Sur la passerelle de l’Odysseus, plongée dans une semi-obscurité reposante, on n’entendait que le vrombissement doux des moteurs, le chuintement des circuits hydrauliques et les quelques craquements de la coque, soumise à la pression élevée de la plaine abyssale du Léviathan.
Le submersible fendait l’eau au-dessus d’une vallée sous-marine. À cette profondeur – un mile sous la surface –, et dans cette région, nul n’était présent pour être témoin de son passage quasiment silencieux. Seul être humain sur le navire, Aldric observait avec attention les indications du sonar sur l’écran holographique.
Une voix désincarnée, mélange d’intonations féminines et masculines, s’éleva :
— Toujours aucun signal de la sonde, l’informa Ava, son intelligence artificielle.
— Nous sommes bien au bon endroit ? lâcha Aldric.
— Oui.
Frustré, le pilote passa une main nerveuse sur son cou, frottant sa peau fragile sensibilisée par la sècheresse de l’atmosphère contrôlée du submersible. Depuis une heure, ils tournaient en rond sans obtenir un signe qui confirmerait la présence de leur cible. Il ne tenait pas spécialement à rester trop longtemps dans le secteur. À quinze milles des Enclaves, lieu de villégiature privilégié des pirates et autres criminels, le risque que leur écho sonar les fasse repérer par un équipage malintentionné était élevé. Ils avaient eu de la chance pour l’instant, mais cela ne durerait pas.
— À quoi ça ressemble en bas ?
— Vallée de deux miles de large. Cinq-cents mètres de profondeur. Je ne parviens pas à avoir de données précises sur la partie sud. Les ondes renvoient des informations incompréhensibles.
Aldric grimaça. Il n’était jamais descendu aussi profondément. Il ne s’inquiétait pas pour son submersible : celui-ci n’aurait aucune difficulté. Les humains avaient utilisé les ressources de Palladium à bon escient, afin de naviguer dans une relative sécurité entre les eaux du seul environnement que la planète connaissait : son océan gigantesque. Pourtant, il appréhendait leur plongée dans les ténèbres qui régnaient dans cet endroit.
— D’accord, souffla-t-il. On se rapproche.
D’un geste de la main, il reprit le contrôle des commandes. Les systèmes réagirent aux implants subdermaux insérés dans ses doigts et ses paumes ; l’interface de pilotage se matérialisa juste devant son siège. Le plan de son environnement apparut sur l’écran. Il vida les ballasts et ils plongèrent dans le gouffre.
— Réessaie le sonar, ordonna-t-il. Passe en trois dimensions.
Les filaments lumineux de l’hologramme se réarrangèrent couche après couche formant une représentation schématique de la vallée. Les données de plus en plus précises permirent à Aldric de se faire une idée plus claire de la topographie.
— Qu’est-ce que c’est ? fit-il, lorsque plusieurs hautes silhouettes apparurent.
Il ralentit à un nœud et maintint son navire à une cinquantaine de mètres au-dessus du plancher océanique.
— D’après la forme, des cheminées hydrothermales. Les capteurs de la coque indiquent une augmentation significative de la température et de la pression, ainsi qu’une altération du ph de l’eau. L’activité géothermique des environs est élevée.
— Allume les projecteurs et les caméras, ordonna-t-il.
La représentation holographique s’éteignit, remplacée par des images : c’était comme si la cloison avait subitement disparu. Les puissants faisceaux du submersible repoussaient les ténèbres épaisses et les lentilles à haute définition transmirent une vision fidèle de l’extérieur.
Sur la largeur de la vallée et sur une bonne partie de sa longueur s’étendait une impressionnante succession de colonnes, placées à intervalles irréguliers, qui formaient un dédale rocheux jusqu’à la limite de résolution optimale. Au-dessus des fumeurs, les fluides denses et grisâtres se mêlaient à l’eau environnante.
Aldric laissa le navire continuer sur sa lancée, puis stoppa les hélices et le fit descendre doucement jusqu’au sol, à une dizaine de mètres de la ligne de cheminées hydrothermales. Lorsqu’il se posa, il souleva une légère quantité de sable, qui s’éloigna tranquillement au gré des courants.
— Toujours pas de signal ? demanda Aldric.
