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La poisse. Il ne voyait que ça. Malgré tout le boulot qu’il se tapait, aucun résultat positif. Aucun résultat tout court, même. Il en avait plus que marre. Et aujourd’hui, c’était la pire journée de l’année pour lui : la Saint-Valentin.

Assis sur son nuage, son arc et son carquois de flèches jetés à ses côtés non loin, le visage posé dans ses mains, et une aura dépressive l’englobant, il fixait l’horizon à la recherche de… de quoi déjà ? Il n’en savait rien, il ne savait plus. Il soupira. Est-ce que ça valait vraiment la peine de continuer ?

– Hé Ludger ! Qu’est-ce tu fous ici ? C’est pas ton secteur.

Non, pas lui… La poisse, assurément. Il se tourna vers l’intrus et le fixa de ses yeux mornes.

– Devine…

– Encore ?! Mec, prends des antidépresseurs, sérieux. T’es censé distribuer l’amour, pas la déprime.

– Ça marche pas, j’ai déjà essayé plusieurs fois…

Firmin vint s’asseoir à ses côtés, et regarda lui aussi l’horizon se teinter légèrement de rose, d’orange et d’un soupçon de violet au fur et à mesure que le soleil se levait. Il se mit à sourire.

– Le vrai boulot va bientôt commencer.

– Hein ? Comment ça le vrai ? Le quatorze février est la plus grosse journée de l’année pour nous parce qu’il faut “raviver” l’amour dans le cœur des gens qui l’ont déjà, en plus de ceux à qui il faut en donner. Mais le reste de l’année n’est pas pour autant des vacances !

– Évidemment ! Mais quand je disais vrai, je parlais de l’heure, Lud’.

– ‘Comprends pas…

– Aaah… soupira Firmin. C’est pas étonnant, vu l’état que tu te traînes depuis des années, voire des siècles…

Un éclair retentit. Ludger scruta le ciel, attentif. Quoi ? Qu’est-ce c’était ? Il avait bien entendu un éclair, très proche même, mais rien de visible dans le ciel. Et ce n’était pas Lui non plus, car Firmin ne semblait n’avoir absolument rien entendu. Sans doute parce qu’il était trop occupé à rire de sa situation. Il soupira. Voilà qu’il avait des hallucinations maintenant…

– Bon, moi j’y retourne.

– Y retourne ?

– Ouaip ! Moi je suis au taquet depuis le début de soirée de la veille. T’as pas idée du nombre de couples que j’ai envoyé au pieu cette nuit, hahaha !!

Ludger regarda son congénère, abasourdi.

– Mais… l’amour ce n’est pas que du sexe ! Ça ne sert à rien ce que tu fais, Firmin !

– Mais si !! Parce que là, ils ne vont pas tarder à se réveiller, et moi BAM, une nouvelle flèche ! Avec de la chance ils resteront ensemble entre quelques semaines et quelques mois, hahahahaha !!

Et il s’en alla en volant joyeusement, un petit air pervers sur le visage. Et il osait se prétendre un Cupidon ? La déprime de Ludger augmenta de belle. Le soleil en profita pour s’élever complètement, illuminant le ciel et le monde de sa lumière. Ah, si éblouissante… si pénible, oui. On dirait qu’elle le narguait, en plus. Foutue lumière !

Au bout d’un moment, il décida de se lever et d’essayer de faire quelques couples, histoire de remplir un peu ses quotas. Même s’il savait que ça ne servait strictement à rien. Les gens ne croyaient plus en l’Amour, depuis plusieurs dizaines d’années maintenant. Seuls les enfants et adolescents possédaient encore cette croyance, et encore. En même temps, avec leur connerie de “Prince Charmant”, il ne fallait pas espérer autre chose !

