Le sixième jour, la routine quotidienne était installée avec une régularité presque rassurante. Darian s’était éveillé avant l’aube, avait mené ses exercices mentaux et, comme à son habitude, libéré la Renardine pour sa sortie surveillée. Ce jour-là, pourtant, elle se montra plus expressive. Par gestes, regards insistants et quelques mots qu’il ne comprenait toujours pas, elle tenta de lui faire comprendre quelque chose de différent. Finalement, ses mouvements et ses mimiques eurent raison de son incompréhension, elle voulait aller se laver dans le cours d’eau voisin.
Darian la dévisagea un instant, puis acquiesça d’un léger signe de tête. Refuser n’avait aucun intérêt, et un corps propre risquait moins l’infection. Il la laissa donc aller dans la rivière toujours sous son regard, où l’eau claire miroitait sous la lumière du jour. La Renardine, consciente de son regard sur elle, retira lentement ses vêtements, ses gestes empreints d’une lenteur calculée. Son pelage court du torse et du cou contrastait avec les reflets roux et brun de ses bras et de ses jambes. Elle n'hésita pas un instant à se retourner face à lui pour se dévoiler complètement dans le plus simple appareil. Il comprit alors, sans l’ombre d’un doute,son intention, que sa demande n’était pas seulement hygiénique.
Mais Darian ne broncha pas. Son expression resta aussi froide que la pierre, malgré la tentation évidente. Il détourna brièvement les yeux vers la forêt, l’arc toujours en main, et d’un ton sec lui fit signe d’accélérer. Elle hésita, déstabilisée par son absence totale de réaction, avant d’entrer dans l’eau, résignée. Lui, fidèle à sa discipline, garda simplement sa vigilance et sa distance, insensible à toute tentative de distraction.
Après cet épisode il reprit sa routine, le huitième jour le noyau du Renardins finit de se vider de son énergie, il disparut simplement comme s'il n'avait jamais été là.
Devant se changement dans la routine du jeune homme et la soudaine disparition du noyau la Renardine commença à paniquer dans ces liens, son bâillon ne retenait pas ces cris de détresse, et des larmes ruisselaient de ces yeux. Elle devait croire qu'il la gardait en vie pour son noyau et que son heure était arrivée.
Darian observa calmement la scène sans bouger, impassible face à la panique de la Renardine. Le noyau entre ses mains s’était éteint, son éclat dissipé comme un souffle. Il n’en restait rien, pas même une trace dans le sang séché au creux de sa paume. C’était le signe qu’il avait absorbé tout ce qu’il pouvait offrir. Pour lui, c’était un éventuellement attendu. Mais pour la créature, c’était autre chose, un présage de mort.
Elle se débattait, tirant sur ses liens avec une force désespérée. Le museau entravé, elle laissait échapper des gémissements étouffés, des pleurs étirés par la peur. Ses yeux dorés brillaient d’une détresse presque humaine. Darian, silencieux, la fixa longuement. Il n’avait pas besoin d’être un lecteur d’âme pour deviner ses pensées, elle croyait que son tour venait, qu’elle ne servait plus à rien désormais que le noyau de son compagnon était épuisé le sien allait être prélevé pour le remplacer.
Il resta là, les bras croisés, laissant la crise se vider d’elle-même. Son esprit était calme, presque froid. Il savait qu’elle avait encore un rôle à jouer, que sa survie lui importait, mais elle, incapable de le savoir, s’enfonçait dans sa propre peur. Et il devait aussi lui rendre la monnaie de sa paie pour avoir joué avec lui au bord de l'eau.
Lorsque ses forces l’abandonnèrent, la Renardine retomba au sol, tremblante, haletante. Darian s’approcha alors, sans agressivité. Il se contenta de raviver le feu, d’un geste lent, avant d'à nouveau lui faire face. Sa voix grave rompit enfin le silence de ces derniers jours, paisible mais ferme.
- Si je voulais ton noyau, tu serais déjà morte.
Elle cessa de trembler, sans pour autant se détendre, elle n'avait rien compris à ces mots, mais à son attitude elle savait que se n'était pas encore son heure.
Il se détourna simplement d'elle, reprenant sa méditation avec le noyau du chevreuil tué quelques jours plus tôt. Pour lui, la panique n’était qu’un bruit de fond, un réflexe animal. Pour elle, c’était la peur de mourir.