— Non. Tu penses que la sonde a atterri là-dedans ?
— Probablement. C’est l’endroit le plus intéressant de la vallée.
— Explorer ce dédale va être long, commenta Ava. Nous devrions rentrer à Déneb. Nous reviendrons ici après.
— Nous avons une contrainte de temps sur cette mission, Ava.
— Quel est cet adage ? À l’impossible nul n’est tenu ?
— Je ne veux pas prendre le risque de laisser passer cette opportunité.
— Tu as pris beaucoup de risques en acceptant. Tu ne devrais pas t’approcher de Génésys. Ton père…
La réponse automatique fusa :
— Ce n’est pas mon père !
— Ce n’est pas tout à fait vrai. Tu ne te rappelles pas ses mots quand vous vous êtes quittés… ?
— Je m’en souviens très bien, grogna Aldric.
Ava, sans pitié, continua :
— Il t’a expressément interdit de prendre contact avec eux. S’il t’a cédé ce submersible, c’est bien pour que tu sois libre et en sécurité, loin d’eux.
Aldric serra les poings. Les paroles d’Ava réveillèrent une fureur et une souffrance qu’il peinait à contrôler depuis des années.
— C’est trop tard. Ma décision est prise depuis longtemps, Ava, s’écria Aldric. Je ne veux pas laisser passer cette chance d’infiltrer Génésys et retrouver le salopard qui a cru que c’était une bonne idée de fabriquer et de vendre un être… comme moi !
Ava ne répondit pas. Aldric inspira profondément, gêné par son éclat. Son intelligence artificielle ne le jugerait pas ; elle n’était même pas touchée par ce genre d’émotion. Pourtant, il regrettait de lui avoir parlé sur ce ton.
— Nous avons besoin de cet argent, poursuivit-il. Tu coutes cher à entretenir, tu sais.
La tentative d’humour tomba à plat. Comme d’habitude. C’était à se demander pourquoi il s’entêtait ! Réagir convenablement à l’ironie ne faisait pas partie des capacités d’Ava. À moins que cela ne l’intéresse pas.
— Nous sommes loin d’être sans ressources, rétorqua-t-elle. Toutefois les habitants de la colonie d’Espérance attendent les algues que nous transportons avec impatience. Leur survie en dépend…
— Et ils les auront dans les temps. Nous pouvons accomplir les deux missions. Peu importe mes motivations, nous avons pris des engagements, nous allons les tenir. Tous les deux.
Aldric escompta un nouvel argument, qui ne vint pas.
— Tu seras content d’apprendre que nous captons le signal de détresse de la sonde.
— Enfin ! soupira Aldric. Montre-moi.
La représentation en trois dimensions réapparut, bien plus précise et complète. Maintenant qu’ils étaient proches, l’algorithme de traitement des données parvenait bien plus facilement à compenser les perturbations de l’environnement.
Aldric contempla le paysage fait de lumière. Les fumeurs s’arrêtaient à environ cinq miles de leur position, non loin d’un gouffre. Leur cible se trouvait en plein milieu du champ hydrothermal, à deux miles de l’abime qui servait de frontière naturelle à la vallée.
— Évidemment, grogna-t-il.
— Le signal est faible.
— A-t-elle pu être endommagée par les gaz à haute pression ?
— C’est possible. Je ne peux guère m’avancer sur les causes de son accident.
— Trois miles, souffla Aldric, d’un ton pensif.
Cela lui prendrait au moins quarante-cinq minutes, peut-être même plus s’il devait éviter les fumeurs. Il n’avait jamais plongé à une telle profondeur ; la perspective créait des nœuds dans son estomac. Ses réflexions furent soudainement interrompues par Ava, qui paraissait perplexe.
— Les hydrophones captent quelque chose d’étrange.
— J’imagine que cet endroit est très bruyant.
— C’est autre chose.
Aussitôt, une mélodie envahit la passerelle. Elle était assourdie et déformée, mais on reconnaissait une cadence lente et une suite de notes basses qui s’entremêlaient en une mélopée lancinante. Le thème se répéta plusieurs fois.
— Qu’est-ce que… ? souffla Aldric, stupéfait.

| LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
|
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3333 histoires publiées 1459 membres inscrits Notre membre le plus récent est Bleu Paris Festival |