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tome 1, Chapitre 5 « Le convalescent » tome 1, Chapitre 5

— Alors, ces antalgiques ? s’enquit Jeanne vers la fin d’après-midi.

Nathaniel était rentré chez lui juste après sa consultation chez le docteur. Il n’avait pas eu le courage, dans son état et étouffé de pensées noires, d’aller à l’université. Il rattraperait. Peut-être. Il avait autre chose à gérer et rester assis sur l’un des strapontins de l’amphithéâtre, coincé entre deux autres étudiants, à jeter un œil sur l’horloge toutes les trois minutes en priant pour que l’heure passe plus vite avait eu raison de son reste de motivation. À sa grande surprise, sa mère n’avait pas protesté. Il devait être bien mal en point pour qu’elle soit si résiliente à ce qu’il rate les cours.

— Ça commence à faire effet, déclara-t-il sans oser tourner la tête.

Au moins, la position allongée lui convenait, sur le côté droit, à observer Seyk se mouvoir avec grâce à l’intérieur de son terrarium. Il tirait sa langue fourchue par intermittence, moyen pour lui de se sensibiliser à son environnement, de chercher sa nourriture. Il n’en trouverait pas : Nathaniel lui avait fait l’offrande d’une souris, une semaine auparavant.

— Tant mieux.

Jeanne passa une main dans les longs cheveux noirs et raides de son fils. D’ordinaire, ce contact apaisait le jeune homme, mais ses pensées le parasitaient au point de ne plus supporter la moindre sensation du toucher. Même son drap lui comprimait les membres. Seyk le toisa un instant, immobile, ses yeux ronds grands ouverts, puis se détourna, dénué de toute empathie.

— Je vais commencer à préparer le repas, annonça Jeanne, je t’appelle quand c’est prêt.

Nathaniel lui lança un grognement tandis qu’elle manœuvrait le fauteuil vers la porte de la chambre. Son estomac grondait déjà sous l’impact des médicaments, il n’avait pas faim. Il allait fermer les yeux quand la lumière de son écran de téléphone attira son attention. Sa main tâtonna la table de chevet, à la recherche de ses lunettes et il faillit s’embrocher un œil en les positionnant sur son nez. Le temps d’entrer son code, Nathaniel déverrouilla l’écran : un message. Reyson s’inquiétait :

“T’es passé où ? On t’a pas vu, aujourd’hui.”, suivi d’un émoji en train de réfléchir.

Linoa, la copine de son meilleur ami, s’incluait à coup sûr dans ce “on” que mentionnait Rey. À trois, ils formaient une fine équipe, sur le campus. C’était la première fois que Nathaniel se faisait vraiment des amis. Il avait toujours eu beaucoup de mal à trouver sa place, à connaître les codes sociaux qui lui permettraient d’être accepté des autres. Il avait toujours l’impression d’être de trop, de faire de travers, de devoir se cacher pour mieux être apprécié. Ça ne durait jamais très longtemps. En général, on le démasquait bien vite. Alors, il devenait le mec bizarre. Peu sûr de lui. Maladroit de la parole. Maladroit tout court, en réalité.

Nathaniel s’était fait une raison : la solitude, c’était peut-être pas plus mal. Il ne s’était jamais attendu à ce qu’un gars comme Reyson, bien plus solaire, populaire, sociable, s’intéresse un jour à sa petite personne. S’il n’avait pas été difficile pour Rey de devenir son meilleur ami, Nathaniel ne comprenait toujours pas comment, lui, avait pu en arriver à ce titre émérite. Par la force des choses, il avait rencontré Linoa, souriante, ouverte d’esprit et tout aussi amoureuse que Rey ne pouvait l’être d’elle. Nathaniel n’avait jamais eu peur de tenir la chandelle : à trois, ils avaient trouvé une belle dynamique. Le couple ne se montrait, d’ailleurs, que peu démonstratif en public.

“Pas fou… Mais vous inquiétez pas, ça va aller”, répondit-il persuadé que son message ne ferait qu’attiser la curiosité de Rey.

L’écran ne tarda pas à afficher un nouveau message :

“Qu’est-ce qui se passe ? Vas-y, crache ta pilule.”