Sans plus s’attarder sur la panique de la Renardine, Darian reprit sa routine avec calme. Le noyau du chevreuil reposait désormais dans sa main, baignant dans son sang. La quantité d'énergie qu’il en tirerait sera probablement bien moindre que celui du Renardin, mais suffisante pour entretenir le flux qui se développait lentement en lui. Chaque jour, il sentait son corps s’habituer davantage à ce cycle d’absorption et de repos. Un signe que cela se passait bien.
Le neuvième jour, lors de son exploration quotidienne, il s’aventura un peu plus loin le long du cours d’eau. Son œil exercé repéra rapidement une horde de sangliers fouillant le sol et broutant les racines à découvert. De massifs mâles, couverts d’une boue épaisse, gardaient la périphérie du groupe. Darian s’immobilisa aussitôt, conscient du danger.
Les sangliers mâles étaient des bêtes massives, tous dépassant largement la centaine de kilos. Leur cuir épais, sombre et strié de cicatrices, témoignait de nombreuses batailles pour la domination. Leurs yeux sombres brillaient d’une lueur farouche sous la boue séchée. Leurs défenses, longues et acérées, luisaient à la lumière du jour, prêtes à éventrer quiconque oserait s’approcher. Puissants et nerveux, ils semblaient taillés pour le combat et la survie, véritables forteresses de muscles et de rage animale.
Il observa longuement, évaluant la distance, la densité du groupe, le terrain. L’arc qu’il avait récupéré ne pouvait pas percer la cuirasse de ces bêtes. Un tir mal placé n’aurait fait que les exciter et transformer l’explorateur en proie. Il recula lentement, sans bruit, préférant s’éclipser plutôt que de risquer inutilement sa vie. Les flèches valaient actuellement plus que la viande d’un sanglier.
Le dixième jour, alors que le soleil filtrait à peine à travers les feuillages, Darian sentit enfin le changement tant attendu. Après des jours d’efforts, de concentration et de patience, il perçut une pulsation douce, mais régulière, au plus profond de lui-même. Ce n’était pas son cœur, mais son noyau, enfin éveillé. Une chaleur diffuse parcourut son corps, comme une vague d’énergie fluide, légère et puissante à la fois. Le mana.
Il garda les yeux fermés, savourant cet instant où son être entier semblait s’aligner avec le monde. Le souffle de la forêt, le craquement des braises, même la respiration de la Renardine semblaient résonner avec lui.
Ce n’était pas une victoire éclatante, ni une révélation divine, mais une certitude tranquille, il venait de franchir un seuil que beaucoup voulait atteindre. Il était à nouveau un éveillé. Une nouvelle vie, un nouveau départ.
Il sourit imperceptiblement. Désormais, il pourrait comprendre ce monde… et se faire comprendre de lui.
Darian réfléchit calmement en observant la Renardine, toujours attachée près du feu. Il savait désormais comment briser la barrière de la langue, un simple sort de traduction, une ancienne méthode qu’il avait apprise et utilisée dans plusieurs de ses vies. Mais ce genre de sort demandait un catalyseur, même faible, pour ancrer l’énergie et permettre au mana d’interpréter les vibrations du langage.
Le noyau blanc du chevreuil ferait parfaitement l’affaire, mais son utilisation le détruirait complètement.
Darian hésitait à utiliser le noyau du chevreuil pour apprendre le langage de la Renardine. C’était probablement le même dialecte que celui des humains de cette région, et cela lui permettrait de communiquer, d’obtenir des informations précieuses, voire de mieux comprendre où il se trouvait réellement.
Mais sacrifier un noyau pour un simple sort lui paraissait du gaspillage. Son noyau était précieux, surtout maintenant qu’il était éveillé, et que sa consommation d’énergie allait s’accroître de manière exponentielle.
Son hésitation fut brève. Il repensa aux nombreuses traces de gibier qu’il avait observées lors de ses explorations, les bois étaient vivants, foisonnants. La chasse ne manquerait pas de proies, ni de nouveaux noyaux à récolter.