Plusieurs heures s’étaient écoulées, durant lesquelles quelques flèches avaient été tirées sans grande conviction sur de potentiels couples, qu’ils soient hétéro ou homo, mais qui avaient néanmoins touché leurs cibles. Malheureusement pour ses quotas et sa joie de vivre, la plupart des gens semblaient immunisés. Comme d’habitude. À croire que c’était pire d’années en années ! À un moment, il y en avait même une qui avait carrément ricochet et avait failli éborgner Ludger !! D’ailleurs, à ce moment-là, un autre éclair avant retenti, alors que le ciel était dégagé. Et il ne savait pas pourquoi, mais cet étrange éclair imaginaire avait encore plus aggravé son état. Il était maintenant à bout, et il n’était même pas encore midi. Super…

Ludger voletait avec lourdeur à la recherche d’une dernière cible avant la pause de midi (bien qu’il n’avait pas besoin de manger), lorsqu’il tomba sur un pauvre type vraiment pas gâté par Lui. Mais alors vraiment pas. Il avait presque réussi à faire éprouver de la pitié à Ludger, tiens… Ça laisse imaginer la gueule du mec. Le Cupidon regarda dans les alentours et en vit un autre dans le même cas. Il n’y avait pas à dire, Il pouvait être cruel quand Il s’y mettait. Grâce à ses pouvoirs, Ludger découvrit qu’ils étaient tous les deux hétéros. Il soupira. On s’acharnait sur lui, c’était pas possible… Oh, et puis merde ! Il y en avait marre !! Sur un coup de tête, Ludger leur décocha à chacun trois flèches en plein cœur. Ouaip, il était tellement exaspéré que voilà qu’il tentait des expériences bizarres. Bon, avec le recul, pas si bizarre que ça vu les temps actuels sur Terre, mais c’était quand même deux gros laiderons d’hétéros. Et puis, si ça marchait vraiment, même si Ludger était sûr que non, il pourrait sans doute faire ça de temps en temps pour s’amuser. Peut-être ? Du moins, s’il se rappelait comment faire, surtout.

Quelques dizaines de minutes passèrent, et à son grand étonnement (après avoir observé le leur en direct), les voilà en train de se faire de l’exploration buccale en pleine rue, tout en parlant de se trouver un hôtel pas loin. Ludger en rit. Mais pas un rire simple ou amusé, non, c’était un genre de rire flippant avec pétage de plomb en bonus. Cela faisait il ne savait plus combien de siècles qu’il donnait l’Amour aux êtres humains, Amour avec un grand A, ce sentiment pure, intense et précieux qui était censé révéler le meilleur d’eux-même afin qu’ils puissent construire quelque chose de beau et de fort ensemble ; et la seule chose qu’ils en gardaient était de se chatouiller réciproquement l’intimité ?!!

Un éclair retentit. Suivi d’un autre. Et d’encore un autre, et encore un autre, et encore, et encore, jusqu’à ce que le bruit ressemble à celui d’une armée de Spartiates enragés en train de charger contre les portes d’une cité grecque. Ludger ressenti un sentiment inconnu s’infiltrer en lui, prendre possession de lui, de son corps et sa raison. Et putain ce que c’était jouissif, il n’avait jamais éprouver ça de toute sa très longue vie ! Depuis combien d’années… non, de siècles ne s’était-il pas senti aussi vivant ?! Si bien ?! Si joyeux ?! Il remarque alors que son arc et ses flèches avec le carquois avaient changé de couleur : du rose bonbon atroce, ils étaient désormais d’un noir sombre. Étrangement, nul étonnement de sa part, ni de questions non plus. Son rire repartit de plus bel, et il décida de bombarder ces enfoirés d’humains avec son nouvel équipement. Et avec tout son amour, bien sûr.

– C’est l’heure de jouer, mes chéris !!

Et Ludger s’en donna à coeur joie. Les membres du premier “couple” qu’il inaugura de ses nouvelles flèches se fixèrent avec un regard animal traqué juste avant de se jeter littéralement dessus, armés de la première chose se trouvant à portée de mains. Les cris qui retentirent lui firent chaud au cœur. C’était si beau, si mélodieux ! Il fallait que ça continue ! Et ce qu’il fit avec très grand plaisir.

