Darian et Serrelune avaient parcouru la forêt toute la journée, avançant silencieusement entre les arbres et les sous-bois.
Pendant le trajet, il observa attentivement la Renardine, évaluant ses compétences. Elle était jeune, inexpérimentée, mais loin d’être imprudente. Quelques ajustements à sa manière de se déplacer et de réagir suffiraient à améliorer ses chances de survie.
Ils croisèrent plusieurs proies potentielles, un couple de cerfs, quelques sangliers, et d’autres animaux plus petits. Seuls deux chevreuils furent à leur portée et tombèrent sous ses flèches précises.
Pour le reste, Darian jugea qu’ils n’avaient ni le temps ni l’équipement nécessaire pour les tuer.
Ainsi, la journée passa, rythmée par la marche, les pauses pour observer, et l’apprentissage silencieux de Serrelune.
Loin de tout village, loin de toute sécurité, ils continuaient leur progression vers la fumée, leur destination inconnue, tout en affinant leur coopération et leur coordination dans ce monde sauvage.
Maintenant qu’une relation s’était installée avec Serrelune, Darian savait que sa responsabilité allait bien au-delà de la simple survie individuelle. Il devait prendre soin d’elle, la protéger, et lui transmettre ce qu’il savait pour augmenter ses chances de vivre dans ce monde hostile.
Il décida de commencer en douceur, sans brusquerie. Revoir les bases semblait être la première étape logique, mouvements silencieux, repérage des dangers, posture pour éviter les blessures, lecture des traces et compréhension des proies.
Il voulait s’assurer que Serrelune comprenne et intègre ces principes avant d’aborder des techniques plus avancées.
Chaque geste, chaque conseil était donné avec patience, sans pression inutile, tout en observant ses réactions. Il ajustait, corrigeait, et encourageait ses réussites.
Ainsi, jour après jour, elle gagnerait non seulement en compétence mais aussi en confiance, leur donnant à tous deux un avantage crucial face aux prédateurs, et aux dangers inconnus de la forêt.
Pour les chevreuils abattus, Darian ne s’encombra pas de récupérer la viande, seuls les noyaux l’intéressaient. Pour autant, il transforma l’occasion en leçon pour Serrelune.
Il commença par expliquer chaque étape de la découpe, montrant comment ouvrir la bête, séparer les parties utiles, et manipuler son couteau sans se blesser.
Sur le premier chevreuil, il fit la démonstration complète, laissant Serrelune observer attentivement. Puis, sur le second, il la laissa essayer, guidant ses gestes sans intervenir directement.
Ils ne prirent aucun morceau pour plus tard. Tout ce qui n’était pas consommé serait laissé aux charognards, un festin gratuit pour la forêt, préservant ainsi la logique de leur territoire et évitant d’attirer des prédateurs trop tôt.
Pour le second chevreuil, Serrelune, ne se gêna pas pour grignoter quelques morceaux au fur et à mesure qu’elle travaillait, profitant à la fois de l’expérience et de la nourriture fraîche.
Darian, observateur, nota ses gestes, corrigeant subtilement sa technique tout en restant concentré sur la sécurité et l’efficacité.
Ainsi, la journée devint autant un exercice de survie que de formation pratique, mêlant enseignement et apprentissage actif.
Pendant leur progression, Darian consacra du temps à apprendre à Serrelune l’usage de plusieurs plantes. Elles poussaient souvent en petits buissons aux feuilles épaisses, et toutes avaient un point commun, une odeur âcre, parfois piquante, parfois sucrée, mais toujours très marquée.
Il lui montra comment écraser les feuilles entre ses doigts pour libérer l’huile parfumée, puis l’appliquer sur sa peau, son cou, ses poignets, et autour des zones de forte transpiration. L’objectif n’était pas d’être agréable à sentir, loin de là, mais de masquer son odeur naturelle.
- Ces plantes trompent le nez des prédateurs, lui expliqua-t-il en lui guidant la main. Les loups, les félins, tous, même toi, ils se fient à l’odeur avant tout. Si tu sens comme la forêt, tu deviens beaucoup plus difficile à repérer.
Serrelune s’appliqua, concentrée, intriguée par cette technique qu’elle ne connaissait pas.
Chez les Renardins, l’odorat était un avantage autant qu’un piège, dissimuler son propre parfum pouvait faire la différence entre la fuite et la mort.
Elle renifla ses doigts, fronça le nez devant l’odeur âcre.
- C’est fort.
- C’est le but.
Peu à peu, elle mémorisa quelles plantes cueillir, comment les reconnaître et dans quelle quantité les utiliser. Un savoir simple, mais vital, qu’elle n’oublierait pas.
