Assis en tailleur, Darian observait le noyau blanc posé dans sa paume, la lumière du feu se reflétant sur sa surface lisse. Il savait qu’il n’existait aucun raccourci, aucune méthode miracle pour maîtriser la magie. Chaque pas devait être gagné par l’effort, la discipline et la patience. Ceux qui cherchaient à aller vite ne faisaient qu’effleurer la puissance, sans jamais la comprendre.
Dans ses vies passées, il l’avait constaté maintes fois, les apprentis pressés, avides de force immédiate, finissaient avec des niveaux de force médiocre. Ils devenaient faibles, instables, dépendants.
Lui, au contraire, avait toujours bâti sa force lentement, pierre après pierre, vie après vie. Et aujourd’hui encore, il choisirait la voie la plus sûre, la seule qui en vaille la peine, celle du travail acharné.
Pour s’éveiller, la tâche essentielle consiste à accumuler beaucoup d'énergie dans son propre noyau. C’est une pratique exigeante, car le noyau n’absorbe que faiblement la puissance qui circule dans le corps, il faut l’attirer, la canaliser, la transférer. Plusieurs méthodes existent, chacune présentant ses avantages et ses limites, mais toutes requièrent patience et persévérance. La méthode la plus laborieuse consiste à concentrer son énergie dans le noyau, sans jamais ressentir directement ni le flux d'énergie, ni le noyau lui-même. L’exercice demande une maîtrise absolue de soi, de son souffle et de son esprit. Certains pratiquent toute leur vie sans jamais réussir à éveiller leur noyau, et il n’est pas rare que des décennies soient nécessaires pour y parvenir. Avec l’aide d’un éveillé expérimenté, cependant, ce processus peut être accéléré, quelques mois, voire quelques années suffisent pour canaliser correctement l’énergie, et éveillé son noyau.
Une alternative plus simple, consiste à absorber directement les noyaux d’autres êtres vivants, un peu comme l'avait probablement fait le Renardin. Avaler un noyau injecte sa puissance dans le corps, mais le résultat reste aléatoire. Pour certains, une centaine de noyaux suffisent à éveiller le leur, pour d’autres, il en faut des milliers, voire des dizaines de milliers. Cette méthode peut être jugée rapide, mais elle est surtout coûteuse, et souvent dangereuse pour ceux qui ne connaissent pas les subtilités du flux vital et de la magie contenue dans ces sphères blanches. C’est une voie risquée, efficace uniquement entre des mains expérimentées.
Darian connaissait les méthodes, les erreurs et les échecs. L’expérience accumulée au fil de ses nombreuses vies l’avait aguerri, affûté. Là où d’autres tâtonnent à l’aveugle, il savait exactement quoi faire, et surtout comment. Sans hésiter, il tira son couteau de chasse de son étui. La lame reflétait faiblement la lumière du feu. Il inspira lentement, puis incisa la paume de sa main gauche d’un geste sûr. La coupure n’était pas profonde, juste assez pour faire perler le sang, rouge sombre et épais.
Il referma partiellement ses doigts pour former une coupe naturelle, puis posa sa main ouverte sur sa cuisse, stabilisant le geste. Quelques gouttes s’accumulèrent dans le creux de sa paume, tièdes. Darian saisit alors le noyau blanc et le déposa délicatement dans le sang. La sphère, immobile, sembla absorber sa chaleur corporelle, luisant faiblement d’un éclat intérieur. Le contact du sang et du noyau créait une légère pulsation, presque imperceptible, que Darian ressentait jusqu’au fond de son être. Il ferma les yeux, concentré. C’était ainsi qu’il avait toujours commencé, par un lien entre la chair, le sang et la magie. Rien de spectaculaire, rien d’immédiat, seulement la rigueur d’un rituel qu’il maîtrisait depuis plus d’une vie.
