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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

— Eric Rood est mort.

Voilà donc la raison pour laquelle je connaissais ce nom, son décès m'avait probablement interpellé.

— Il s'est pendu le 2 novembre 48 dans sa chambre, après avoir laissé une lettre. Il y racontait le meurtre de Hattaway, ainsi que la suite. Tenez-vous bien, ce n'est vraiment pas banal. Et toi Nessie, pose ce verre, j'ai besoin de toute ton attention.

— Compte là-dessus, répondis-je en avalant une gorgée.

Mais il faut reconnaître qu'Ella n'a pas tort, Percy me le fait remarquer aussi : je commence à avoir un problème avec l'alcool. C'est une chose étrange à réaliser, encore plus à coucher sur le papier, mais la boisson est passée du stade de petit plaisir mortel à celui de besoin. Je me rassure en me disant que ça pourrait être pire, je ne suis pas accro à l'héroïne ou à une autre saloperie du genre.

De son côté, Ella poussa un soupir résigné avant de poursuivre :

— Donc, le tueur a ensuite menacé Rood avec son couteau, lui a ordonné de transporter le cadavre de son ami et de le jeter dans le fleuve. Il lui a promis de lui laisser la vie sauve s'il le faisait, et visiblement il tient parole.

— Donc, il a trimbalé son pote jusqu'au fleuve pour sauver sa peau, mais il se suicide deux jours plus tard ? commenta Ozzy. Drôle de façon de s'en tirer.

Ella haussa les épaules et continua son récit en ignorant l'interruption :

— La police s'est intéressée à la lettre en lien avec la disparition de Harry, mais je pense qu'Ozzy en sait plus que moi sur la question.

Hochement de tête de l'intéressé.

— C'est tout ce qu'il y avait à apprendre de Rood, ou plutôt de sa famille. Dans le doute, je suis allée voir Pleavin, il s'est installé avec la jolie italienne au bras de laquelle il était parti cette nuit-là. Il était effondré d'apprendre le décès de Hattaway, comme son oncle il espérait encore le voir revenir vivant malgré la lettre d'Eric. Nessie ?

Je racontai rapidement mon entretien avec le vieux Zed ainsi que mes propres conclusions. Puis vint le tour d'Ozzy de narrer ses découvertes :

— Avec la lettre de Rood, les flics ont dragué le fleuve et la baie. Ils ont trouvé quelques cadavres, mais pas celui de Hattaway, ni aucun qui corresponde au mode opératoire. Cela dit, vu qu'ils s'y sont pris quatre jours après, on peut supposer que le corps du gamin se balade quelque part en mer. Par contre, il y a un truc intéressant : la même nuit, une femme a déclaré à la police avoir vu un type se faire poignarder sous le menton alors qu'il venait aider un clochard. D'après elle, ça se serait passé sur Jennings Street en fin de soirée.

Je haussai un sourcil.

— En plein Bronx ?

Mais à bien y réfléchir, c'était parfaitement logique. La plupart des gens restent calfeutrés chez eux le 31 octobre, mais certains quartiers connaissent au contraire une véritable fête qui dure toute la nuit et attire énormément de personnes, confiantes dans leur nombre et la diminution de la population de créatures hostiles pour se protéger. La majorité l'ignore, mais les seigneurs des Enfers, incapables d'empêcher l'ouverture de la Porte, ont mis en place un système de filtrage qui empêche les âmes trop dangereuses de sortir. Bien entendu, il y a des failles et parfois un psychopathe, un strigoï ou quelque chose d'encore plus dangereux se retrouve en liberté ; c'est alors à mes collègues et moi de faire le ménage.

Parmi les quartiers festifs, le Bronx est sans aucun doute le plus fréquenté et des milliers de personnes s'y retrouvent chaque année pour célébrer les morts. Si Manhattan ressemble à une ville fantôme durant cette nuit, le Bronx, tout comme Queens d'ailleurs, est illuminé, décoré de citrouilles et autres masques représentant monstres et créatures de la nuit, on y danse et chante, les défunts se mêlent aux vivants.

