Darian s’éveilla avec les premières lueurs de l’aube, encore engourdi par la fatigue de la veille. Allongé sur le dos, il sentit un poids léger et chaud contre lui. La Renardine dormait, blottie contre son flanc, sa tête posée sur son torse, ses oreilles frémissant doucement au rythme de sa respiration.
La veille, après lui avoir fait faire sa promenade quotidienne, il avait finalement cédé à ses avances, une tension silencieuse qui n’avait cessé de croître depuis plusieurs jours. La nuit avait été longue, intense, marquée par un mélange de besoin, d’instinct et de curiosité mutuelle.
Mais au matin, la lucidité reprenait ses droits. Il savait qu’il ne pouvait pas se laisser distraire. Son éveil n’en était qu’à ses débuts, il avait besoin de force, de concentration, et surtout de garder en tête ses objectifs. Cette proximité nouvelle avec la Renardine compliquait les choses. Il devait réfléchir à la suite, à ce qu’elle représentait désormais, et à ce que cette relation pouvait impliquer pour eux deux.
La Renardine, toujours blottie contre lui, remua légèrement. Ses oreilles frémirent, sa respiration changea de rythme. Encore endormie, elle se lova un peu plus contre son torse.
Sa relation avec elle serait simple et sans ambiguïté, un pacte de survie mutuelle. Elle l’aiderait dans certaines tâches, et lui apporterait un peu de compagnie, tandis que lui assurerait sa protection, sa nourriture et un refuge sûr. Un équilibre pragmatique, sans promesse ni illusion, mais efficace pour les jours à venir.
La veille, après avoir apaisé leurs ardeurs, ils avaient enfin pris le temps de parler, vraiment parler, à faire connaissance.
Elle lui avait donné son nom, Serrelune. Une sonorité douce, presque fragile, qui contrastait avec la dureté de ce monde.
Elle lui raconta avoir grandi seule avec sa mère jusque récemment. Cette dernière, affaiblie par la maladie, avait fini par mourir, laissant Serrelune sans guide ni soutien. Encore jeune, elle manquait d’expérience, et surtout de force, pour défendre le terrier qu’elles occupaient. Un couple de Renardins plus âgé l’en avait chassée sans difficulté.
Sans abri, elle avait survécu comme elle pouvait, dormant plusieurs semaines dans les hauteurs, perchée sur des branches pour échapper aux prédateurs.
Puis, une dizaine de jours plus tôt, elle avait croisé la route du Renardin mâle avec lequel Darian l’avait trouvée dans la rivière. Ensemble, ils avaient commencé à chercher un nouveau territoire, sans succès. Vagabonds sans refuge, ils n’avaient eu ni sécurité ni repos… jusqu’à leur rencontre avec lui.
Puis Darian était apparu, nu, surgissant de nulle part, tel un prédateur encore plus dangereux que le Renardin qui l’accompagnait. En quelques battements de cœur, tout avait basculé, il avait tué le mâle d’une flèche précise dans la gorge, puis tiré sur elle sans hésitation a deux reprises.
Dans cette région, les relations entre Humains et Renardins n’avaient rien d’amical. Au mieux, chacun restait sur son territoire. Souvent, les humains les considéraient comme de simples nuisibles et les chassaient loin de leurs terres. Et au pire… ils les tuaient pour leurs peaux, ou comme gibier pour les manger.
Alors, lorsque Darian l’avait abattue de deux flèche, ligotée, bâillonnée, transportée comme un vulgaire butin jusqu'à son repère… Elle avait cru que son heure était venue.
Elle ne s’attendait qu’à la mort, brutale ou lente, mais certainement pas à ce qu’il la soigne, la nourrisse, ni encore moins à ce qu’il finisse par la toucher, la regarder autrement qu’une bête, puis partager une nuit entière avec elle.
Pour elle, tout cela restait encore difficile à comprendre.
Ces derniers jours, elle avait traversé toutes les nuances du désespoir. Captive, blessée, incapable de fuir… et pourtant, jamais maltraitée. C’était là toute la différence.
Le mâle Renardin avec qui elle se trouvait avant l’arrivée de Darian avait été brutal, possessif, dominateur. Leur « alliance » n’était qu’une nécessité, elle était jeune, seule, et lui offrait une protection dont elle avait désespérément besoin. Mais cette protection s’accompagnait d’une violence, d’une autorité écrasante.
Darian, lui… il avait tué ce mâle sans hésiter.