Darian fixait le noyau posé dans le creux de sa main, immobile en apparence, mais chaque fibre de son être vibrait d’une connaissance tacite. Il ne ressentait pas encore tout le processus sous-jacent, car il n’était pas encore éveillé, mais il savait ce qui se passait. Son sang tirait lentement l’énergie contenue dans la sphère blanche, un flux subtil mais puissant. Il savait qu’une grande énergie ruisselait à présent dans sa main, le long de son poignet, son bras, jusqu’à son cœur. Circulant dans ses veines avant de repartir dans l’ensemble de son corps. C’était un torrent silencieux, invisible, mais réel, et il le percevait comme on devine la présence d’une rivière sous la glace.
Il devait maintenant transférer cette énergie vers son propre noyau, concentrer ce flot dans le centre de sa force vitale. L’exercice exigeait patience et précision, car il ne pouvait ni voir ni sentir directement le flux. Il procédait comme un aveugle portant de la nourriture à sa bouche, guidé uniquement par la mémoire, l’instinct et l’expérience accumulée au fil de ses vies passées. Chaque mouvement était calculé, chaque souffle mesuré. Le noyau, baignant dans son sang, devenait un donneur silencieux, prêt à offrir la force que le Renardin avait posséder de son vivant.
Darian resta immobile, assis en tailleur au fond de la cavité, la main posée sur sa cuisse, le noyau baignant dans son sang. Il concentra toute son attention sur le flux d’énergie qu'il imaginait bien circuler depuis la sphère jusqu’à son cœur, puis vers son propre noyau. Deux heures s’écoulèrent ainsi, dans un silence presque parfait, uniquement ponctué par le crépitement du feu et le souffle régulier de sa respiration. Ce n’était pas l’épuisement qui le força finalement à arrêter, il aurait pu continuer plus longtemps, pousser plus d’énergie dans sa sphère. Mais il savait que cela serait inutile. Son noyau avait une limite d’absorption, et tout excès se dissiperait sans bénéfice. La patience était une part essentielle de ce processus. Il devrait recommencer plus tard, après quelques heures de repos, et répéter l’opération encore et encore pour accumuler véritablement la puissance nécessaire a l'éveil.
Il se redressa lentement, relâchant sa main, laissant le noyau reposer à proximité. L’effort mental et physique avait été intense, et il sentait chaque fibre de son corps vibrer de fatigue. Darian décida de profiter du calme de la cavité pour dormir un peu, récupérer de sa journée, et préparer ses forces pour la suite. La Renardine toujours ligotée non loin ne bougeait pas, mais par acquis de conscience il alla lui remettre son bâillon et vérifier ces liens.
Les premières lueurs de l’aube filtraient doucement à travers l’entrée de la cavité, teignant les parois de teintes orangées et roses. Darian s’éveilla lentement, étirant ses membres encore engourdis par le sommeil, tandis que la forêt commençait à murmurer ses premiers sons matinaux. La nuit avait été calme, presque irréelle dans ce monde sauvage, offrant un rare moment de répit.
Non loin de lui, la Renardine bougea légèrement. Ses liens la contraignaient, et elle s’agita comme pour se libérer, grognant et tirant sur ses attaches. Rapidement, elle abandonna, réalisant l’impossibilité de se défaire des liens qui la retenaient. Ses mouvements restèrent alors plus subtils, prudents, observant Darian sans pouvoir agir.
Autour d’eux, la forêt reprenait vie. Les bruits lointains des oiseaux, le froissement des feuilles sous le pas d’un animal, et même les grondements sourds de créatures plus grosses au loin ne suscitaient aucune peur en Darian. Il connaissait ces sons, savait distinguer le danger réel des simples murmures de la nature. Ici, dans ce monde impitoyable, il avait appris à rester maître de ses émotions, à ne pas céder à la panique, même lorsque la mort elle-même semblait prête à bondir sur lui à tout instant.
Darian se redressa lentement, secouant ses membres engourdis par le sommeil. Avant de reprendre son travail sur le noyau, il décida de se dégourdir les jambes. Marcher un peu, sentir le sol sous ses pieds et tester son équilibre dans la cavité lui permettait non seulement de réveiller son corps, mais aussi de mieux connaître son environnement. Chaque pierre, chaque racine ou raclage de terre pourrait devenir un obstacle ou un allié si une urgence survenait. La prudence était vitale dans ce monde où le danger pouvait surgir à tout instant.
