«

»

- Il est ici!

Suivi à quelque distance par le lieutenant Wuornos, Peter s'était engouffré dans l'un des bâtiments tout proches, l'ébauche d'une spacieuse maison qui se résumait encore plus ou moins à son ossature externe, mais dont les fondations étaient déjà suffisamment avancées pour comporter un couloir et plusieurs petites pièces en guise de caves.

C'était alors qu'il parcourait ce couloir qu'une silhouette avait soudain détalé devant lui comme un lapin. Peter n’eût guère le temps de détailler l’individu, mais il aperçut dans sa main l’ustensile indispensable à la survie d’un Shapeshifter. Cet étrange cordon terminé par une prise à trois têtes à ses deux extrémités, technologie d’apparence si simple qui lui permettait pourtant de voler une vie, d’usurper une identité,...jusqu’à ce que sa mission ou son état nécessite de changer de visage à nouveau. Peter fut tenté de poursuivre le fuyard, cependant il y avait forcément plus urgent à faire. Car le fait que le Shapeshifter se soit enfui son appareil à la main pouvait signifier qu’il avait dû s'interrompre en pleine procédure de métamorphose.

Peter se contenta donc de lancer l’alerte en criant le plus fort qu’il pût. Les autres ne pouvaient pas être bien loin, ce dont il eût rapidement confirmation lorsque bientôt les voix du lieutenant Wuornos puis d’Olivia se firent entendre. Peter s’engagea dans l’ébauche de cave d’où l'ennemi avait émergé, et comme il le redoutait, y découvrit une silhouette inanimée sur le sol, auprès de laquelle il se précipita. Duke portait des ecchymoses à la gorge, un filet de sang au coin de la lèvre, preuve sans doute d’un arrachage précipité de la prise enfoncée dans son palais, une trace de piqure et une seringue abandonnée à proximité... Et il ne montrait aucun signe de vie.

Dans le couloir, des bruits de pas rapides retentirent, le lieutenant Wuornos s’encadra dans l’embrasure de l'entrée encore dépourvue de porte.

-L’agent Dunham a eu ce salopard, dit-il, un peu essouflé. Il court encore mais il n’ira pas bien loin. Olivia et Audrey sont à ses trousses.

Puis son regard tomba sur Duke.

-Il est…? , interrogea-t-il d’une voix neutre bien que mal assurée en voyant Peter prendre le pouls de celui-ci.

Clairement, le lieutenant n'était pas du genre à laisser ses émotions ressortir. Un peu comme Olivia. Il n’y avait pas si longtemps de cela, le partenaire de celle-ci au FBI, l’agent Charlie Francis, avait connu le sort affreux d’être tué et copié par un Shapeshifter. Olivia avait même travaillé avec ce double durant plusieurs semaines sans s'en rendre compte, et Peter la connaissait suffisamment pour avoir deviné à quel point elle avait été secouée par tout cela, malgré qu'elle le cache derrière son professionnalisme de toujours. De fait, Peter ne souhaitait à personne de mourir ou de perdre un ami de cette façon. Même si dans le cas présent, le mot « ami » semblait s’appliquer de façon très imparfaite à la relation du lieutenant Wuornos et de son consultant.

-Pas de pouls, dit-il en agitant la tête.

Mais il n’était peut-être pas trop tard. Le lieutenant vint s'agenouiller aux côtés de Duke. Si son premier mouvement fut de lui administrer une paire de gifles en espérant quelque peu naïvement que cela le réveillerait, il se mit néanmoins rapidement à une méthode plus classique, s’employant à un massage cardiaque vigoureux qui n’eût malheureusement pas l’air de donner grand chose.

-Tu ne vas pas t'en tirer comme ça, marmonna-t-il. Je t’ai déjà dit que si quelqu’un doit te tuer un jour, ce sera moi.

Peter jeta un œil aux alentours. Si Walter était là, il pondrait probablement en un temps record une demi-douzaine d’idées différentes pour ramener la victime à la vie. Pas forcément toutes pratiquables, ceci dit. Peter se souvenait distinctement d’une situation analogue à celle-ci, et de Walter lui demandant comme si c’était la chose la plus naturelle du monde s’il avait de la cocaïne sous la main…La réponse à cette question étant non, au grand étonnement de Walter, il s’était alors rabattu - à regrets - sur l’idée d’une défibrillation cardiaque improvisée. Cela pouvait marcher dans le cas présent, à condition de trouver de quoi fabriquer un défibrillateur maison. Du bricolage façon Bishop, en somme.

On dit que le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre, et cela même quand le fruit en question souhaiterait ne rien avoir à faire avec ses origines. Walter, avant son internement, était un homme qui ne semblait vivre que pour la science et écrasait son entourage de son caractère entier et limite tyrannique. C'était à cela que Peter imputait d'ailleurs le décès prématuré de sa mère. Et si elle n’était pour autant ni idiote ni faible, loin de là, Peter savait malgré tout pertinemment bien que c'était de son père qu’il tenait ses 190 points de quotient intellectuel et sa capacité de réaction réfléchie en situation d’urgence. Les outils dont il disposait sur ce chantier n’étaient certainement pas destiné à sauver une vie, mais avec un peu d’imagination, ils le feraient.