Un tueur en quête de victimes aurait donc tout intérêt à parcourir le Bronx, en marge des feux de joie et autres réjouissances, prêt à frapper. A condition, bien sûr, d'échapper aux sentinelles qui s'assurent qu'aucun prédateur ne vienne perturber la fête ou mettre en danger les gens passablement ivres qui pourraient s'avérer des proies faciles.

— En plein Bronx, répéta Ozzy, un choix assez logique. La police a mené une petite enquête, mais en l'absence de corps elle n'a pas insisté longtemps. Et la liste des portés disparus est longue comme le bras, autant dire que nous n'avons aucune chance de retrouver la victime.

— Ça sent mauvais, dit Ella. Très mauvais. Et non, Nessie, je ne parle pas de ton haleine.

— C'est quoi le problème avec mon haleine ? rétorquai-je.

— Aucun, tant que tu la fermes.

Son sourire signifiait qu'elle plaisantait, mais je n'aimais pas son ton. J'allais répliquer quand Ozzy coupa court.

— Suffit vous deux, on n'a pas le temps pour ça.

Je haussai les épaules, feignant de m'en moquer. Il poursuivit :

— On a au minimum deux morts, peut-être davantage. L'un est Harry Hattaway, l'autre un parfait inconnu. Nous savons que le tueur guette ses victimes en marge des festivités, mais je ne comprends pas pourquoi il tue une fois à Brooklyn et une autre au Bronx.

Je toussotai.

— Il y a bien une explication, mais elle n'est pas terrible, hasardai-je.

Ella soupira.

— Je m'attends au pire, mais dis toujours.

— En fait, je vois deux possibilités. Soit il a été surpris sur l'un des meurtres et a choisi de s'éloigner autant que possible.

— Soit ils sont plusieurs, acheva Ozzy.

— Exactement, triomphai-je.

— En gros, conclu Ella, soit nous avons affaire à un psychopathe qui entend des voix, mais dispose d'assez d'intellect pour mettre les voiles quand il est découvert, soit nous sommes bel et bien confronté à une reine qui récupère des âmes. J'ai bon ?

Le Balafré hocha la tête tandis que j'exhibais un sourire victorieux. Ma collègue soupira.

— Une chose est certaine, dit-elle d'un air sinistre, c'est que nous ne sommes pas couchés...

Pour une fois, je ne pouvais que l'approuver. Le tour que prenait cette affaire me déplaisait fortement, l'enquête risquait de se montrer longue, compliquée et potentiellement très dangereuse s'il s'agissait d'un groupe parfaitement organisé et capable de frapper là où il le souhaitait.

Enfin, je me décidai à poser la question restée en suspens :

— Et maintenant, on fait quoi ?

Ozzy regarda sa montre et fit la moue.

— Minuit et demie passée, les meurtres ont un an... Ça m'étonnerait qu'on avance encore, on pourrait attendre que le téléphone sonne, prendre une nouvelle affaire et empocher la somme malgré tout.

— C'est pas vraiment l'idée que je me fais de notre travail ou de la justice, rétorquai-je.

Il eut un petit rire gêné.

— Moi non plus, mais j'essaye d'être réaliste : on sait plein de choses, mais en fin de compte on n'a pas l'ombre d'un début de piste. On pourrait passer la nuit dehors à chercher, mais comme on ne sait pas ce qu'on doit trouver, ça serait une pure perte de temps.

— Je ne te savais pas si défaitiste, commenta Ella d'un ton acerbe.

Il rit encore.

— Moi non plus, c'est juste que je ne vois pas à quoi tout ça nous mène. Harry Hattaway et un inconnu ont été assassinés la même nuit, selon le même mode opératoire, mais sans cadavre et avec un témoin oculaire plus vague qu'un océan, on n'a aucune piste à remonter, c'est terriblement frustrant.

