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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Une mélodie surgit des ténèbres. Assourdie et déformée, elle déroulait une série d’accords, sur un tempo régulier. Venant de partout à la fois, la musique rebondissait sur les cheminées et l’entourait. Elle se répétait et s’approchait, tel un doux murmure.

Aldric se figea et regarda autour de lui, à la recherche de l’origine de ce son. Ava éloigna le drone de quelques mètres ; ses projecteurs dévoilèrent un couloir qui se perdait dans les ténèbres absolues vers le sud. Et à la limite de sa portée, à demi plongée dans l’obscurité, apparut une créature comme il n’en avait jamais vu. Elle s’immobilisa. La musique, qui semblait provenir d’elle, s’interrompit brutalement. Cependant, elle ne s’enfuit pas : au contraire, elle rivait ses pupilles azur sur lui.

Elle flottait, silhouette humanoïde, sans l’être vraiment, éthérée et scintillante dans son faisceau. Elle avança puis cligna des yeux et détourna la tête. Aussitôt, le commandant baissa la puissance de sa lumière. Le drone fit de même.

Elle reporta son regard sur lui, continuant à l’observer. Ses jambes aux pieds palmés battaient nonchalamment l’eau, à une vingtaine de centimètres au-dessus du sol. Son corps filiforme et androgyne étincelait, comme si sa peau, translucide, était faite de cristal. Ses cheveux d’un vert très sombre, noués en une lourde tresse d’un côté de sa tête, descendaient sur son torse. Elle avait quatre bras : deux se terminaient par des mains aux longs doigts très fins et palmés ; les deux autres par des pinces épaisses et noires.

Elle ne paraissait pas effrayée. Sa bouche dévoila des crocs acérés en une expression qu’il prit pour un sourire. Elle se rapprocha encore et la musique jaillit d’elle, plus forte et plus entrainante, giboulée de notes joyeuses et curieuses. Joyeuses ? Curieuses ? Aldric n’avait aucune idée de ce qu’une telle créature pouvait ressentir à cet instant précis, pourtant il éprouvait ces sentiments, avec l’impression qu’ils ne venaient pas de lui. Est-ce de la télépathie ?

L’être pencha la tête sur le côté, son visage se fronçant en une expression qui ressemblait à de la perplexité. En tout cas, c’est ce qu’il aurait compris chez un humain.

— Tu filmes ? murmura-t-il dans son communicateur.

— Évidemment, répondit Ava.

Au son de sa voix, l’être sursauta. Un trille aigu et insistant jaillit de sa bouche, deux notes entremêlées. De la colère ? De l’étonnement ? Cette fois-ci, Aldric n’arrivait pas à distinguer l’émotion.

— Tu devrais peut-être rentrer, conseilla Ava.

— Certainement pas, lâcha-t-il. C’est extraordinaire, c’est…

Une nouvelle fois, une musique émergea des profondeurs. Dès les premiers accords, l’être aux yeux bleus tourna vivement la tête dans la direction d’où elle venait. Aldric reconnut le thème, cette harmonie lente et sourde, pesante. Détresse, désespoir. La phrase mélodique se répéta comme une obsession, une intense souffrance, qui laissa Aldric pantelant.

L’être fit demi-tour et fila entre les monts hydrothermaux. Sans réfléchir, malgré le malaise que l’air provoquait en lui – ou peut-être à cause de lui –, Aldric la suivit. Elle nageait avec agilité, comme si l’eau ne lui opposait aucune résistance. La musique devenait de plus en plus claire et forte. La créature s’arrêta au bout de deux-cents mètres, à l’entrée d’une nouvelle étrange clairière. Le sable ici était ocre. Aldric n’eut que le temps de remarquer ce détail avant qu’il n’aperçoive celui qui émettait cette musique.

L’être se laissait porter par les flux des courants légers, à quelques mètres du plancher, la bouche ouverte sur son chant douloureux. Plus massive que sa – ou son – congénère, qui s’approchait de lui, il gardait les yeux fermés, les bras écartés. Sa peau d’une couleur rosée était marbrée de salissures et d’épaisses couches écailleuses. Ses lèvres étaient tordues en une grimace et ses traits tirés. S’il avait été humain, il aurait eu une expression désespérée. La musique qui semblait émaner de tout son être confirmait bien cette impression. Le malaise devint douleur, alors que les notes éveillaient une migraine dans le cerveau d’Aldric.

Le commandant enregistra distraitement le vrombissement du drone derrière lui. Ava, prudente, le laissa à l’entrée du cercle de fumeurs.

La créature ouvrit les yeux, posa son regard noir sur son adelphe et un sourire se dessina sur ses lèvres parcheminées, puis elle vit Aldric. Son visage à la peau lisse se crispa. Sa musique fit un bond et s’envola dans une longue plainte stridente et déchirante, qui écorcha le crâne d’Aldric, une seule phrase répétée à l’infini : terreur, terreur, terreur. L’hydronaute grogna et recula instinctivement.

L’être aux yeux bleus enlaça doucement son congénère. La mélodie s’assourdit de plus en plus, reprenant la forme d’une lugubre lamentation. D’autres êtres apparurent depuis les ténèbres et s’attroupèrent autour d’eux. Aldric s’éloigna encore, soudain envahi d’une pudeur, mêlée de frayeur. Il avait l’impression d’être un intrus dans une scène intime et familiale.

Une musique douce et apaisante montait du groupe, dont Aldric avait du mal à distinguer les individus. La créature blessée avait disparu au milieu d’eux et son chant de souffrance se tut au bout de quelques secondes.


Texte publié par Feydra, 18 novembre 2025 à 23h08
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