Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 9 « La jungle » tome 1, Chapitre 9

Au premier coup de sonnette, Reyson entendit la voix tremblante de Jeanne s’élever de l’interphone :

— Nathaniel, c’est toi ?

Linoa et lui échangèrent un regard circonspect. Par quel hasard Nathaniel aurait-il pu se trouver devant la porte de l’immeuble, sans sa clé de surcroît, alors qu’il se trouvait au vingtième, quasi incapable de marcher ?

— Euh… Non. C’est Reyson. Et Linoa.

Que dire de plus ? La question ubuesque de Jeanne refusait de quitter son esprit, Reyson avait besoin de comprendre, au point où il commença à imaginer un arbre aux nombreuses ramifications, chacune dédiée à une raison plausible pour laquelle Jeanne aurait pu croire son fils dehors à une heure aussi tardive avec un dos bloqué. Aucune ne le satisfaisait et la frustration lui comprima le cœur. Il aurait la solution. Il ne passerait pas à autre chose tant qu’il resterait dans le flou.

— Mon garçon ne se trouve pas avec vous, n’est-ce pas ?

Linoa se pencha à son tour vers l’interphone tandis que Reyson, médusé, ne voyait pas quoi répondre.

— Nathaniel m’a envoyé un message pour dire que Rey avait oublié son téléphone. On vient le chercher. Il s’est passé quelque chose, entre-temps ?

— Il… Il a disparu ! Je ne sais pas où il est !

Ah ! Voilà donc pourquoi elle avait cru que Nathaniel sonnait ! Le soulagement d’avoir retrouvé la cohérence de l’échange fut de courte durée pour Reyson. Il se retint de signaler que, par définition, disparaître revenait à ne pas savoir où une personne se trouvait. Après tout, il entendait les gémissements de Jeanne, en pleurs, de l’autre côté de l’appareil métallique. L’âme ébranlée, il s’émut d’une telle pureté émotionnelle et de la détresse, on ne peut plus compréhensible, de la mère éplorée.

— On peut entrer ? demanda-t-il. On va vous aider à le trouver, il ne doit pas être parti bien loin… Je prends mon portable et je pars à sa recherche. Linoa va rester avec vous, au cas où il rentrerait.

La porte buzza et les deux amoureux se ruèrent à l’intérieur. L’ascenseur les conduisit au vingtième étage, jamais une ascension ne leur avait paru plus longue. Quand ils arrivèrent sur le palier, Jeanne les attendait, entrée grande ouverte, les larmes ruisselant sur ses joues rouges et bouffies.

Reyson prit le précieux sésame entre les mains tremblantes et froides de Jeanne. Toute la tension passa de ses doigts à ceux du jeune homme, elle remonta le long de ses bras au point où il se mit à frémir à son tour. La tristesse de Jeanne se répandit en lui tel un tsunami, sa gorge se serra, les larmes lui montèrent aux yeux et il ressentit, en miroir, la dévastation de cette mère dans son propre corps, comme si elle lui appartenait. Il coupa le contact aussi vite que possible, rangea son téléphone et renifla avant de déclarer d’une voix pâteuse :

— J’y vais. Lin, je t’appelle si j’ai du nouveau.

Sa petite-amie acquiesça :

— J’en ferais de même s’il rentre.

Ils n’avaient pas l’habitude des effusions d’affection en public, mais quand Reyson croisa le regard inquiet de sa compagne, il se résigna à prendre son visage en coupe entre ses mains et à l’embrasser avec une infinie tendresse. La chaleur des lèvres de la jeune femme se répandit dans le corps de son âme sœur, elle chassa toutes les autres émotions et l’apaisa.

— Je t’aime, lui murmura-t-il sans attendre la moindre réponse.

Il se précipita à nouveau dans l’ascenseur. La descente fut aussi longue que l’allée. Il tenta quand même d’appeler Nathaniel : peut-être qu’il s’était disputé avec sa mère après leur départ et refusait de lui parler. Ça ne lui ressemblait pas. Une sonnerie. Au moins, il avait encore de la batterie. Quand même, où avait-il pu aller avec les lombaires en compote ? Deuxième sonnerie.

— Allez, réponds ! grogna Rey dont l’esprit imaginait à nouveau un arbre de pensées aux multiples ramifications.

Au repas, il n’avait pas été particulièrement bavard. Nathaniel dans toute sa splendeur, supplément douleurs intolérables. Rey avait usé de nombreux stratagèmes pour sortir son ami de son mutisme et le ramener au moment présent. Jusqu’à voler son yaourt sous son nez sans même qu’il ne le remarque. C’était le fou rire de Linoa qui l’avait sorti de sa torpeur et lui avait vendu la mèche.

Une fois dehors, il se remémora les nerfs brûlants de son ami, la chape de plomb qui s’était abattue sur ses épaules quand il avait expliqué ne pas savoir de quoi il souffrait, des futurs examens qui l’attendaient. Nathaniel n’avait aucune raison de quitter son logement ce soir, encore moins sous le froid d’octobre et dans l’obscurité.

D’un autre côté, il avait su aller chez le médecin. Avec les antalgiques en plus, il pouvait marcher un peu. Mais pour aller où ? Prendre un transport en commun ? Lequel ? Pourquoi ? Casanier de nature, il ne partait jamais sans prévenir, que ce soit lui, Linoa ou sa mère. Est-ce qu’on l’aurait forcé à sortir ? Il s’attendait à sa visite, on avait peut-être sonné entre temps. Nathaniel n’aurait pas débloqué la porte d’entrée sans s’assurer de l’identité du visiteur. Alors, quoi ? Que s’était-il passé dans les dix minutes qui avaient suivi son message l’incitant à venir récupérer son portable ?

Reyson se résolut à faire le tour du quartier. Les chances de retrouver Nathaniel ainsi frôlaient le ridicule, mais il n’avait pas d’autre idée pour le moment. Jeanne avait à coup sûr appelé la police, Reyson ne s’en souciait guère. Au contraire, il préférait ne pas les avoir aux basques. Quelque chose de louche le taraudait. Une aura étrange, un malaise grandissant. Une donnée lui échappait et ça le maintenait en alerte constante.

Il jeta un œil aux bars bondés et files d’attentes devant les boîtes de nuit, pourtant convaincu qu’il s’agirait des derniers endroits où Nathaniel serait allé se terrer. Aucun signe d’un grand mec aux longs cheveux noirs et au cardigan rouge. Est-ce qu’il avait pris son cardigan, d’ailleurs ? Rey n’avait peut-être pas les bons repères. C’était, d’ailleurs, ce qui l’inquiétait le plus. Nathaniel ne passait jamais inaperçu alors n’avoir aucune trace de lui relevait de l'inouï.

— Mais où est-ce que t’es passé, bon sang… ?

Il scruta les alentours en quête d’un indice, d’une silhouette semblable à Nathaniel, un signe quelconque. Sans cela, il passerait la nuit à vagabonder dans la jungle de bitume, de métal et d’acier.


Texte publié par Albane F. Richet, 18 décembre 2025 à 21h10
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 9 « La jungle » tome 1, Chapitre 9
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
3369 histoires publiées
1474 membres inscrits
Notre membre le plus récent est ivolub
LeConteur.fr 2013-2025 © Tous droits réservés