Ella haussa les épaules.

— Pour commencer, ta blague était minable.

— Merci, répondit-il avec un petit sourire.

— De rien. Ensuite, ce n'est parce que nous ne savons pas ce que nous cherchons que nous ne devons pas essayer. Ça ne coûte rien de relire nos notes, de réfléchir, d'essayer de voir ce que nous aurions pu rater. Et toi Nessie, si tu te ressers encore un verre après celui-là, je te jure que je te l'encastre dans la figure !

Je manquai de m'étrangler, mais ne relevai pas, cela n'aurait servi à rien sinon à jeter de l'huile sur un feu déjà ardent. Comme je l'écrivais plus haut, Ella est généralement une incarnation de la douceur, mais il lui arrive d'être de très, très méchante humeur et d'envoyer des piques tous azimuts, comme cette nuit-là, par exemple. Au fond, c'est une brave fille et je ne lui en veux pas, mais à force de toujours tirer sur la corde, elle devient usante et un jour viendra où je craquerai...

— On peut toujours faire ça, soupira Ozzy, mais je ne sais pas si ça nous avancera...

— Perdu pour perdu, autant tenir parole et faire tout notre possible, tu ne crois pas ?

Le colosse retrouva de sa superbe.

— Ouais, t'as raison gamine, j'ai fait une promesse, faut bien la tenir hein ?

— Désolé de gâcher vos réjouissances, intervins-je, mais on n'a quand même pas de piste.

Ella me foudroya du regard, le Balafré acquiesça silencieusement. Quelques minutes s'écoulèrent, chacun restant plongé dans des pensées que je devinais sombres. Pour ma part, je m'efforçais de séparer les différentes possibilités, de les trier par ordre de vraisemblance, de simplicité ou encore d'indices pointant vers elles.

Tout d'abord, nous avions l'hypothèse du déséquilibré, la plus simple, évidente, peut-être même trop, raison pour laquelle je l'écartais naturellement. Un fou pouvait mettre en place tout un plan destiné à attirer sa victime, mais forcer le témoin à jeter le corps dans le fleuve et changer ensuite de quartier ? Je n'y croyais pas vraiment.

Possibilité suivante : qu'une reine, quoi que ce titre puisse désigner, ait engagé quelqu'un pour commettre ces deux crimes à sa place. Plusieurs questions se posaient alors : pourquoi ces deux-là ? Qui était la reine ? Qui était le meurtrier ? Pour cette dernière, une début de réponse pouvait se profiler dans les mots entendus par Harry Hattaway juste avant de mourir, un simple tueur à gage se serait contenté d'abattre sa cible, il n'aurait pas mentionné le commanditaire, ce devait donc être un serviteur, probablement fanatisé.

Dernière supposition : il n'y avait pas un assassin, mais au moins deux. La reine se trouvait alors propulsée à la tête d'un groupe de tueurs, peut-être une véritable organisation, ce qui expliquait son titre par autre chose qu'un accès de mégalomanie. Si cette possibilité s'avérait la plus alléchante pour un enquêteur comme moi, elle constituait aussi la plus dangereuse et la plus difficile à démêler. Allez savoir jusqu'où ses tentacules pouvaient s'étendre ?

Dans tous les cas de figure, une question cruciale demandait réponse : pourquoi ce jour-là ? Existait-il un lien avec les Enfers ? Si oui, le tueur revenait-il de la tombe ou la reine était-elle une défunte revenant exercer sa vengeance ?

En général, mon métier consiste en deux choses : exterminer des créatures de la nuit un peu trop violentes ou apporter le repos à des spectres en découvrant ce qu'il leur est arrivé. Pourquoi ne pas revenir aux fondamentaux et mener une petite enquête sur la personne de Harry Hattaway ?

— Les enfants, dis-je, je crois que j'ai une idée.


Texte publié par Tiphereth, 13 septembre 2015 à 14h48
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