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tome 1, Chapitre 1 « Au coeur du cauchemar » tome 1, Chapitre 1

Un cri perçant déchira les tympans de Nathaniel. Il ouvrit grand les yeux. Son corps endormi refusa de bouger. Les hurlements s’intensifièrent. Les battements de son cœur aussi. Ça venait de la chambre d’à-côté.

“Maman”, réalisa-t-il.

Le jeune homme se concentra sur les courants électriques qui parcouraient ses nerfs. Il peina à se calmer, les cris retentissaient. Encore et encore. Plus forts. Effroi. Panique. Épouvante. Un son qui lui pénétrait la peau et s’insinuait dans ses os. Nathaniel lutta contre sa paralysie, éjecta son draps d’une main et put enfin se lever. La tête lui tourna. Dans sa volonté d’aller plus vite, il trébucha contre un livre. “Merde !”, pesta-t-il tout en se retenant in extremis contre le chambranle de la porte. Ses yeux discernaient des formes abstraites dans l’obscurité. Il réalisa avoir oublié ses lunettes sur sa table de chevet. Tant pis, il ferait sans. À moitié aveugle, il suivit les appels de Jeanne. Ils se muèrent en pleurs. L’âme compatissante de Nathaniel chavira vers les contrées de la mélancolie. Sa mère, c’était toute sa vie.

Il se fia à ses différents sens, autres que la vue, et se rua dans la chambre de Jeanne. Sa vision toujours aussi floue, il alluma à tâtons le plafonnier et devina la silhouette de sa mère, recroquevillée sur son matelas. Il s’agenouilla à ses côtés. Sur les murs trônaient des tapisseries d’Anges en prière, des statuettes de Chérubins tenaient une bougie sur la commode. Une passion que Nathaniel n’avait jamais comprise, mais qu’il respectait sans jamais questionner sa mère. La seule fois où il l’avait fait, il n’avait pas été profondément touché par son adoration des Êtres Divins.

Jeanne, les larmes ruisselantes sur ses joues, scrutait, étranglée de terreur, un point invisible au plafond. Ses traits tirés d’horreur lui provoquaient des spasmes, comme si l’essence même de sa vie cherchait à sortir de sa carcasse en danger.

— Rends-le moi ! vociféra-t-elle sans s’adresser à personne en particulier.

Nathaniel notifia l’effort qu’elle avait fourni pour parler, sa gorge avait enflé. Ce n’était pas la première fois que le garçon était témoin des terreurs nocturnes de sa mère. Elle dormait, en proie à un terrible cauchemar dont elle ne savait se dépêtrer. La sortir de force pourrait avoir des conséquences effroyables. Nathaniel s’employa à suivre le conseil du médecin de famille : attendre que ça passe.

Le jeune homme avait décidé, lorsque le verdict était tombé et qu’aucun traitement n’était avisé, de l’aider à passer le cap de ses tourments par sa simple présence. Il ne l’abandonnerait pas. Jamais. Il serait là. Il subirait avec elle. Chaque assaut des émotions de sa mère s’échouaient par vagues féroces contre lui, elles lui comprimaient la cage thoracique, elles lui nouaient l'œsophage, elles dévastaient son âme.

Nathaniel approcha sa main de celle de Jeanne. Il perçut la tension dans ses doigts, les tremblements dans ses os. Il serra, sans exercer une trop forte pression, tandis qu’elle répétait à s’en arracher les poumons : “Rends-le moi ! Je t’en supplie !”.

— Te rendre quoi, maman ? demanda Nathaniel d’une voix calme.

D’après le docteur, Jeanne se trouvait en sommeil profond. Le jeune homme doutait qu’elle l’entende, mais il n’avait rien de plus productif à mettre en place. L’important était de signaler à sa mère qu’elle n’était pas seule. Par le contact. Par la voix.

Jeanne se renversa sur le côté du lit. Malgré l’effet trouble dû au manque de lunettes, Nathaniel reconnut le vide caractéristique dans les pupilles grises dilatées de sa mère. Elle ne cria plus.

— Il me l’a pris, murmura-t-elle pour elle-même. Il me l’a pris et ne me le rendra jamais.

Ses paupières se fermèrent. Le silence survint dans la pièce. Nathaniel retint son souffle. Une seconde. Trois secondes. Cinq secondes. Ses épaules s’affaissèrent sous une chappe de soulagement. C’était terminé. La respiration de Jeanne reprit un rythme paisible, lent. Normal, en somme.

Le jeune homme caressa les longs cheveux blonds humides de sa mère, puis ramena la couverture sur elle. Il se délecta du silence et espéra que le reste de la nuit serait plus paisible. Nathaniel se releva, encore tremblant sous l’effet de l’adrénaline. Il gémit, plaqua une main au creux de son dos où une douleur suraigüe lui rappela son existence. Focalisé sur les tourments de sa mère, il en avait oublié la douleur qui l’étreignait depuis des jours. Sournoise. D’abord anodine, puis de plus en plus insistante. Il pouvait dessiner le réseau de ses vertèbres et de ses nerfs le long de sa colonne vertébrale, ses os craquaient sous le moindre geste brusque, ses lombaires brûlaient, lançaient, piquaient. Dormir. Nathaniel devait retourner dormir. Se reposer. Il avait rendez-vous avec le Dr. Bodiaux le lendemain. Il serait vite fixé sur son sort. Un sort qui l’effrayait. Jamais n’avait-il ressenti pareille douleur.

Il envoya ses pensées lugubres dans les recoins poussiéreux de son cerveau, éteignit la lumière et retourna dans sa propre chambre en frôlant les murs. Nathaniel trébucha sur le même livre qu’à l’allée, il râla encore une fois de sa maladresse légendaire avant de se laisser tomber sur son lit, sans force. Un courant électrique lui passa dans tout le dos et le força à grimacer. Il s’estompa, petit à petit. Dans le terrarium posé sur la table de chevet, Seyk, son serpent des blés rouge, l’observait sans bouger. Du moins, Nathaniel crut reconnaître la tête plus épaisse que le reste du corps de l’animal tournée dans sa direction. Dans la quiétude nouvelle de cette nuit, il s’endormit. Demain serait un autre jour. Un jour sans douleur, sans cris. Peut-être.


Texte publié par Albane F. Richet, 4 décembre 2025 à 22h05
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