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tome 1, Chapitre 9 « Duke » tome 1, Chapitre 9

-La Garde avait envoyé deux hommes à Boston pour récupérer Archer. Le blessé que Duke et l’agent Dunham ont trouvé ce matin, qui s’appelle Clarke et l’autre est un dénommé Jeffrey Foreman. Mon contact m’a fourni ses coordonnées, je vais voir si je peux le joindre.

Nathan en était là de ses explications quand la voix de Walter se fit entendre en arrière-plan, tenant des propos indistincts mais qui semblaient bien encourager le lieutenant à revenir se soumettre à l'un ou l'autre test de son invention. N'ayant plus rien à apprendre à ses correspondants, le « cobaye » termina donc la communication.

Quelque part, savoir son vieil ami entre les mains du docteur Bishop réconfortait Duke, qui était d'assez mauvais poil depuis qu'ils avaient quitté le labo. Non pas qu'il s'imagine que Walter puisse réellement trouver l'origine des infections, et encore moins qu'il puisse les guérir. Mais on ne sait jamais, s'il trifouillait le cerveau de Nathan et par hasard activait la zone qui donne le sens de l'humour, ce serait déjà un avantage... En supposant qu'il en ait bien une, naturellement. Hypothèse discutable.

Peter, qui avait pris le volant d’emblée (encore une autre raison pour Duke de râler), se tourna vers son passager.

-Ce Foreman, vous le connaissez ? , l’interrogea-t-il.

-Moins je connais de membres de La Garde, mieux je me porte, maugréa Duke. Mais son nom me dit quelque chose, je crois que je vois qui c’est.

-Il y a un truc qui m’échappe. S’ils viennent en aide aux infectés , qu’est-ce que vous avez contre ces gens ? C’est au point que même sous hypnose, on a eu du mal à vous faire parler d’eux.

On pourrait remonter aussi loin qu'on veut dans l'histoire de Haven, on trouverait à chaque génération des Crocker à couteaux tirés avec la Garde. C'était aussi immuable que le cycle infernal de phénomènes qui rythmait l'existence de la ville. Et dans le cas de Duke, cette inimitié prenait une tournure encore plus radicale: une infectée dotée d'un don de voyance très spécifique lui avait en effet affirmé qu'il mourrait assassiné par un homme qui porterait le fameux tatouage qu'arboraient les membres de l'organisation. Duke n'était qu'à moitié étonné de ne pas avoir été bavard là-dessus malgré les manigances de Walter.

-Ca doit être parce que je n'aime vraiment pas en parler quand je suis dans mon état normal non plus, répondit-il donc avec humeur. C’est une affaire de famille. Point-barre. Si ça tracasse votre père de ne pas m’avoir arraché tous mes petits secrets, tant pis pour lui.

-Très bien, je n’en parle plus. Je comprends que vous soyez vexé des méthodes qu’on a utilisées sur vous. Et pour votre gouverne, l’idée venait de moi, pas de Walter.

Duke lui jeta un regard en coin.

-Etonnant que vous preniez sa défense.

-Pourquoi ?, demanda Peter d'un air intrigué , ce qui déclencha un soupir sarcastique de son passager.

-Vous appelez votre père par son prénom. Ca ne dénote pas une ambiance familiale au beau fixe.

-Bien vu. Disons que Walter est un génie, du genre qui avait tendance à rendre la vie de son entourage difficile, quand j'étais gamin. Et encore aujourd'hui, mais d'une toute autre manière.

Et comme si la transition était évidente, il demanda ensuite:

-C'est de votre père que vous tenez votre pouvoir n'est-ce-pas ? Il vous avait préparé à cela ?

-Il est mort depuis longtemps. Et il ne m'avait rien dit sur notre... particularité. Il avait seulement laissé une espèce de boite. Bien cachée. Avec toutes sortes de trucs dedans, dont un journal relatant l'histoire de la famille. J'imagine qu'il comptait sur mon astuce et ma curiosité pour que je la trouve le moment venu, ajouta-t-il d'un ton amer.