La fin de la journée approchait, et l’objectif semblait encore lointain. Darian savait qu’il ne pouvait pas se permettre d’arriver sur place en pleine nuit, découvrant soudain un danger inconnu, tout en devant affronter les prédateurs nocturnes de la forêt.
Chaque minute comptait. La lumière déclinante transformait les ombres en menaces potentielles, et il devait anticiper.
Il scrutait les environs, cherchant un endroit sûr, un refuge temporaire où ils pourraient passer la nuit sans risque immédiat.
Serrelune marchait à ses côtés, attentive à ses gestes, silencieuse, consciente de la gravité de la situation. Darian savait que sa survie dépendait autant de ses décisions que de la vigilance de son alliée.
L’abri devait être accessible, mais difficilement atteignable pour des bêtes plus grandes ou plus rapides qu’eux. Il devait aussi leur offrir un minimum de confort pour se reposer avant la prochaine journée de marche et d’exploration.
Chaque arbre, chaque recoin de terrain fut évalué mentalement, jusqu’à ce qu’il aperçoive enfin un petit promontoire rocheux à flanc de colline, partiellement cachée par des buissons et des racines, offrant un angle de fuite rapide et une protection naturelle contre les prédateurs.
Sans attendre, il se dirigea vers lui, indiquant à Serrelune de le suivre.
Le promontoire rocheux exigeait un peu d’escalade, rien d’insurmontable pour Darian ni pour Serrelune, mais suffisamment ardu pour décourager les prédateurs terrestres. C’était exactement ce qu’il cherchait, un abri élevé, difficile d’accès, offrant une vue dégagée sur les alentours et un seul chemin possible pour y monter.
Ils grimpèrent en prenant appui sur les failles de la pierre, Serrelune suivant ses instructions avec application. Une fois en hauteur, ils découvrirent une plateforme naturelle large de quelques mètres, protégée par un surplomb rocheux qui réduisait les risques d’attaque directe.
Ce perchoir avait toutefois un inconvénient évident, ils seraient entièrement exposés à l’humidité nocturne, et surtout à la rosée du matin. Sans couvert végétal, la fraîcheur pourrait devenir mordante, leurs vêtements imbibés au réveil.
Mais pour Darian, la sécurité primait. Entre risquer une attaque d’un prédateur nocturne ou passer une nuit un peu trop humide, le choix était vite fait.
Il inspecta rapidement les bords du promontoire, cherchant d’éventuels signes d’occupation animale. Rien. Serrelune, prudente, humait l’air et jetait des regards vers la forêt obscure en contrebas.
- On restera ici pour la nuit, conclut Darian.
Elle hocha simplement la tête, acceptant la décision. Ce n’était pas confortable, mais ils survivraient, et c’était tout ce qui comptait.
Ils dormirent collés l’un à l’autre, sans chercher autre chose que leur chaleur partagée pour supporter la fraîcheur de la nuit.
Leur abri était précaire, ouvert au vent.
Mais la nuit fut étonnamment calme, aucun grondement de bêtes, aucun craquement de branches suspect, seulement les bruissements légers de la forêt endormie.
Aux premières lueurs de l’aube, Darian sentit Serrelune bouger contre lui. Ils échangèrent un bref regard, silencieux, puis remballèrent leurs affaires avec efficacité. Ils reprirent aussitôt la marche.
Enfin, vers le début d’après-midi, après une ultime ascension entre deux blocs rocheux, ils émergèrent sur une crête dégagée.
Une merveille de la nature s'offrait à eux, une Flotteterre.
Une Flotteterre était toujours un spectacle rare et déroutant. Cette plateforme rocheuse, d'une quinzaine d'hectares, se tenait en suspension à une dizaine de mètres du sol, immobile, comme si les lois du monde avaient oublié de la tirer vers la terre ferme. Les bords étaient irréguliers, sculptés par des années de lévitation forcée, les strates minérales semblaient étirées vers le bas, comme fondues et figées dans un dernier sursaut, témoignant du lent arrachement de la roche au sol d’origine.
À son pied, le point de rupture, le sol semblait comme un lac de roche, la Faille d’Ascension. C’est d’elle que venait le phénomène magique, un souffle ancien issu des profondeurs. Ce pouvoir tellurique montait lentement du sous-sol, pulsant comme un cœur lointain, altérant tout ce qu’il touchait. La roche imprégnée se mettait à perdre de sa densité, puis à s’élever, centimètre par centimètre, jusqu’à flotter librement au-dessus du sol. Avec le temps, plusieurs blocs s’étaient soudés entre eux sous la pression de cette énergie, formant cette plateforme unique, à la fois solide et contre nature. A l'avenir d'autres morceaux de roches finirai par être altéré et se souder à la Flotteterre l'agrandissant sans fin.
