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tome 1, Chapitre 11 tome 1, Chapitre 11

Flottant entre deux eaux au centre du gouffre, Aldric contemplait la ville myratienne en attendant Yfris. Ava lui avait donné l’autorisation de quitter l’Odysseus, après une dizaine d’heures de repos, et quatre côtes réparées. Son bras gauche, recouvert d’une attelle en tissu protéiforme, était blotti contre sa poitrine. Il sentait la masse de son sous-marin au-dessus de lui et cela le rassurait.

Amaresys et lui avaient eu une longue conversation à son réveil. Quelle expérience étrange d’entendre la voix d’une autre intelligence artificielle par les haut-parleurs de son navire ! Elle avait une singulière manière de s’exprimer, à la fois mots et musique. Elle semblait résignée face au choix de son peuple, qu’il avait validé par un vote. Mais cela ne l’avait pas empêché de formuler des avertissements et des menaces. Aldric ne s’en formalisa pas, car il la comprenait.

Face au spectacle de cette cité sous-marine si différente de celles des humains, il sentait son cœur battre plus fort et plus vite.

Le gouffre s’enfonçait à huit-cents mètres de profondeur. Quatre passerelles formaient une croix et reliaient les bords à une construction hélicoïdale qui descendait jusqu’au fond et culminait par une coupole. Le matériau nacré et lisse brillait légèrement. Entre chacune d’elles s’étendait une sorte de membrane translucide parcourue régulièrement d’éclairs d’énergie. Des myratiens vaquaient à leurs occupations près des fumeurs, ramassant des algues, capturant des poissons, des crevettes ou des crabes. Ils faisaient mine de ne pas se préoccuper de lui, mais il avait croisé quelques regards curieux. Ils échangeaient fréquemment des trilles et des phrases musicales courtes, qui fascinaient Aldric.

Au bout de quelques minutes, Yfris sortit de la coupole et le rejoignit. Il l’accueillit d’un sourire et elle lança un accord. Joie, plaisir. Elle luit prit aussitôt la main et tenta de l’entrainer. Hésitant, il résista. Deux notes aigües montèrent dans l’eau, suivies par des accords plus doux. Confiance, sécurité. Aldric hocha la tête. Ils s’élevèrent au-dessus du dôme central.

Là, il eut un point de vue fantastique sur la ville qui s’étendait sous lui. Il tourna sur lui-même en regardant vers le bas, cherchant à tout voir. Le long des parois rocheuses, sur des plateformes faites de la même matière blanche que les passerelles, se dressaient de gracieuses structures sphériques ou coniques. Au fond, des myratiens allaient et venaient. D’autres entretenaient des plantations aux couleurs verte, rouge, ou bleue, qui poussaient entre des allées de sable. Des maisons s’élevaient aux alentours. Des syfaons – ces animaux mi-terrestres, mi-marins – s’amusaient auprès d’eux ou les accompagnaient, comme des animaux domestiques.

— C’est impressionnant, fit Aldric en se tournant vers Yfris.

Celle-ci sourit. Une mélodie brève et limpide jaillit de sa gorge. Fierté. Le commandant n’était toujours pas certain qu’elle comprenait ses mots. Ses intonations et ses expressions l’aidaient-elles à interpréter ses paroles ? Ou bien percevait-elle ses pensées ?

Elle lui prit la main et l’entraina dans le dôme, par l’une des portes : ils traversèrent une substance élastique et membraneuse, qui s’ouvrit juste assez pour les laisser passer et pénétrèrent dans une salle arrondie, aux parois transparentes. Au centre, un orifice circulaire, fermé par la même membrane, permettait d’atteindre les niveaux inférieurs. Une musique les entoura. Yfris répondit joyeusement. Aldric regarda autour de lui, à la recherche de haut-parleurs. Mais aucun mécanisme n’était en vue. Il avait l’impression que le matériau lui-même transmettait les sons. La mélodie se répéta, légèrement différente, plus adoucie. Yfris lança un trille de trois notes.

— Qu’est-ce qui se passe ? questionna-t-il.

— Ne vous inquiétez pas, fit Amarésys dans son communicateur. Yfris voulait vous parler.

Aldric retint un sursaut. La seule voix qu’il était censé entendre dans son casque était celle d’Ava.

— J’ai prévenu Ava, continua-t-elle.

— Oh ! Je n’avais pas réalisé que vous étiez si proches, toutes les deux.

— Rassurez-vous. Elle a manifesté son désaccord. Elle est très protectrice.

Aldric regarda Yfris, qui le fixait. Celle-ci lâcha un trille. Question.

— Elle veut savoir si vous comptez repartir, traduisit Amarésys.

Aldric riva son regard sur les yeux bleus d’Yfris. Pour la première fois, il parvint à distinguer les reflets dorés qui s’y cachaient. Son visage rond, aux traits fins, arborait une expression concentrée.

— Nous devons rentrer à Déneb, effectivement, expliqua-t-il.

Une mélodie lente et douce envahit l’espace. Sans quitter Aldric des yeux, Yfris crispa la bouche. Sa gorge ondula alors qu’elle répondait par des accords sourds. Déception, tristesse. Le cœur d’Aldric se serra. Amarésys ne prit pas la peine de traduire.

— J’ai une mission à achever, insista le commandant, dans l’espoir qu’elle comprenne. Je dois apporter des marchandises à une colonie qui les attend avec impatience.

L’intelligence traduisit. Après quelques secondes, Yfris hocha la tête, mais son expression déçue ne la quittait pas. Elle se rapprocha, effleura le casque d’Aldric et laissa un sourire errer sur son visage, puis elle s’engouffra dans l’ouverture circulaire. Soudain rempli du désir de passer plus de temps avec elle, Aldric fut tenté de la rappeler. Mais il retint son geste.

— Elle est triste, exprima-t-il à voix haute.

— Vous l’intéressez, répondit Amarésys. Yfris est une âme curieuse et aventureuse. Elle rêvait de quitter cet endroit et d’explorer le monde. Votre arrivée était une aubaine pour elle.

Aldric hocha la tête. La vérité était qu’il n’avait pas vraiment envie de partir, mais il ne souhaitait pas non plus rester ; il avait une mission à accomplir, la quête qu’il s’était donnée.

— Je dois rapporter le disque dur à Génésys, lâcha-t-il.

— Pourquoi ? Parce que vous avez signé un contrat avec eux ?

— C’est… personnel.

Le silence s’étendit entre eux pendant de longues secondes. Puis la voix de l’intelligence artificielle retentit à nouveau.

— Vous faites ce que vous avez à faire, commandant. J’ai accepté de vous épargner, parce que c’était le désir de mon peuple. Peut-être est-il temps que le reste de la planète fasse sa connaissance. Si, par vos actions, vous apportez le malheur ici, je saurai les protéger, dussè-je périr moi-même. Et je veillerai à ce qu’Yfris et les autres apprennent votre trahison.

— Je n’ai pas le choix, souffla Aldric.

— Je crois que si. En fin de compte, il s’agira toujours de votre décision.


Texte publié par Feydra, 18 novembre 2025 à 23h15
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