-Walter a caché un tas de boites, lui aussi, il y a près de vingt ans, dit Peter avec un haussement de sourcils amusé. Ca a été une vraie chasse au trésor de remettre la main dessus. Et il ne sait même plus pourquoi il avait dissimulé tout çà à l'époque. Des cartons remplis de vieux disques, des dossiers en pagaille. Même une main conservée dans du formol et croyez-le ou pas, un appareil destiné à boucher des trous entre les univers.

-Ca, c'est un truc que tout le monde devrait avoir chez soi, dit Duke à qui cette réflexion de Peter avait arraché un sourire.

Peter allait répondre sur le même ton badin, mais, tout en discutant, il regardait aux alentours et sembla soudain remarquer quelque chose.

Leur plan d'origine, à savoir de reparcourir la liste d'adresses du vieil agenda de Archer, avait changé assez rapidement. Tout d'abord parce qu'à la réflexion, la quatuor nouvellement formé s'était dit que le jeune homme devait penser que son poursuivant connaissait ses points de chute probables et qu'il ne prendrait plus le risque de rejoindre un endroit connu. Raisonnement qui avait été confirmé quand il s'était avéré que le portable du fuyard avait émis pour la dernière fois environ trente minutes plus tôt, à quatre kilomètre à peine à vol d'oiseau du point de sortie du vortex qu'il avait ouvert quelques heures auparavant. Archer ne savait sans doute plus où aller et avait dû trouver temporairement refuge quelque part dans ces environs. C'était donc dans cette zone qu'ils avaient finalement organisé leurs recherches.

Duke et Peter étaient entrés depuis quelques minutes dans un lotissement en construction, à l'écart de la ville. Au vu des pancartes faisant la publicité de ce qui se dresserait là bientôt, c'était le genre de complexe qui accueillerait des familles souhaitant vivre dans un lieu confortable et sécurisé. Et en attendant d'apporter cette sécurité aux futurs propriétaires, l'endroit pouvait certainement fournir quelques cachettes à un homme qui fuyait un danger. D'autant qu'à cette heure, les travaux étaient à l'arrêt.

-Il y a un véhicule garé derrière ce talus, là-bas, dit Peter. C'est bizarre.

Duke regarda dans cette direction et l'aperçut lui aussi, ainsi qu'une silhouette qui contournait une bâtisse à proximité.

-J'ai l'impression de connaître ce type, fit-il à voix basse.

-Vous avez vu quelqu'un ?, demanda Peter en se penchant pour avoir le même champ de vision que son passager. C'était Archer ?

-Non. Mais çà pourrait être le gars dont Nathan a parlé. Celui de la Garde, Foreman. Je ne le connais que de vue mais la silhouette correspondrait.

-Je vais appeler les autres. Et faire vérifier la plaque du véhicule. Si c'est bien lui, ça doit vouloir dire qu'Archer l'a contacté et qu'il se trouve encore quelque part par ici.

Ils descendirent de voiture et jetèrent un œil aux alentours mais Foreman, si c'était bien lui, avait disparu.

-Il faut faire venir Audrey, conseilla Duke. Si Archer est ici et qu'il nous voit, comme il ne nous connait pas et qu'il a déjà failli se faire tuer aujourd'hui, il pourrait paniquer et nous filer sous le nez par une de ses « issues de secours» faites maison. Mais Audrey... elle arrive toujours à gérer ce genre de situation. Elle pourra le rassurer.

Peter aurait certainement dû s'étonner d'une telle affirmation, car s'il y avait une chose que les trois habitants de Haven avaient encore gardé secrète envers l'agent Dunham et son équipe, c'était bien le fait qu'Audrey était mystérieusement immunisée contre les effets des infections, et capable d'aider les gens à les contrôler.