Pendant près de deux heures, Ludger fit connaître à cette ville une hécatombe, telle qu’elle n’en avait jamais connu, et qu’elle ne connaîtrait jamais plus. En partie parce qu’il ne restait plus grand monde vivant là-dedans. Mais quelle importance ?! Après tout, il existait des millions d’autres villes comme celle-ci avec un nombre gigantesque d’habitants qui n’attendait que ses flèches pour exprimer leur amour envers leurs prochains ! Ah, que c’était magnifique… Le rouge était la seule couleur de l’amour. Et de là où Ludger se tenait, elle était si étincelante !

– Ludger !!! Qu’est-ce que tu fais par Lui ?!! Tu es devenu fou ?!!

L’interpellé leva les yeux et découvrit que plusieurs de ses congénères l’encerclaient, le regard complètement atterré, effrayé, et en colère. Il leur sourit et la peur se peignit sur leur visage. Délicieux.

– Moi ? Je leur donne ce qu’ils veulent tous : l’Amour !!

Silence de stupeur de la part des Cupidons. Tss, ils n’y connaissaient vraiment rien.

– T-tu délires, mon vieux !! En quoi est-ce l’Amour ce que tu fais ?!

Firmin s’était quelque peu avancé vers Ludger en parlant. Bizarre, il ne l’avait pas remarqué avant parmi les autres, pourtant avec ses cheveux bruns, il sortait du lot massif de mèches blondes qui composait la quasi-totalité du corps des Cupidons.

–En quoi ça n’en est pas, dis-moi ?! rétorqua Ludger en écartant les bras, avec un grand sourire. Les humains aiment, que dis-je, sont fous de joie à l’idée de semer la mort et la destruction autour d’eux !! Et moi, en tant que Cupidon, je leur permets d’accéder à ce bonheur, à cet Amour inoubliable !!!

Et Ludger éclata de rire. Fortement, bruyamment, le tout baigné dans la folie.

– Ludger… Arrête. Tu ne peux pas continuer.

Le rire se stoppa net.

– Pardon ?

Ludger regarda son camarade d’un oeil noir et mauvais, une partie de son attention redirigée sur les intrus qui resserraient les rangs autour de lui.

– Tu veux m’empêcher de faire mon travail, Firmin ?

Un sourire démoniaque s’étira sur ses lèvres, et il pointa du doigt dans un geste plein de défi son empêcheur de tourner en rond.

– Vas-y. Si tu le peux !

Ludger s’envola dans un nouveau rire dément et fit pleuvoir un nombre incalculable de flèches sur ses adversaires. Il en toucha certains, mais malheureusement aucun ne subit le moindre changement ou n’en mourut. Il était capable de viser bien mieux que ça tout de même, mais il fallait dire que ses cibles habituelles étaient immobiles ou bougeaient vraiment plus lentement que celles qu’il avait actuellement en face de lui. Et ce n’était pas le seul problème. Ces foutus Cupidons étaient plusieurs dizaines et il s’était déjà mangé pas mal de flèches, trop nombreuses pour qu’il puisse toutes les esquiver. Il ne s’était écoulé que dix minutes environ depuis le début du combat, et si ça continuait comme c’était parti, ça allait mal finir pour sa pomme. Ludger se voyait mal rester enfermé dans les geôles du Paradis pour l’éternité. Quant à mourir, il n’était pas très chaud non plus. Quoique… vu ce qu’avait été sa vie jusqu’à présent, se faire buter par ses semblables était sûrement la chose la plus logique et cohérente qui puisse arriver. Et il avait eu beaucoup de joie et d’amusement à la fin, alors bon.

Ludger abaissa son arc, une flèche toujours encochée. Les autres durent croire qu’il allait se rendre car ils stoppèrent leur assaut. Il en profita pour jeter un coup d’œil circulaire et s’arrêta sur Firmin. C’était le seul qui avait continué à lui parler depuis mon abandon en Juillet 1789. Le seul qui malgré tout avait essayé de l’aider. Son seul ami. Hmm… candidat idéal pour la situation, mais franchement pas sympa de sa part, certes. Mais rien à foutre. Son choix était fait. Il inspira profondément et poussa un cri rauque avant de foncer à la rencontre de Firmin, sa flèche visant son cœur. Sa tactique surprit l’autre Cupidon, pensant comme les autres que Ludger allait se rendre. Mais Firmin s’en remit très vite et, comme il s’en doutait, fut plus rapide que lui, lui transperçant le cœur de sa flèche. Ce cœur qui avait arrêté de croire à l’Amour. Ils se trouvaient à moins d’un mètre l’un de l’autre, Ludger pouvant lire sur le visage de Firmin toute la tristesse, toute l’impuissance et tout le regret qu’il éprouvait. À cause de lui. Pour lui.

