant d'autres, toujours pressés de se montrer en mâles alpha et de se réjouir de l'humiliation qu'ils peuvent infliger à ceux qu'ils écrasent. Comme mon frère cadet en somme, raison de plus pour ne pas apprécier pareil comportement.


Texte publié par Tiphereth, 19 octobre 2015 à 19h46
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