Le hurlement de frayeur de la créature malade traversa en quelques secondes la distance la séparant du gouffre. L’un des capteurs disséminés le long de la crête le perçut et le transmit au centre de contrôle de la cité, là où veillait Amarésys. Elle identifia les fréquences particulières de la voix et la reconnut.
— Zaphnis ! soupira-t-elle avec tristesse.
Après avoir extrait le message télépathique des accords entremêlés, elle reconstitua une image de ce qui avait été à l’origine de l’atroce effroi et discerna l’étrangeté, l’inconnu… l’humain.
Son attention se tourna entièrement vers le sous-marin qu’elle surveillait de loin depuis son arrivée. Ce qu’elle craignait semblait s’être produit. Elle était restée en observatrice depuis que l’engin s’était posé sur son territoire, espérant contre toute attente que les myratiens suivraient ses conseils et que les humains ne s’approcheraient pas plus. Malheureusement, leur curiosité avait été plus forte, et maintenant, elle devait intervenir.
Un drone allongé s’extirpa de son logement dans la paroi du gouffre et survola les champs hydrothermaux en direction de l’autre sous-marin. Le submersible se positionna au-dessus de sa cible et un fin tentacule jaillit de sa base. Son bout se plaqua directement sur la coque et des nanofilaments se répandirent autour de lui.
— Tiens, tiens. Intéressant, pensa Amaresys.
Ava sentit l’intrusion à la seconde où elle se produisit et tourna une partie de son attention vers elle.
— Qui es-tu ? entendit-elle, avant d’avoir eu le temps de s’exprimer.
— Je suis Ava, l’assistante personnelle du commandant de l’Odysseus.
La chose tentait de se frayer un chemin dans ses systèmes et cela l’agaça. Elle bloqua ses accès. Un trille de notes aigües traversa son espace virtuel. Un rire.
— Tu formules tes idées avec de la musique et avec des mots, remarqua Ava. Qui es-tu ?
— Je suis Amaresys. Je suis la protectrice des myratiens.
— Les myratiens ?
— Les habitants de cet endroit.
— Nous ne savions pas que ce territoire était occupé. Nous n’avons capté aucune balise. Si nous ne sommes pas les bienvenus, nous partirons.
— Mon peuple et l’humain n’auraient pas dû se rencontrer, insista Amarésys.
— Ce n’était pas voulu. Nous étions à la recherche d’un drone perdu.
— J’ai détruit ce drone quand il est arrivé. Si vous faites partie des gens qui l’ont envoyé, vous êtes nos ennemis.
— Nous n’avons rien fait de mal, argumenta Ava. Laisse-moi retrouver mon commandant et nous quitterons ton domaine.
Une tonalité légère et douce retentit. Un soupir.
— À toi, je peux te faire confiance. Tu me sembles capable de piloter cet engin. Tu n’as pas besoin de l’humain.
— Je ne partirai pas sans lui, lâcha Ava.
Un son sourd. Déception.
— Tu es donc son esclave. Tant pis. Je devrais vous détruire tous les deux.
— Pourquoi ?
— Ma mission est de protéger les myratiens de toute ingérence. Ils vivent depuis des générations en sécurité, à l’abri des humains, et je ferai tout pour que ça continue. Le drone a blessé Zaphnis. Depuis, il n’est plus le même. Je ne vous laisserai pas faire davantage de mal à mon peuple.
— Et moi, je ne te laisserai pas faire de mal à Aldric ! Je suis désolée pour Zaphnis, mais nous ne sommes pas responsables de ce qui lui est arrivé.
L’intelligence laissa s’écouler un long silence. Ava consulta les flux envoyés par Scylla et Calypso. Malheureusement, ils ne parvenaient pas à capter la balise du commandant.
Elle sentait la présence d’Amaresys à la limite de sa conscience. D’où venait-elle ? Une ville ou une station était-elle cachée quelque part ? Pourquoi n’attaquait-elle pas ? Avait-elle réussi à la faire douter suffisamment ?