La vision de Ludger devint floue, Firmin disparaissant peu à peu. Puis ce fut le noir. Ludger était mort, libéré de sa vie et de ses obligations du Cupidon, et avait enfin cessé d’exister. Mais malheureusement, pas pour longtemps.

L’ancien Cupidon reprit conscience, debout, ses petites ailes (étonnamment toujours présentes) le portant à quelques centimètres au-dessus du sol. Autour de lui, le paysage était tout en pierres dans un mélange de rouge, de noir, et de cendres. Et il faisait très chaud. Ça ne ressemblait en rien à tout ce que Ludger connaissait.

– Je suis où encore ?...

– En Enfer, très cher.

Une personne venait d’apparaître, mais impossible de définir son genre tant son apparence était androgyne. Pas comme si ça l’intéressait de toute façon, honnêtement il n’en avait rien à carrer ! Ses paroles en revanche…

– Hein ?

– Après ce que tu viens de faire, c’est assez normal, tu ne crois pas ?

Ludger fixa la personne d’un regard morne et désespéré. Il ne pouvait pas tout simplement disparaître dans le néant, sérieusement ?!

– D'ordinaire, si, répondit son interlocuteur comme s’il avait lu dans ses pensées.

Ludger soupira. Même dans la mort, il ne pouvait pas avoir la paix. Il n’y avait pas un coin tranquille où il pouvait se rouler en boule pour déprimer ?

– Allons, allons, Je me donne la peine de venir te voir, Moi, Lucifer, et c’est ta seule réaction ? Tu es vraiment un cas grave dans ton genre, le sais-tu ?

– L-Lucifer ?! Pourquoi ?

Ludger recula légèrement. Qu’est-ce qu’Il lui voulait ? C’était quand même le Diable, l’Ennemi numéro un de Lui, de Dieu !

– Mais pour ton exploit, mon cher !! Un vrai chef d’œuvre, d’ailleurs !! J’ai adoré. Sincèrement. C’est pourquoi j’ai un boulot à te proposer.

La surprise passée, il soupira à nouveau.

– Du travail, encore ? Je ne peux pas rester dans un coin à déprimer sans être dérangé ?

– Et gâcher ton talent ?!

Il avait l’air presque choqué. C’était possible, au moins, de Sa part ?

– Allons, allons… Tu vas adorer, j’en suis sûr. Ça te dirait de m’aider à déclencher la Troisième Guerre Mondiale ?

Ludger le regarda quelques secondes, se remémorant les dégâts que les deux précédentes avaient causés et engendrés. Ça avait un monstrueux et beau bordel. Un mince sourire apparut sur son visage.

– Possible… Ça m’a l’air assez amusant. Avec des résultats plus probants par rapport à ce que je faisais avant.

Tout de suite après, Ludger sentit des picotements dans ses ailes. Tournant la tête pour y jeter un oeil, il vit qu’elles avaient perdu leur blancheur immaculée, pour sombrer dans une noirceur souillée de taches de sang séché.

– Voilà une couleur plus saine. Mais la toge, ce n’est pas du tout raccord. Il faut vivre avec son temps.

Le Diable fit un geste de la main, et son vieux morceau de tissu blan se transforma en ensemble noir (évidemment) moitié jean, moitié cuir. Ludger haussa un sourcil devant un tel changement.

– Il faut être sexy pour recruter des adeptes.

Bah, ce n’était pas quelque chose de très important pour lui en soi. Juste que ses cheveux roux allaient être encore plus voyants qu’avant. Mais bon, qui disait nouveau boulot et nouvelle vie, disait nouveaux vêtements ! Et c’était donc décemment saper qu’il suivit Lucifer dans ses projets complètement délectables.


Texte publié par Yuedra, 20 novembre 2025 à 03h34
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