J’ai encore du mal à y croire, même lorsque Maîtresse Denise me salue avec un dernier sourire, même lorsqu’elle s’éloigne avec ce drôle d’être sans odeur.

Ce matin, je dormais sur mes deux oreilles dans mon panier douillet quand un terrible boucan m’a réveillé. Mes poils se sont dressés. J’ai vite rejoint ma cachette habituelle, derrière le comptoir, la queue entre les jambes. J’ai cru entendre un petit cri de Maîtresse Denise, des sons étouffés, puis l’horrible odeur a atteint ma truffe. Celle que je hais par-dessus tout. L’affreuse odeur du sang. J’ai attendu jusqu’à ce que des pas s’éloignent dans la rue. Le silence est revenu. Alors j’ai foncé, peut-être que je pouvais appeler des secours ?

Maîtresse Denise m’a regardé, son sourire était triste. Quelque chose n’allait pas. J’avais la nausée à cause du liquide visqueux sous mes pattes qui perturbait mon odorat. C’était ma Denise, mais ce n’était pas vraiment elle. Elle est restée là, figée au fond de la salle. Pourtant, les effluves de son parfum que je connais par cœur émanaient de la silhouette allongée au milieu des tables et des chaises renversées. Je n’y comprenais rien. J’ai hurlé à la mort, je ne sais pas combien de temps, avant que les secours finissent par arriver. Des tas de gens qui ont défilé et j’étais encore plus déboussolé, perdu entre les grandes enjambées, les dizaines de conversations bourdonnantes qui se mélangeaient dans un brouhaha assourdissant. Enfin, elle est arrivée. La Grande Dame. Elle a fait fuir tout le monde. Au moins, le silence est revenu. Elles ont parlé un peu, ma Denise et elle. Et là j’ai compris.

Ma pauvre Maîtresse Denise… Aurais-je pu l’aider ? J’en doute. Je n’ai jamais été très courageux et il était sûrement déjà trop tard au moment où je me suis réveillé. Je ne peux réprimer un nouveau jappement de tristesse. C’est si injuste, ma Denise adorée n’a pas mérité ça, oh que non… Elle était si gentille, si attentionnée ! Que vais-je devenir, sans elle ?

La Grande Dame me fixe. Je me sens comme caressé par son doux regard ; il me rappelle un peu celui de Maîtresse Denise.