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Je mélange le contenu du chaudron avec précaution, versant minutieusement quelques gouttes d’un liquide onctueux dedans. La couleur change, et l’odeur devient âcre. Je fais la moue. J’ai encore pas mal d’efforts à faire pour créer des préparations inodores. Je jette un œil à l’ouverture servant de fenêtre, située tout en haut du mur du cachot de ce côté-ci, et à raz du caniveau de l’autre côté. Son seul rôle étant d’éviter que les alchimistes de mon niveau ne meurent étouffés par les vapeurs de leurs propres décoctions.

– Vous y êtes presque.

Je me tourne en direction de la voix et manque de renverser mon chaudron sous le choc. Lui, ici. Que fait donc cet homme si illustre, doté d’un tel génie, dans le cachot miteux du novice que je suis ? Il ne descend que rarement de sa tour, et encore moins pour se mêler aux nouvelles recrues du royaume. Et voilà que le grand Ure de Anssy me fait un compliment !

– Je vous remercie pour vos encouragements, messire, dis-je d’une voix peu assurée, celle que je déteste tant. Mais je crains avoir encore un long chemin à parcourir pour ne serait-ce qu’être satisfaisant dans cette catégorie de potions.

Le Maître des Potions s’approche, me regardant d’une étrange façon. Je ne peux m’empêcher de frissonner sous ce regard scrutateur où étincelle par moment une lueur cruelle et enivrante.

– Votre nom, jeune potionniste ?

– Bau de Liktuh, Maître.

Il hoche la tête, comme s'il reconnaissait mon nom. Mais cela est impossible, car je viens d’une obscure famille, en plus d’être le quatrième fils de la lignée.

– Depuis quand êtes-vous entré au service de Sa Majesté ?

– Depuis bientôt un an, Maître.

Un sourire mauvais s’étire sur son visage, ses lèvres dévoilant des dents en assez bon état au vu de sa profession. Je ne peux m’empêcher de les vouloir contre ma peau.

– Je vois. Dans ce cas, je vous souhaite bonne continuation dans vos expérimentations, Bau de Liktuh.

Et il s’en va, tandis que chaque partie de mon corps réagit au son de mon nom porté par cette voix suave.

Des semaines passèrent…

J’ai eu l’immense chance de recroiser Maître Ure depuis notre première discussion, et cela plusieurs fois. Presque tous les jours ! Plus le temps passe, plus mon admiration grandit pour cet homme affable avec le Roi et sa Cour, sévère face à ses confrères pourtant reconnus et aguerris, et à la limite de la divinité pour nous, pauvres apprentis en quête de savoir. Savoir qui entoure cet homme telle une aura mystique, lui assurant un charisme dont je suis sa principale victime. Et la seule, je le souhaite.

– Tiens, tiens… Bau, si je ne me trompe pas.

Mon cœur loupe un battement. Ma respiration devient presque inexistante quand mes yeux se posent sur le torse du Maître des Porions, à peine couvert par sa chemise ouverte. Je dois me forcer à lever les yeux vers son visage et me persuader que je ne suis pas en train de rougir, afin de garder une certaine contenance.

– Oui, Sire. C’est bien moi.

Son visage s’affuble d’un sourire carnassier tout en faisant quelques pas dans ma direction.

– Vous tombez bien, mon jeune ami. Pouvez-vous me suivre ?

– Euh, eh bien… oui, bien sûr Maître, bafouillai-je, surpris par cette demande.

Le potionniste fit demi-tour, et je me mis à le suivre, curieux de savoir quelle affaire liée à une personne ayant ses qualifications requiert la présence d’un apprenti tel que moi.

Nous débouchâmes dans une vaste salle, bien mieux éclairée que ma salle de travail, et surtout beaucoup mieux fournie en ingrédients et potions de toutes sortes. Ce n’est qu’une fois que la lourde porte en chêne s’est refermée derrière moi, que je compris que je me trouvais dans le cachot du Maître lui-même. Quel honneur !

– Alors… où est-ce ?…

Il fouille parmi les bouteilles d’une de ses nombreuses étagères, pendant que je tente de maintenir l’excitation grandissante en moi à un niveau raisonnable.

– Ah, s’exclame Maître Ure, tenant une petite fiole en verre dans sa main. J’aimerais, mon cher, que vous buviez une gorgée de ceci.

– Pardon ?

Il a un rire compatissant.

– N’ayez crainte, c’est un antidote. J’aimerais savoir si le goût que vous aurez en bouche est le même que celui que j’ai expérimenté. Son destinataire, voyez-vous, a le palais très sensible. Il m’a donc été demandé une panacée au goût agréable.

Remis de mon étonnement, je considère les paroles du Maître avec soin. Les nobles et les bourgeois, sans parler de la famille royale, mangent depuis leur naissance des plats raffinés et certains ne sauraient avaler quelque chose ayant mauvais goût, même si cela devait leur sauver la vie.

– Eh bien, si l’humble apprenti que je suis peut vous aider à satisfaire cette requête, c’est avec honneur que je me soumets à ce test.

L’homme me tend la fiole, et j’en bois une gorgée. Mais à peine le liquide goûteux se déverse dans ma gorge, que mes yeux s’écarquillent de surprise et de peur.

– Mais !…

Je tousse. Beaucoup. Je lâche le flacon qui se répand sur le sol, et je ne peux m’empêcher de voir cela comme du gâchis. Au contraire, le potionniste ne semble pas s’en préoccuper plus que cela.