Cependant, la seule chose qui étonnait Peter là tout de suite, c'était que son portable se refusait à appeler qui que ce soit.

-C'est étrange, on dirait qu'il n'y a pas de réseau. Je ne pensais pas qu'on était à ce point à l'écart de tout.

Il réfléchit quelques instants.

-Je vais retourner en arrière jusqu'à retrouver un endroit d'où je peux appeler. Vous allez rester là et surveiller ce qui se passe.

Duke agita la tête négativement.

-Non. Mauvaise idée. Ce serait beaucoup mieux que moi j'aille les appeler, et vous restez ici.

-Non, répondit Peter d'un ton ferme, ce serait beaucoup mieux que moi, j'explique la situation à Olivia, parce que c'est moi qui travaille avec elle, et au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, elle n'est pas votre plus grande fan. Et puis vous dramatisez un peu, non? Après tout, vous vivez à Haven au milieu de membres de cette organisation et vous êtes toujours en vie. – Duke voulut répliquer mais Peter lui coupa la parole - Et dans le cas qui nous occupe, nous sommes du même côté qu'eux, nous voulons protéger Archer. Je ne vous demande pas non plus d'aller faire causette avec ce gars, juste de surveiller de loin s'il revient à son véhicule.

-Je ne suis même pas armé, protesta encore Duke. Votre amie Olivia m'a même confisqué mon canif et a oublié de me le rendre.

Peter roula des yeux, ouvrit la portière passager de leur voiture, puis la boite à gants et en sortit une arme.

-Olivia m'en voudrait à mort si elle avait que je vous le donne, mais prenez çà, si vous avez peur à ce point. Maintenant, assez perdu de temps, j'y vais.

Duke cala l'arme à sa ceinture, dans son dos, puis s'installa à une dizaine de mètres du véhicule de Foreman . Il commençait à se dire que Peter n'avait pas totalement tort, lorsque Foreman apparût à quelque distance, seul, se dirigeât vers son véhicule et en ouvrit la portière. C'était un solide gaillard, comme la Garde en utilisait pour des missions risquées, un du genre que Duke n'aurait pas aimé énerver pour tout l'or du monde, sauf s'il avait une échappatoire bien préparée. Mais si Foreman s'en allait maintenant, c'était peut-être une de leurs meilleures pistes qui partait avec lui, ce qui le décida à malgré tout se diriger vers lui pour lui parler.

-Je te connais, toi, dit Foreman avant même que Duke lui ait adressé la parole.

-Oui, probablement, répondit Duke rapidement, en décidant d'éluder le plus possible la question de son identité exacte. Tu es de Haven, pas vrai ? Moi aussi. Ecoute, çà va te paraître bizarre, mais je suis ici avec...

-Tu es un Crocker, c'est çà ?, l'interrompit Foreman, avec une mine concentrée comme s'il faisait un gros effort pour se souvenir.

Tant pis pour l'anonymat. Mais il n'y avait pas lieu de paniquer, Foreman ne montrait aucun signe d'agressivité.

-C'est çà. Mais tu sais, on est du même côté, là. J'accompagne deux flics de Haven qui cherchent Rob Archer pour le protéger. Tu sais où il est ?

Foreman sembla hésiter. Il porta la main à son épaule gauche et Duke réalisa seulement qu'il était assez pâle et qu'il semblait mouvoir un peu plus difficilement ce bras-là.

-Tu es blessé ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

-J'ai suivi Archer quand il a fichu le camp par l'espèce de truc qu'il fait,là. Mais le gars qui lui en voulait nous a suivi aussi et j'ai été touché. Le passage dans ce machin m'a un peu sonné, je les ai perdus de vue tous les deux. Mais je pense qu'Archer a pu foutre le camp.

-Il t'a contacté ?