Il l’avait maîtrisée aussi, certes, mais depuis jamais il ne l’avait frappée, affamée, humiliée. Il l’avait soignée, gardée en vie, installée dans une cavité sûre, protégée du froid, des prédateurs, et de tout ce qui aurait pu l'achever.
Alors, dans son esprit, les choses avaient fini par s’aligner. Le plus fort prend la place du plus faible.
C’est ainsi que vivaient les Renardins.
Quand elle vivait encore avec sa mère, Serrelune avait grandi dans une réalité dure, brutale, presque immuable. Chez les Renardins, les femelles ne choisissaient pas leurs partenaires, ce sont les mâles qui choisissaient… ou plutôt prenaient.
Avec sa mère elle avait vu plusieurs mâles entrer dans leur vie, chacun remplaçant le précédent par la force. Le plus fort chassait le plus faible, s’appropriait le terrier et, avec lui, les femelles qui s’y trouvaient. Elle avait grandi en voyant sa mère se soumettre pour survivre au plus fort, au plus capable.
Puis, en devenant jeune adulte, Serrelune avait subi le même sort. Le mâle qui partageait alors le terrier avec sa mère avait simplement décidé qu’elle serait sa seconde femelle.
Comme un droit naturel.
Comme un butin supplémentaire.
C’était ça, la vie d’une Renardine, d'un Renardin, la loi du plus fort.
Mais les quelques jours passés avec Darian… Même attachée, même blessée, même terrifiée… Elle avait aperçu autre chose. Un traitement différent. Pas de coups, pas de pression, pas de domination bestiale.
De la survie stricte, mais pas de cruauté.
Et, pour la première fois, elle avait imaginé qu’une vie différente était possible.
C’est cette lueur-là, ténue, fragile, qui avait tout changé en elle.
Oui, il lui avait tiré dessus.
Oui, il l’avait attachée.
Mais la survie passait avant tout le reste, et Darian avait prouvé être bien meilleur, plus fiable et infiniment plus puissant que son ancien partenaire.
Alors elle avait décidé, Darian serait son nouveau mâle. Et elle ferait tout pour devenir sa femelle, et le rester.
Darian dessinait mentalement un plan, une direction pour les jours qui viendraient, mais des pièces manquaient encore au puzzle. Il avait désormais de la force, un début d’éveil, un territoire temporaire et une Renardine qui acceptait, par survie ou par choix, de lui être utile. Pourtant, cela ne suffisait pas.
Il manquait les informations essentielles :
- Où se trouvait exactement la source de la fumée qu’il avait repérée au tout début ?
- Était-ce un village humain, ou autre chose encore ?
- Quels dangers réels rodaient aux alentours, au-delà des loups et des sangliers ?
- Y avait-il d’autres humanoïdes, d’autres peuples, d’autres menaces qu’il n’avait pas encore repérées ?
Sans ces réponses, toute avancée serait risquée, voire suicidaire.
Il savait qu’il ne pouvait pas avancer à l’aveugle. Pas après avoir survécu à tant de vies, à tant de pièges.
La prudence était sa première alliée. Et si Serrelune connaissait les environs, il ignorait encore ce qu’elle savait réellement, et jusqu’où il pouvait lui faire confiance.
Alors oui, un plan prenait forme dans son esprit, structuré, efficace, méthodique, mais il demeurait incomplet, suspendu dans l’attente des informations que seule Serrelune ou l’exploration lui fourniraient.
Pour l’instant, il avançait, mais sans pouvoir encore décider de la prochaine grande étape.
Darian sentit, rien qu’à la tension légère dans les muscles de Serrelune, qu’elle était éveillée. Elle retenait sa respiration, immobile contre lui, comme si le moindre mouvement pouvait le déranger. Il comprit aussitôt, elle attendait qu’il donne le signal, qu’il montre qu’il était réveillé, pour oser bouger.
Alors il s’étira volontairement, ouvrit les yeux avec lenteur, comme si le sommeil le quittait à peine.
Serrelune redressa timidement la tête, ses oreilles frémissant, guettant sa réaction.
Il répondit d’un ton posé.
- Tu es réveillée depuis longtemps, n’est-ce pas ?
Elle baissa les yeux, gênée, puis hocha doucement la tête.
C’était le moment de la sonder.
- Serrelune, toi qui as voyagé ces dernières semaines, qu’y a-t-il plus loin vers l’ouest ? La fumée que j’ai vue vient peut-être de là.