Finalement, il prit sa décision. Apprendre la langue de la Renardine pouvait se révéler bien plus utile que de conserver ce noyau encore un jour ou deux. Il se saisit du cristal blanc et le fit tourner lentement entre ses doigts, observant les reflets laiteux de sa surface.
Un simple mot prononcé dans le mauvais contexte pouvait signifier la différence entre une alliance et un conflit.
Alors, s’il devait comprendre ce monde, autant commencer maintenant.
Pour utiliser la magie, il fallait un catalyseur, un objet capable de supporter le passage du mana sans se briser sous sa pression. Les novices devaient prononcer à voix haute les mots de leur sort, articuler clairement leur intention pour que la magie prenne forme.
Mais Darian n’était plus un débutant depuis longtemps. L’expérience cumulée de ses vies passées faisait de lui un praticien aguerri, capable d’imposer sa volonté à la magie par la simple force de sa pensée.
Cette fois, son catalyseur serait le noyau du chevreuil. Il n’agirait pas seulement comme support, mais aussi comme source d’énergie, car le sort qu’il allait employer en consumerait une bonne part, l'épuisant, et le faisant disparaitre a coup sûr.
Il plaça le noyau dans sa main, ferma les yeux, et concentra son esprit sur la Renardine assise à quelques pas, observant ses gestes avec méfiance.
Son esprit se fit calme, concentré. La magie, il le savait, ne se manipulait pas par la force, mais par la précision de la pensée.
Alors, sans un mot, il formula mentalement le souhait avec une clarté absolue.
- Je veux apprendre son dialecte.
Du peu de mana présent autour de son noyau, un petit filament s'en détacha commander par sa volonté pour filé directement dans celui qu'il avait en main.
Sous l'afflux du mana le noyau vibra doucement entre ses doigts, disparaissant en émettant une lueur pâle. L’air sembla s’alourdir, puis la lumière se déplaçant, absorbée dans le corps de la Renardine avant de ressortir et de disparaitre dans le sien.
Le noyau était condamné, détruit, érodé par le passage du mana, il s’était effondré sur lui-même. Même intact, son sort n’aurait pas été différent. L’utiliser comme catalyseur pour un sort l’aurait inévitablement consumé. Car, quelle que soit sa qualité, un catalyseur finira toujours rongé par l'usure, épuisé par le flux implacable du mana.
La Renardine s’agita aussitôt, les yeux écarquillés de terreur en voyant la lumière naître dans la paume de Darian. Le halo blanc se mit à pulser, puis à glisser dans sa direction comme une flamme vivante. Elle tenta de reculer, tira désespérément sur ses liens, mais la corde était trop serrée. Un gémissement étouffé s’échappa de son museau bâillonné tandis qu’elle secouait frénétiquement la tête, sans parvenir à échapper à l’inévitable.
La lumière toucha son torse, s’y infiltrant lentement, se dispersant dans tout son corps. Ses muscles se raidirent, son regard se voila. Son souffle se fit court, tremblant, puis elle s’effondra, inerte, la tête basculant mollement sur le côté.
Darian ne broncha pas. Il savait que ce phénomène était normal, le sort d’apprentissage avait toujours un effet violent sur les non éveillés. Leurs esprits, incapables d’absorber la charge magique sans préparation, entraient dans une sorte de torpeur protectrice.
Il s’approcha pour vérifier son état, sa respiration était calme, régulière. Elle ne risquait rien. Elle se réveillerait d’ici quelques heures, confuse, mais vivante.
Pour Darian, le halo de lumière n’avait provoqué qu’un léger fourmillement, semblable à une brise chaude glissant sur sa peau. Rien d’inconfortable, juste la sensation d’une énergie familière se diffusant dans son esprit. Peu à peu, des sons, des mots, des structures nouvelles s’y installèrent avec fluidité, comme s’ils avaient toujours été là, enfouis dans sa mémoire. Ce nouveau dialecte, celui des Renardins et sans doute des humains de cette région, faisait désormais partie de lui. Une porte venait de s’ouvrir dans son esprit, une clé linguistique pour comprendre, échanger, et tirer parti de ce monde où il venait, une fois encore, de se réincarner.
Satisfait, Darian s’installa en tailleur près du feu mourant, observant la lueur vacillante des braises danser sur les parois de la cavité.
Bientôt, il chassera à nouveau.

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