-Non. Comme je n'arrivais pas à le retrouver, je suis retourné chercher ma bagnole. J'ai vu qu'il y avait la police à la planque, j'ai supposé que Clarke avait été emmené à l'hôpital et j'ai pas fait de vagues. Comme Archer n'appelait pas, je suis revenu le chercher par ici.

Cette histoire sonnait un peu comme les bobards que Duke racontait aux autorités en certaines circonstances. Pourtant, Foreman n'inventait pas avoir été touché au bras. Ce qui amenait à une autre question : le nombre de morts et de blessés dans cette affaire montait en flèche, alors que selon toute vraisemblance, Archer, lui, restait indemne. A se demander si on cherchait réellement à le tuer, ou si son poursuivant le voulait vivant…

-Il faudrait que tu parles aux flics et que tu leurs donnes une description de l’agresseur, dit Duke pensivement. Est-ce que tu as l'impression qu'il cherche à tuer Archer?

Tout en posant sa question, il regarda autour de lui, et ses yeux se posèrent sur l'intérieur de la voiture de Foreman. Sur le siège passager, se trouvaient des gadgets qui avaient l'air de technologie de pointe. Il n'était pas spécialiste en la matière, mais l'appareil qui était posé là lui semblait bien être un brouilleur d'ondes, ce qui expliquerait que leurs portables ne fonctionnaient plus depuis tout à l'heure. Mais pourquoi diable un membre de la Garde utiliserait-il çà en cherchant Archer? A moins qu'il ne veuille l'isoler... Duke décida de faire mine de n'avoir rien remarqué et se tourna à nouveau vers Foreman, cherchant une excuse pour s’éloigner d’ici vite fait.

Mais c’était trop tard.

-Non, dit Foreman d’un ton neutre. Effectivement, on veut Archer vivant.

En une seconde il saisit Duke à la gorge et le projeta contre le véhicule, limitant ses possibilités de défense et l’empêchant sans même s’en rendre compte de sortir l’arme calée dans sa ceinture.

-Et bientôt, ajouta Foreman, c’est toi qui te chargera de l’attrapper.

Phrase totalement incompréhensible mais Duke avait d’autres préoccupations que de tenter d’en saisir le sens. S’il avait bien évalué Foreman comme un solide gaillard tout à l’heure, il était en fait loin du compte. Ses efforts pour se dégager restaient vains. Une goutte de ton sang et je deviens plus fort que toi, salopard. Et tu es déjà blessé., pensa-t-il soudain rageusement.

Abandonnant temporairement la lutte que sa main droite menait pour faire faiblir l’étreinte de son adversaire sur son cou, il s’agrippa plutôt à la manche de celui-ci, la déchirant pour se frayer un chemin jusqu’au pansement improvisé que Foreman s’était confectionné, qu’il arracha à son tour. Bientôt la sensation d’un liquide se répandant sur ses doigts se fit sentir.

Curieusement, cela fit sourire Foreman, d’un rictus mauvais. Duke attendit la poussée d’adrénaline et la sensation d’ivresse et de vide intérieur que pour une fois, il accueillerait avec plaisir. Mais elle ne vint pas. Foreman continua à le regarder suffoquer, la mine narquoise, puis relâcha légèrement sa prise, pour sortir de sa poche une seringue.

-C’était pour Archer, dit-il tranquillement, mais j’ai des réserves.

La sensation d’une piqure dans la nuque, un engourdissement progressif… Duke se sentit filer lentement vers le sol, la tête lui tournant comme un manège qui se serait emballé.

Mais alors qu’il tombait aux pieds de Foreman, il finit par comprendre ce qui clochait. La manche de chemise en lambeaux de celui-ci laissait bel et bien entrevoir le tatouage funeste, sur lequel serpentait un filet de liquide s’écoulant de la blessure désormais à nu. Mais si ce type était un infecté, c’en était un d’un genre totalement nouveau.

Il saignait du mercure.


Texte publié par Spacym, 17 juin 2015 à 15h42
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