C'était l'un des meilleurs refuge naturel qui puisse exister.
Le vent passait en dessous avec un murmure sourd, et la lumière du soleil jouait sur les surfaces minérales comme si la Flotteterre respirait encore de la magie qui la maintenait suspendue.
Depuis la colline où ils s’étaient arrêtés, Darian dominait largement la vue.
De là, l’ensemble de la Flotteterre se dévoilait clairement, et ce qu’il y découvrit le laissa silencieux un long moment, un village entier, solidement installé sur la plateforme flottante. Des constructions humaines, sans doute en bois et en pierre, parfaitement reconnaissables. Pas de huttes grossières de tribus sauvages, pas de traces d’humanoïdes, des humains, organisés et nombreux s'y déplacer.
À cette distance, il comptait rapidement entre soixante-dix et cent foyers, alignés en rangées irrégulières mais propres, avec des rues visibles entre les bâtiments. Cela ramenait la population totale à environ quatre à six cents habitants, peut-être plus s’il y avait des dépendances à l’intérieur des habitations.
La vallée, elle, était vaste et fertile.
En contrebas de la Flotteterre, Darian distinguait clairement de grandes parcelles de champs soigneusement cultivés, blé, tubercules, peut-être des légumes variés. Au total, il estimait l’étendue de ces terres à environ cinq cents hectares, peut-être plus, une surface cohérente pour nourrir le nombre de familles vivant sur la plateforme. Les chemins tracés, les indices de rotation des cultures, tout indiquait une société stable, installée ici depuis plusieurs générations.
Ce n’était donc pas un simple campement, mais une communauté établie, organisée et capable de survivre malgré la présence des prédateurs de la forêt. Un endroit où Darian devrait avancer avec prudence.
Il décida qu’il valait mieux rester discret. Pas aujourd’hui.
Nouvellement éveillé, accompagné d’une Renardine, et sans savoir si cette communauté était hostile ou simplement méfiante, faire contact maintenant aurait été une erreur. Il préférait observer encore, comprendre leur organisation, leurs routines, leurs défenses.
Avant tout, il devait mettre Serrelune en sécurité. Il l’entraîna donc à l’écart du versant, cherchant un abri pour la nuit qui soit proche, discret, et facile à défendre.
Ils n’eurent pas à chercher longtemps.
Un grand arbre, massif, aux branches épaisses, se dressait non loin de la lisière. En l’observant de plus près, Darian remarqua une structure en hauteur, une petite plateforme aménagée, suffisamment robuste pour accueillir un chasseur allongé, un arc à la main.
Serrelune, observant la plateforme en hauteur.
— C’est… humain, non ?
Darian, hochant la tête.
— Oui. Une vieille plateforme de chasse. Personne ne semble l’utiliser en ce moment. Ça fera l’affaire pour la nuit.
Elle grimpe prudemment le long du tronc, testant chaque prise du bout des doigts.
— Tu es sûr qu’on peut rester ici ? Ils ne vont pas revenir ?
Darian lui répond calmement.
— Peu probable. Et même s’ils reviennent, ils ne monteront pas en pleine nuit juste pour vérifier.
Serrelune se redresse une fois sur la plateforme, rassurée par la solidité du bois.
— Tu vas rester avec moi ?
Darian secoue la tête.
— Je dois observer encore le village. Je veux comprendre qui ils sont avant de décider quoi faire.
Elle baisse un instant le regard.
— Sois prudent… S’ils te voient…
Il lui adresse un sourire léger.
— C’est pour ça que je t’installe ici. Personne ne te trouvera. Repose-toi. Je ne serai pas loin.
Serrelune hoche la tête, docile.
— Reviens avant la nuit complète.
Les planches étaient vieillies, moussues par endroits, mais l’ensemble résistait encore bien. La communauté de la Flotteterre avait dû l’installer pour surveiller les environs ou abattre le gibier passant en contrebas. Une preuve supplémentaire que ces gens avaient des habitudes de chasse et connaissaient parfaitement leur environnement.
C’était parfait pour la nuit, en hauteur, discret, difficilement accessible aux prédateurs, et proche de leur point d’observation.
Darian fit signe à Serrelune pendant qu’il vérifiait les alentours, déjà prêt à retourner observer la communauté une fois qu’elle serait installée.
Il s’éloigna alors silencieusement, déjà tourné vers la Flotteterre et ses réponses encore cachées.

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