« L’oubli, brave gens ! Demandez l’oubli, confiez-moi vos malheurs ! »
La voix résonnait dans les ruelles abandonnées de toute vie, hormis les rats, les cafards et les ivrognes. Une odeur de mort flottait sinistrement. Sur les pavés luisants, les roues de la charrette torturaient le silence de la nuit.
Écoutez les chiens hurler à la camarde !
Ne sortez pas de chez vous, il traverse votre ville !
Il vous apporte l’oubli.
Qu’allez-vous lui donner en échange ?
Dans l’une de ces venelles, peut-être la plus sordide, une femme marchait. D’elle ou de son ombre, nul n’aurait pu faire la distinction dans l’affolement de ses haillons. D’un pas rapide, elle avançait, résolue. Si un rayon de lune dévoilait un instant son regard, c’était pour laisser voir la désespérance la plus profonde.
Ne plongez pas dans ce regard !
Elle vous emporterait dans son désespoir !
Elle cherche l’oubli.
Que va-t-elle donner en échange ?
Le spectre, car elle n’était guère plus que cela, déboucha sur une petite place. Là, elle s’arrêta. La charrette immobile, silhouette glaçante, l’attendait. Immobile lui aussi, rescapé d’un jardin statuaire dessiné par un jardinier fou, un cheval renâclait. Était-ce de trop tirer cette maudite carriole ? Était-ce d’avoir toujours dans son dos le regard fétide du cocher ? La carne, malade, attendait le coup de faux qui la délivrerait. Mais la Mort a d’autres projets, et l’animal peut encore attendre.
Ne flattez pas son encolure !
Nul picotin pour lui !
Il cherche aussi l’oubli.
Mais n’a rien à donner en échange.
La femme frissonna, ses pieds nus et blessés dans une boue malade. Elle ajusta son châle sur ses épaules, geste dérisoire, tant le froid lui rongeait les os. Elle s’avança dans cette place comme on marche à l’échafaud. Ici, nulle foule pour vous agonir. Le vivant avait déserté les lieux. La femme lançait des regards, à droite, à gauche, qui se perdaient dans les ténèbres. Cherchait-elle des réponses ? Des appuis ? Elle n’était que trop seule. Alors, elle leva la tête vers le cocher. Et dans le silence de son regard, une assourdissante résignation.
« Tu viens réclamer l’amnésie, femme, mais qu’as-tu à me donner en échange ? »
Elle ne répond pas !
Elle ne peut ouvrir ses mains !
Elle supplie pour l’oubli.
Mais n’a rien à donner en échange.
« Je vois. Il faudra donc que je t’emmène. Ce sera ton prix. Et maintenant, bois. »
Alors, il lui tendit un gobelet immonde. D’une main frêle, elle le prit, et vit le liquide plus noir que l’obscurité des enfers. Alors, lentement, elle but, elle but, elle but. Une fois le gobelet vide, elle le déposa dans la main tendue qui l’attendait. Puis, elle longea le chariot et, parvenue derrière, se hissa de ses maigres forces pour s’asseoir, les pieds dans le vide. Au moins, ils ne traînaient plus dans la boue. Le cheval s’ébroua, ses sabots mal ferrés claquèrent, les roues reprirent leur litanie, et l’infernal véhicule s’estompa dans les ombres.
Qu’a-t-elle fait ?
Quel pacte a-t-elle signé ?
Elle a reçu l’oubli.
Mais qu’a-t-elle perdu en échange ?

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