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— Il est temps de partir, déclara la dame rouge, la main tendue vers Nathaniel.

Son appréhension ne le quittait pas, elle lui voulait du mal, il en était persuadé malgré sa beauté envoûtante et ses membres d’apparence frêles. Ses cheveux dansaient au rythme de ses mouvements et laissaient entrevoir ses jambes fuselées par intermittence. Devant ses pieds nus, Nathaniel réalisa qu’elle devait avoir particulièrement froid, ainsi sans vêtement.

— Allons, l’appela-t-elle, ça ne te fera rien, à toi.

Elle lança une œillade à sa main tendue et Nathaniel se demanda ce qui arriverait si quelqu’un d’autre la touchait. Rien non plus, n’est-ce pas ? Sa réflexion augmenta le feu de l’appréhension dans son corps déjà bouillonnant d’incertitudes. Il se cogna contre une grosse caisse en bois à force de reculer. La femme rouge, elle, s’avançait, avec lenteur, au rythme de Nathaniel, amusée à l’idée d’effrayer l’oisillon égaré du nid.

— J’irai nulle part avec vous, tenta-t-il d’une voix plus claire et décidée qu’il ne s’en serait cru capable.

Gagner du temps. Il lui fallait gagner du temps. Son téléphone bornait, il indiquait ses coordonnées. On le trouverait bientôt. Ses amis et sa mère devaient bien s’inquiéter, désormais.

— Ce n’est pas une négociation, rappela Ash toujours juché sur sa caisse. L’enjeu est trop grand. Tu ne le saisis pas pour l’instant, c’est normal. Hécate peut t’emmener de la manière douce. Si c’est moi qui m’en charge, en revanche…

Le cœur de Nathaniel accéléra. Il tâtonna, à la recherche d’un objet contondant. Lourd. Tout et n’importe quoi qui aurait pu blesser ses agresseurs. Même un bâton ferait l’affaire pour tenir la femme à distance.

— Et on va où, au juste ? Vous me livrez à qui ?

Hécate cessa tout mouvement, soudain surprise.

— Vraiment ? Tu ne sais pas ?

C’est Ash qui lui répondit en premier :

— Nan, le petit oiseau est aussi candide qu’il en a l’air.

Hécate pencha la tête sur le côté, toujours aussi ébahie.

— Étrange… Soit. Nous allons aux Enfers. Tu y seras en sécurité, pour un temps.

— Vous êtes fêlés, grinça Nathaniel entre ses dents.

Un bruit de porte qu’on enfonce. Un autre son, étouffé, parvint de l’autre côté du mur. Le jeune homme reconnut son prénom. Une voix d’homme.

— Qu’est-ce que… commença Ash.

— Oui ! Rey, je suis là ! hurla Nathaniel en se précipitant vers la sortie verrouillée.

Hécate lui empoigna le bras au passage. Il le leva dans un geste désespéré, ses ailes s’ouvrirent en grand et s’abattirent sur la femme. Courroucée, elle chuta, rampa pour éviter l’impact. Trop tard. Les plumes la propulsèrent à l’autre bout de la pièce. Nathaniel retint son souffle, incapable de comprendre comment il avait réussi un tel exploit. Ash descendit de sa caisse, poings serrés, prêt à en découdre.

— T’as pas idée de ce que tu viens de faire, gronda-t-il tandis qu’une flamme de rage dansait dans ses yeux.

Derrière Nathaniel, on enfonçait la porte. Elle allait céder. Tentant le tout pour le tout, Nathaniel se rua sur Ash. Il poussa un “ouf” estomaqué, mais ramena sa jambe vers l’avant. Cet appui lui permit de garder l’équilibre. Ash lui asséna un coup de poing dans l’estomac. De quoi couper le souffle à l’avorton. La porte céda dans des volutes de poussière. Avant d’avoir vu qui s’invitait, Ash attrapa Nathaniel à la gorge. Des volutes ténébreuses s’élevèrent tout autour d’eux. Nathaniel essaya de s’extirper de la poigne du démon. Sans succès. Il allait l’emmener. On ne le retrouverait jamais. Une fois… ailleurs, il le tuerait. Ou le tourmenterait pour l’éternité. Nathaniel se débattit. Il ne voulait pas partir. Pas comme ça. Pas maintenant. Il avait encore tant à vivre, à découvrir. L’air lui manquait.