En quelques instants, il s'appropria rouleaux de fils électriques, ruban adhésif et autres ustensiles, relia des palettes de fortune fabriquées à base de disques de ponçage à une source de courant et les appliqua sur le torse de Duke. Il fit signe à Nathan de reculer, tourna le bouton de l’engin dont il avait dévié l'alimentation. Un tressaillement parcourut le corps inanimé . Peter posa un doigt sur sa gorge, agita la tête et Nathan reprit le massage cardiaque. Peter se prépara à une nouvelle tentative avec l'appareil, alors que, à contrecoeur, le secouriste improvisé se penchait pour insuffler de l’air dans les poumons de son ami.

Mais soudain Duke remua légèrement, battit des paupières avec une grimace de douleur et d’étonnement, voire de dégoût , puis articula péniblement:

-Hé, qu’est-ce que tu fabriques ?

Nathan poussa un long soupir où l'exaspération le disputait au soulagement.

-Je te sauve la vie, espèce d’idiot.

Duke se hissa sur les coudes.

-Qu’est-ce que c’était que ce truc, marmonna-t-il.

Peter supposa que c’était de son agresseur qu’il parlait, et pas de l'improbable défibrillateur improvisé posé maintenant à côté de lui.

-Ce qui vous a attaqué? C’était un polymorphe.

Duke fronça les sourcils et tenta de se mettre debout mais dut y renoncer. Le lieutenant Wuornos l'aida à se placer au moins en position assise.

-Un caméléon, vous voulez dire? Non, ce type n’était pas un infecté du tout, j’ai essayé de...

-Non, l’interrompit Nathan en adoptant le ton plutôt fier de celui qui a bien retenu sa leçon, pas un infecté caméléon comme on en a déjà connu à Haven. Un Shapeshifter, une espèce d’hybride humain-robot qui prend la forme d’autres personnes. Et il vient d’un autre univers.

-Bon, je vois que le Dr Bishop n’a pas pu résister à t’ouvrir le cerveau, et il n’a pas tout remis correctement en place avant de refermer, commenta Duke d'un ton sceptique.

Peter s’apprêtait à confirmer les dires du lieutenant, lorsque le téléphone de celui-ci sonna, presque à l’unisson avec celui de Peter lui-même d’ailleurs. Ils se regardèrent un instant, étonnés. Il n’y avait pourtant pas de réseau par ici. Le portable de Peter affichait le nom d’Olivia.

-On l’a eu, fit la voix de la jeune femme dès qu'il décrocha. Il n'était pas totalement transformé mais il ressemblait déjà suffisamment à Mr Crocker pour que l’agent Parker soit un peu retournée de lui avoir tiré dessus. Et il avait un brouilleur avec lui, que je viens de désactiver. Vous l'avez retrouvé, au fait, Mr Crocker? Comment va-t-il ?

A côté de Peter, Nathan était, lui, visiblement en conversation avec sa co-équipière et ils se racontaient clairement la même chose.

-Il nous a fait quelques frayeurs mais il devrait s’en remettre, était d'ailleurs en train de dire Nathan tout en jetant une œillade en coin à Duke.

-Non, je ne m’en remettrai jamais, protesta Duke d’une voix forte. Nathan a profité de la situation pour me faire du bouche-à-bouche!

L'interessé roula des yeux exaspérés et Peter ne put s'empêcher de sourire

-Il est vivant, un peu sonné mais égal à lui-même, confirma-t-il à Olivia.

-Bien. On vous rejoint dans une minute.

Peter raccrocha. Duke essayait encore une fois de se mettre debout. Il y parvint mais dût très vite s'appuyer à un établi tout proche.

-Ne forcez pas, lui dit Peter. Ce que le Shapeshifter vous a injecté fait peut-être encore effet, et on ne peut pas être sûr non plus que cela fasse bon ménage avec ce que Walter et moi vous avions fait avaler tout à l'heure.

- Ce truc copie les gens mais pas leurs infections, dit Duke pour lui-même, semblant seulement réaliser tout ce qui s'était produit. Et il voulait vraiment voler mon apparence ?

-Pour se rapprocher d'Archer grâce à l'enquête que vous menez, ou parce qu'il était blessé, sans doute, expliqua Peter.

-Il devait être désespéré pour en arriver à te choisir, toi, ironisa Nathan.

Duke avait encore du mal à tenir sur ses deux jambes, par contre, il s'arrangea pour décocher un coup de pied au lieutenant, qui ne le remarqua que par le bruit qui s'ensuivit.

-Juste pour vérifier que c'est bien toi, dit innocemment Duke. Quoique je doute que même un robot puisse imiter ton air coincé. Au fait, ajouta-t-il après quelques secondes, il n'y a pas d'autres de ces saloperies dans le coin, si ?

-Walter a dit que ce Shapeshifter peut avoir un soutien logistique de certains de ses petits camarades, répondit Nathan.

-Exact, fit la voix d'Olivia, qui entrait dans la pièce.

Ils se tournèrent tous vers elle dans un bel ensemble. Elle agita son portable, la mine sévère.

-Je viens d'avoir Astrid au téléphone. Elle a analysé des images satellite des dernières heures couvrant cette zone. Elle pense avoir repéré où Archer se cache, c'est tout près d'ici.

-Mais ? , demanda Peter qui sentait bien au ton de sa voix que toutes les nouvelles n'étaient pas bonnes.

-Mais le soutien logistique de notre Shapeshifter semble s'être mué en renfort de terrain. D'après Astrid, on va avoir de la compagnie dans pas longtemps.