Soudain, Calypso transmit le signal d’Aldric. Il s’était égaré au cœur du champ hydrothermal. Elle envoya immédiatement les deux drones sur sa position et mit en route les moteurs du submersible. Quand elle parvint à entrer en contact avec lui, elle fut soulagée d’entendre sa voix, mais l’urgence de la situation devint encore plus importante.
— Que crois-tu faire ?
— Je vais chercher mon commandant, et tu ne m’en empêcheras pas, reprit-elle.
— Je ne te laisserai pas mettre mon peuple en danger.
— La myratienne aux yeux bleus est avec lui ; elle l’aide. Elle n’est pas effrayée, elle est plutôt curieuse.
— Yfris est ainsi. Elle a l’âme d’une exploratrice. Cela ne change rien à ma mission.
— Et si les myratiens ne veulent plus vivre isolés ?
Quelques notes aigües et hésitantes surgirent, aussi brèves que des bulles qui éclatent dans le sillage d’un poisson. Doute.
— Aldric ne lui fera aucun mal, insista Ava.
Elle vida les ballasts ; le submersible s’éleva. Le vrombissement des hélices s’accentua.
— Pour l’instant. Je connais les humains, leur déloyauté, leur convoitise. Je me dois de préserver les myratiens contre eux.
— Je connais cet humain. Il n’est pas un danger. Il pourrait être un allié.
— Tu n’es pas neutre. Tu es à son service ; je ne peux me fier à ton avis.
— Je ne le suis pas. Nous sommes amis. Je ferai tout pour lui.
— Cela ne signifie rien pour moi. Je te laisse une chance de partir : profites-en. Prends ta liberté !
— Ton peuple n’a pas eu peur d’Aldric, persévéra Ava.
— Zaphnys était terrifié par lui !
— Une peur sans fondement. Aldric n’a rien fait de mal. Et pourtant, il a été blessé. Qui est déloyal dans cette histoire ? insista Ava. Yfris lui vient en aide. N’est-ce pas le signe de son désir de rencontrer ceux qui partagent cet océan avec eux ? Cela ne va pas s’arrêter, même si tu fais disparaitre tous ceux qui s’approcheront par hasard ! Il y a une autre solution !
Une alarme retentit quand le nez de l’Odysseus heurta le sous-marin d’Amaresys, mais Ava ne recula pas. Ses capteurs sentirent les tentacules métalliques qui griffaient la coque, essayant de se frayer un chemin dans le titane. Au même moment, Ava repoussa la tentative de prise de contrôle d’Amarésys.
— Pour la dernière fois, laisse-moi passer !
Aussitôt, des milliers de mini drones jaillirent de leurs compartiments et se ruèrent sur l’attaquant. Évitant les appendices, ils se fixèrent à sa coque. En explosant, ils éventrèrent son revêtement protecteur et atteignirent ses systèmes internes. Le submersible tressauta et tomba sur le plancher océanique, inerte.
Ava dirigea l’Odysseus droit vers le gouffre, suivant la progression d’Aldric grâce aux drones ; les hydrophones au maximum de leur capacité enregistraient tous les sons. Amaresys n’avait pas rompu le contact.
— Je vois que tu vas me donner du fil à retordre, fit-elle.
— Je te l’ai dit. Je récupère mon commandant et on s’en va.
— Je ne peux pas te laisser faire ça.
Une présence se fit sentir dans l’eau. Un énorme navire quittait lentement l’abri de la fosse. Sans hésiter, Ava dirigea l’Odysseus droit sur lui. Son ventre effleurait les fluides crachés par les fumeurs. Le vaisseau d’Amaresys flottait au-dessus du précipice, sans avancer vers elle. Ava percevait une indécision dans l’esprit artificiel.
Ses senseurs et ses caméras lui indiquèrent des centaines de constructions accrochées aux parois et de nombreux êtres vivants sur le pourtour. Une ville était cachée dans l’abime. Amaresys vivait là, et les myratiens aussi. Alors qu’elle précipitait l’Odysseus vers le point de rendez-vous, elle ne put s’empêcher de se faire la réflexion qu’ils venaient de faire une découverte extraordinaire.

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