Elle chercha ses mots, encore incertaine de la manière de lui parler après cette nuit partagée.
Finalement, elle répondit.
- Je… j’ai marché longtemps, plusieurs jours. J’ai vu des collines, des forêts… mais aucune tribu, aucun humain. Je ne sais pas d’où vient ta fumée.
Darian observa son regard, sincère, nerveux, mais sans mensonge apparent. Elle n’avait aucune information directe, mais son expérience des environs, même limitée, restait utile.
Cette conversation serait la première pierre de son plan. Il lui faudrait simplement poser les bonnes questions.
Darian poursuivit calmement, la voix posée, cherchant à tirer d’elle chaque fragment d’information utile.
- Et les autres humanoïdes, tu en as croisé ?
Serrelune secoua la tête, ses oreilles rousses frémissant.
- Non… Aucun. Je n’ai vu que des bêtes, jamais d’humains, ni d’autres peuples. Ma mère disait que, parfois, des gobelins vivaient en bande dans les collines… mais je n’en ai jamais vu de mes yeux. Elle ne m’a jamais parlé d’autres espèces.
Cela confirmait ce que Darian redoutait, la région était peut-être plus sauvage qu’il ne l’avait supposé. Il enchaîna.
- Et dans cette forêt… Qu’est-ce qui chasse, hormis les loups ?
Serrelune leva les yeux vers lui, hésita une seconde.
- Les loups ne sont pas les pires, murmura-t-elle. Les grands félins, eux… Ils sont immenses, avec des dents aussi longues qu’un bras. Ils peuvent bondir plus vite qu’on ne court. Ce sont les plus dangereux… avec les ours.
Elle déglutit à ce souvenir transmis par sa mère.
- Les ours sont deux fois plus grands qu’un homme. Ils écrasent un tronc comme toi tu brises un bâton. Ce sont eux les maîtres de la forêt. Quand ils chassent… Tout fuit.
Darian hocha lentement la tête.
Les défis qui l’attendaient se précisaient.
Et le moindre faux pas coûterait cher.
Il resta silencieux un moment, le regard perdu contre la paroi de la cavité. La priorité, il le savait, n’était pas le confort, ni même la curiosité, c’était la survie.
Les félins que Serrelune décrivait, ce ne pouvait être que des tigres à dents de sabre. Des prédateurs massifs, rapides, conçus pour tuer des proies bien plus coriaces qu’un humain seul. Face à un tel monstre, il ne ferait pas long feu.
Quant aux ours, la description était trop vague, mais peu importait l’espèce, un ours de cette taille, dans un environnement où les créatures semblaient déjà plus puissantes que celles qu’il connaissait, signifiait une seule chose. S’il en croisait un, il mourrait. Et probablement très vite.
Il inspira lentement.
Non, rester ici, c’était se condamner tôt ou tard, son abri n'était pas adapté à la menace.
Il repensa alors à la fumée. Ces derniers jours, il avait confirmé qu’elle persistait, toujours dans la même direction. Pas un feu de camp isolé, quelque chose de stable, d’installé. Probablement à une journée de marche, peut-être un peu plus.
Et un feu visible d’aussi loin…
Cela voulait dire une chose très simple, ceux qui l’avaient allumé possédaient un abri capable de tenir tête aux tigres à dents de sabre et aux ours géants.
Un village. un camp fortifié. Ou quelque chose de suffisamment organisé pour survivre dans un territoire où lui, seul, n’était qu’une proie parmi d’autres.
Il devait aller voir. Pas forcément s’approcher trop près, mais au moins comprendre ce qui l’attendait dans cette région. Sa survie en dépendait.
Il tourna enfin la tête vers Serrelune. Elle ne l’avait pas quitté des yeux depuis le début de sa réflexion, attentive, nerveuse, prédatrice dans sa façon d’attendre sa décision. Son regard ambré trahissait autant l’inquiétude que la confiance tacite qu’elle plaçait en lui.
Darian se redressa et déclara calmement.
- On part. Regroupe nos affaires. On va découvrir d’où vient la fumée.
Aucune hésitation de sa part.
À peine les mots prononcés, Serrelune se mit en mouvement, ramassant tout ce qu’ils possédaient, outils rudimentaires, morceaux de viande séchée, peau pour se couvrir la nuit. Son énergie tendue montrait qu’elle avait compris l’importance de ce départ.
Ils allaient s’aventurer loin.
Et vers l’inconnu.

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