Une lumière chatoyante vint l’encercler à la manière d’un lasso. Elle joua contre les ténèbres et, Ash, incapable de contenir cette chaleur plus longtemps, grimaça avant de relâcher le Néphilim. Il gémit, observa ses doigts où de nombreuses cloques purulaient. Nathaniel se fracassa le dos contre le sol, l’armature de ses ailes lui perfora les omoplates. Il expulsa un cri de douleur après avoir ressenti un courant électrique lui couper le souffle. Quand il ouvrit à nouveau les yeux, Reyson se tenait au-dessus de lui, le visage grave.

Ses iris azur bifurquèrent sur le démon au visage marqué d’une cruelle aversion pour le nouveau venu. Nathaniel parvint à se redresser tant bien que mal. Nathaniel fut surpris de voir Reyson s’adresser à Hécate en premier :

— Depuis quand t’intéresses-tu au sort des vivants ?

— Depuis toujours ! s’exclama-t-elle, vexée, tandis que Nathaniel essayait de faire sens de cette discussion.

— Je reformule : depuis quand tu t’intéresses à lui — il pointa le Néphilim du doigt — en particulier ?

Hécate croisa les bras.

— Depuis qu’il menace le royaume de Dràsil.

Reyson arqua un sourcil avant de ramener son attention sur Ash, toujours à genou.

— Et toi, alors ? Quelle est ta mission ?

Linoa et Jeanne arrivèrent à leur tour dans l’encadrement de la porte. Nathaniel remarqua leurs yeux écarquillés. Son apparence. Il devait les effrayer, à coup sûr. Ash détourna le regard. Reyson ne parut pas s’en formaliser :

— Je t’ordonne de me répondre, déclara-t-il sur un ton monocorde.

Ash, égal à lui-même, cracha à ses pieds. Reyson ne put réprimer un rictus de dégoût :

— Il n’y a qu’un démon pour être aussi méprisable. Retournez donc d’où vous venez, tous les deux.

Hécate, malgré le filet de sang qui suintait de sa bouche, informa :

— On ne partira pas d’ici sans le Néphilim.

— C’est trop tard, la coupa Ash.

Reyson croisa les bras :

— Je me charge de lui, à présent. Comme ça aurait dû être le cas à la minute même où il a perdu sa mortalité. Vous croyiez vraiment que les Dieux n’avaient pas un plan prévu pour lui ?

Nathaniel, recroquevillé contre le mur derrière lui, se râcla la gorge :

— Je vous rappelle que je suis là, hein…

— Oui et tu vas rester là, trancha Reyson. Hécate, nous n’avons pas besoin de tes services.

La dame rouge s’entoura de flammes écarlates au creux desquelles elle disparut sans prononcer le moindre mot.

— Toi aussi, le démon. Va donc expliquer aux traîtres et traîtresses comme tu as lamentablement échoué.

Ash esquissa un sourire, il ricana tandis qu’une brume ténébreuse s’élevait autour de lui :

— Sache que c’est quelqu’un de chez toi, qui m’a attribué ma mission.

Un clin d'œil et il s’évanouit à son tour. Jeanne profita de la voie libre pour se ruer vers son fils à grands coups de bras sur ses roues.

— Tout va bien, mon chéri ? Oh… mon grand…

Ses yeux gris s’attardèrent sur les plumes autour de Nathaniel. Linoa approcha à son tour, non sans lâcher son spray de défense, au cas où les affreux réapparaîtraient. Elle tendit, avec lenteur, une main vers les ailes de Nathaniel, mais stoppa son geste avant de les toucher. C’était réel. Ces… Choses étaient bien là.

— Comment… C’est quoi ?

Un frisson la parcourut. Elle interrogea Reyson comme si elle le voyait pour la première fois :

— Et puis, d’où y a des lassos lumineux qui sortent de ton corps, toi ?!

C’était l’heure. Reyson avait toujours su qu’il ne pourrait maintenir le secret jusqu’à la mort de ses amis. Il s’était fait une raison. C’était maintenant ou jamais. Ils méritaient de savoir. Il ouvrit la bouche quand Nathaniel hasarda :

— T’es un Ange, c’est ça ?

— De quoi ? s’indigna Linoa comme si son ami était devenu soudainement fou.

Reyson inspira un grand coup et, une fois tout son courage rassemblé, il précisa :

— Je suis un peu plus haut gradé que ça… Je suis un Archange.