Nathaniel hésita. Ce n’était pas dans ses habitudes de se plaindre. Il se contenta du strict minimum :

“Juste un mal de dos, j’ai dû faire un faux mouvement. J’ai vu le doc. Ça ira mieux dans quelques jours.”

L’écran s’éteignit au bout d’une minute. Reyson ne répondit pas. Nathaniel se félicita d’avoir rassuré ses amis et se mit tant bien que mal sur le ventre.

Il s’endormait à peine quand la sonnette de l’appartement retentit. Nathaniel sursauta, vérifia son téléphone toujours muet et rajusta ses lunettes quand il entendit sa mère le héler depuis l’entrée :

— Nathou, tes amis sont là !

Forcément. Le jeune homme aurait dû se douter que ses deux compères débarqueraient après une telle nouvelle.

— Oh, la honte ! maugréa-t-il en enfonçant la tête dans son oreiller.

De tous les surnoms du monde, il avait fallu que Jeanne s’arrête sur le plus ridicule… Il sut d’emblée que l’information n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd quand Reyson passa la porte avec son sourire le plus espiègle. Il vint s’agenouiller près du lit de Nathaniel, non sans repousser les pans de son long manteau gris, avant de lancer sur un ton enfantin :

— Bah alors, Nathou ! On a bobo à son dos ?

Il rit seul de sa bêtise tandis que Nathaniel ronchonnait de plus belle :

— Arrête, tu veux ! J’en chie, voilà. T’es content ?

Le jeune homme tenta de se redresser, une grimace lui tordant les traits du visage. Rey déposa une main compatissante sur son épaule, sans appuyer :

— Reste là ! Repose-toi. Je vais dire à Lin de venir ici. Elle osait pas entrer dans ta chambre, figure-toi.

Nathaniel fronça les sourcils :

— Pourquoi ?

— Je cite : ‘C’est un repaire de mec”, répondit Reyson en haussant les épaules.

Nathaniel se cala à nouveau contre ses coussins quand Linoa entra à son tour, son petit ami sur les talons. Si Reyson était venu chercher son ami à maintes reprises en voiture, Lin et lui n’étaient jamais rentrés dans son repaire auparavant. Les iris bleu clair de l'étudiante contemplèrent les posters de groupes de métal accrochés à la va-vite aux murs, le bureau rempli de bouquins sur la biologie animale et le terrarium.

— Je me lèverai bien pour te présenter Seyk, déclara le propriétaire du serpent après avoir suivi son regard, mais…

Lin leva une main vers son ami :

— Laisse-le donc où il est ! Je ne suis pas sûre d’apprécier son… contact.

Elle tira la chaise de bureau près du lit de Nathaniel avant de s’y asseoir :

— Pauvre Nathou !

Celui-ci soupira de frustration. Ça y est, il était fiché. Jamais plus on ne l'appellerait autrement. Merci, maman…

— T’en fais pas, ça ira. J’en ai juste pour quelques jours…

Le temps de cette parole, il vit par flashs les différents cours qu’il allait manquer à la fac. Le temps perdu. Les devoirs à rattraper. Par chance, il apprenait vite, mais une grande lassitude s’empara de lui : ce n’était pas une heure ou deux qu’il allait rater, mais une dizaine. De quoi larguer le plus sérieux des étudiants.

— Prends le temps qu’il te faut, rassura Linoa en lui tenant le bras, la santé avant tout. Si tu as besoin de quelque chose, tu peux nous demander.

Nathaniel lui décocha un sourire lorsque Jeanne s’écria depuis la cuisine :

— À table !

— Tu veux que j’aille chercher ton assiette pour que tu manges ici ? demanda Reyson.

Nathaniel s’évertuait déjà à se lever. Il parvint, non sans mal, à s’asseoir sur le rebord du lit. Linoa l’aida à se redresser. En douceur. Au rythme des craquements lombaires. Nathaniel crut qu’un fakir avait remplacé sa moquette par un tapis de clous. Il sut dès lors combien le temps du repas serait un supplice.


Texte publié par Albane F. Richet, 10 décembre 2025 à 20h31
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