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— Bienvenue à Déneb, Odysseus, fit la voix froide de l’intelligence artificielle du port. Une patrouille de sécurité viendra contrôler votre navire dans vingt minutes.

— Bien reçu, Déneb, répondit Aldric.

— Veuillez patienter à vos coordonnées actuelles.

Confortablement installé dans le siège de commandement, Aldric porta sa tasse chaude à ses lèvres tout en s’abimant dans la contemplation de la cité, que les caméras lui montraient dans toute sa splendeur.

La capitale du Rassemblement, nichée sur un plateau rocheux, scintillait de mille feux. Le dôme de protection ondulait doucement et dévoilait la ville de métal, de verre et de composite qui hébergeait environ vingt-mille habitants, à cinq-cents mètres de profondeur, dans l’océan de Palladium.

Trois arcades d’acier renforcé se réunissaient en son centre pour supporter une gigantesque tour qui grimpait jusqu’à la surface. La corolle qui ornait son sommet, invisible depuis leur position, captait les rayons des soleils jumeaux : l’énergie se déversait ensuite dans la superstructure et dans la cité. En complément, au pied du contrefort, un champ d’hydroliennes profitait des puissants courants océaniques qui traversaient la zone.

Les bâtiments et les habitations se regroupaient autour des trois pieds. Enfin, d’immenses jardins verdoyants s’épanouissaient dans le cercle extérieur.

Le Rassemblement était synonyme de protection et de tranquillité pour le commandant de l’Odysseus. Il s’y était réfugié quand son père lui avait rendu sa liberté. Au fil des années, sa loyauté envers cette république avait grandi, au point qu’il se considérait comme l’un de ses citoyens à part entière. Cependant, il n’avait pas encore accepté de prendre un équipage, pour des raisons de sécurité – du moins, était-ce le prétexte qu’il se donnait –, et ses relations sociales se limitaient à un cercle de connaissances. Personne ne savait ce qu’il était. En tout cas, aucun humain.

Malgré tout, l’idée de croiser pendant quelque temps dans ce secteur lui réchauffait le cœur. Après ses aventures, il avait besoin de temps pour guérir et pour réfléchir à la suite qu’il voulait apporter à sa vie.

Sa rencontre avec Yfris et son peuple était gravée dans son esprit. Il se remémorait souvent son beau visage ou ses trilles joyeux. Y penser provoquait un mélange d’émerveillement et de tristesse, comme s’il avait abandonné derrière lui une opportunité extraordinaire.

La responsabilité qui lui incombait était énorme : devait-il laisser les myratiens en paix, au risque que quelqu’un de moins bien intentionné que lui les trouve ? Amaresys ne pourrait pas éternellement les cacher aux yeux des humains. Ce n’était pas un hasard si Génésys y avait envoyé cette sonde. Devait-il annoncer au gouvernement du Rassemblement ce qu’il avait découvert ? Il avait confiance en ses dirigeants, mais il savait aussi que la perfection n’existait pas. Comment la rencontre se passerait-elle ? Toutes ces questions, à la fois enthousiasmantes et effrayantes, lui donnaient la migraine.

Il fixa le disque dur qu’il avait arraché au drone de Génésys. Il était posé sur la console principale, connecté au serveur central du sous-marin. Ava avait décrypté la boite noire : elle contenait des images des myratiens, des enregistrements de leur musique – leur langage. La vidéo du moment où Zaphnis s’était innocemment approché de l’engin et où ses systèmes de sécurité l’avaient blessé avait serré le cœur du commandant. La voix de son amie le tira de ses pensées.

— Es-tu content de rentrer ?

— Comme toujours. Content de rentrer. Content de repartir.

— Le représentant d’Espérance est impatient de nous retrouver. Il accepte ta proposition de transport avec joie. Il nous rejoindra directement au port. Je lui ai transmis le contrat standard.

C’était la première fois qu’Aldric prenait un passager sur son navire. Partagé entre l’anxiété et l’anticipation, il ne savait pas trop quoi en penser. Pourtant, il devait bien ça à la colonie : son retard pourrait avoir de sérieuses conséquences sur sa survie.

— On le fera gratuitement. Ils nous ont déjà payés.

— Évidemment.

— Le temps que je dépose le disque dur au siège de Génésys et qu’on ravitaille le sous-marin, et nous reprendrons la route.

Un silence lourd s’étendit sur la passerelle. Le regard d’Aldric fut à nouveau attiré par l’objet noir.

— Que veux-tu faire ? finit par demander Ava.

— Génésys va considérer que je suis un incapable. Dans le meilleur des cas. Ils ne me proposeront plus jamais un contrat.

— Ou alors ils penseront qu’il a été endommagé par l’accident.

— De toute manière, on n’a pas le choix. Hors de question qu’on laisse à cette corpo les images des myratiens. Tu sais bien ce qu’ils en feraient…

— Sans aucun doute.

Aldric pinça les lèvres.

— Fais-le.

— Effacement des données en cours. Durée : dix minutes.

Son cœur s’allégea soudain. Il venait sans doute de briser la porte d’entrée qu’il avait tenté de se ménager dans la corporation qui était responsable de sa création, mais cela ne le touchait étrangement pas. Les myratiens étaient bien plus importants que sa vengeance.

— Je me sentirai plus à l’aise quand on sera éloigné de la capitale. J’ai l’impression que tout le monde peut voir ce que nous avons découvert écrit en lettres de feu sur la coque.

Ava ne commenta pas, comme d’habitude. Aldric sourit : certaines choses restaient immuables, et c’était assez rassurant. Comme l’Odysseus. Comme Ava.

— Cela nous fera du bien de rester tranquille un moment, continua-t-il. Avec les enregistrements que nous avons, je vais travailler sur un programme de traduction. Cela nous sera utile…

— Pour quelle raison ? répondit Ava.

— Nous en aurons besoin. Quand nous retournerons voir les myratiens.