– Rassurez-vous, je l’ai dilué suffisamment pour que la préparation ne soit pas mortelle avant plusieurs jours, me dit-il d’un ton aimable. Et je possède l’antidote, qui plus est. Le vrai, cette fois.

Je tends la main, mais elle se referme dans le vide. Pourquoi ? Pourquoi le Maître des Potions du royaume empoisonnerait un des apprentis du même royaume ?

– Pour… p-pourq-quoi ? essayé-je d’articuler avec de grandes difficultés.

L’homme s’approche de moi, un air sadique et fou peignant son visage avenant.

– Pour le plaisir, voyons.

Je m’écroule sur le sol, toussant de plus belle. De petites gouttes rouges tâchent le plancher. Qu’est-ce ?

– Oh, il semblerait que j’ai surestimé votre corpulence. Finalement, vous en aurez juste pour plusieurs heures, annonce-t-il d’une voix posée, mais quelque peu peinée. À moins bien sûr, que vous ne preniez l’antidote. Le voulez-vous ?

Je hoche la tête avec toute l’énergie qu’il me reste, ne pouvant plus parler.

– Et qu’êtes-vous prêt à faire pour l’avoir ?

C’est donc ça. Un échange. Ma vie contre une servitude totale. J’avais entendu des rumeurs sur Ure de Anssy, mais je n’y avais pas prêté attention, pensant que leur source venait de personnes jalouses de ses talents. Je me trompais. J’ouvre la bouche, mais seul un son rauque franchit mes lèvres. Je retente, mais obtient le même résultat. Je lève donc la main et fais une espèce de cercle avec.

– Oh, vraiment tout ? susurre-t-il à mon oreille.

Je ne peux empêcher mon corps de réagir à nouveau à cette voix si près de mon épiderme, malgré la mort s’insinuant lentement en moi. Je hoche une nouvelle fois la tête.

– Merveilleux ! s’écrit-il en ouvrant la fiole.

Mais avec cette toux, il m’est impossible d’avaler quoique ce soit. C’est ce que je pense avant de le voir prendre lui-même le remède, puis me le transférer avec force. Je m’étrangle à moitié alors que, suivant le chemin tracé par le liquide salvateur, sa langue pénètre dans ma bouche. L’intrusion dure de longues minutes, quand il décide enfin à me laisser respirer de nouveau. Le repos est malheureusement de courte durée, car il se met à me traîner par mes habits jusqu’à son lit, situé dans une alcôve abritée de la pièce.

– La frustration n’était vraiment plus tenable.

Et sur ces mots, il referme les tentures de tissus, nous isolant.

Des mois passèrent…

Je me trouve devant un miroir, mais je ne me reconnais pas. Mes cheveux épais et brillants, sont devenus ternes et filasses. Mon teint, déjà clair, est maintenant terne, presque cireux. J’ai également maigri, malgré ma rigueur à manger pour deux de la viande et des aliments gras.

Les rumeurs au sujet du Maître des Potions, a contrario, ont enflé au fil du temps. Tout le monde désormais, y compris le Roi j’en suis sûr, sait ce qu’il se passe. Mais personne ne fait rien. Certains ont essayé, il est vrai, mais lorsque je leur ai raconté le déroulement des choses, ils se sont retirés.

C’était mon choix après tout. J’aurais pu accepter de mourir, plutôt que de vivre cette servitude. Mais je n’ai pas pu. Je ne peux pas. Maître Ure m’attire depuis la première fois où j’ai posé les yeux sur lui, lors de mon entrée au château. Cette attirance malsaine est un plaisir irremplaçable pour moi.

– Bau, appelle Maître Ure à l’autre bout de la salle. Il y a une nouvelle décoction a essayé.

– J’arrive.

Je me détourne de mon reflet étranger et soulève les tentures désormais familières pour découvrir le garant de mes plaisirs et douleurs, sans vêtements et s’appliquant une lotion sur une zone très précise de son anatomie.

– Sur vous, Maître ? m’étonné-je.

– Ne t’inquiète pas Bau, j’ai déjà pris l’antidote.

Naturellement. Jamais il ne subit. Mais cela ne me dérange plus.

– Et puis, il en reste assez pour que je le partage, déclare-t-il en secouant faiblement le flacon de verre.

Sachant par expérience ce qui va suivre, je me débarrasse de ce qui ne me sera pas utile. C’est-à-dire, tout ce que je porte.

– Quels sont les effets ? ne puis-je m’empêcher de demander.

Un sourire enjoué illumine son visage, découvrant des dents ayant maintes fois goûté à ma pauvre chair.

– Une sensation de brûlure sur la zone de contact. Les plus fragiles de mes cobayes en ont eu des spasmes.

Je ne peux que hocher la tête face à cette affirmation. Les tentures se referment de nouveau, créant cette atmosphère tentatrice et envoûtante dans laquelle je me complais dans une douleur si belle et si intime. Je ne suis qu’un jouet pour cet homme, un objet avec lequel il réalise ses fantasmes les plus tordus. Je sais que je finirai par mourir à cause de l’une de ses envies. Mais peu m’importe. Je résisterai aussi longtemps qu’il m’est possible. Je veux continuer à succomber à ce plaisir nuisible, à sentir le corps de cet homme dominé le mien sans la moindre douceur.

Je mourrai dans les bras de mon bourreau, pénétré par un poison que lui seul est capable de créer.


Texte publié par Yuedra, 20 novembre 2025 à 02h28
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