Avant de quitter la proximité de la Renardine, il se pencha pour vérifier ses liens. Chaque nœud était intact, solidement serré, et la sangle autour de son museau ne semblaient pas faiblir. Elle observait ses gestes avec des yeux méfiants, mais sans pouvoir réagir. Satisfait que sa captive restât sous contrôle, Darian s’éloigna légèrement, glissant à pas mesurés vers l’entrée de la cavité. Il inspira profondément l’air frais du matin, prêt à explorer un peu, tester le terrain et s’assurer qu’aucune menace immédiate ne planait avant de se replonger dans l’éveil de son noyau.
Darian sortit prudemment de la cavité, l’air frais de l’aube lui caressant le visage. Ses sens étaient en alerte, chaque bruit, chaque mouvement scruté avec minutie. L’arc était fermement tenu dans une main, une flèche prête à être encochée dans l’autre. Il progressait lentement, chaque pas étudié, évitant les branches cassantes et les feuilles sèches qui trahiraient sa présence. Ses yeux scrutaient le sol à la recherche d’empreintes fraîches, signes d’une proie ou d’un prédateur, tandis que ses oreilles captaient le moindre craquement, le moindre bruissement de la forêt.
Après plusieurs dizaines de minutes, il ne trouva aucun signe de danger immédiat. Aucune empreinte suspecte, aucun mouvement furtif, aucune bête prête à bondir sur lui. Un sentiment de soulagement mêlé à la vigilance s’installa. L’emplacement qu’il avait choisi la veille se confirmait comme idéal, la cavité, légèrement surélevée au-dessus du cours d’eau, offrait une vue dégagée sur les alentours tout en étant partiellement cachée par la végétation. En cas de problème, il pourrait fuir rapidement le long du relief, mais pour la plupart des bêtes, l’accès restait difficile. Cette combinaison de sécurité et de contrôle sur son environnement faisait de ce refuge un point stratégique pour la suite de ses plans. Il inspira profondément, et retourna à l’intérieur pour reprendre son éveil.
À l’intérieur de la cavité, le pas silencieux, ses sens encore en alerte malgré l’absence de danger immédiat. Il s’approcha de la Renardine et défit doucement le bâillon qui lui comprimait le museau. La créature grogna faiblement, reculant légèrement, mais ne tenta aucun geste agressif, elle semblait encore trop faible et prudente. Devant lui, la viande de la veille n’avait pas été touchée. Il ne la pressa pas. La faim viendrait à son rythme, et il n’avait ni le temps ni l’envie de forcer quoi que ce soit.
Darian, lui, prit quelques morceaux pour calmer sa propre faim, mâchant lentement, attentif à chaque bruit autour de la cavité. Une fois rassasié, il reprit sa place au fond de la grotte, assis en tailleur. Il rouvrit légèrement sa plaie au creux de sa main, suffisamment pour que le sang coule à nouveau sans aggraver la blessure. Il y déposa le noyau, comme la veille, et concentra son esprit sur le flux d’énergie qui circulait entre le sang, son cœur et son propre noyau. Chaque respiration était mesurée, chaque pensée focalisée.
La Renardine l’observa longuement, ses yeux dorés suivant chacun de ses gestes silencieux, fascinée ou méfiante. Après un moment, elle bougea la tête, hésitante, et se rapprocha de la viande qu’il avait laissée. Lentement, précautionneusement, elle commença à manger, ses crocs effleurant les morceaux avec prudence, tandis que Darian, impassible, poursuivait concentrer son travail sur le noyau, indifférent aux gestes de sa captive mais conscient de sa présence.
Quand il rouvrit lentement les yeux, rompant le silence profond qui régnait dans la cavité. Deux heures venaient de s’écouler, marquées par la concentration et la maîtrise de son souffle. Il sentait une légère fatigue mentale, mais aussi une satisfaction mesurée, son travail avançait, lentement mais sûrement. Le temps avant sa prochaine session serait consacré à autre chose. Il devait mieux connaître les environs, repérer les voies de fuite, et les traces d’autres créatures.
Avant de partir, il s’approcha de la renardine. Elle le suivit du regard, les oreilles rabattues, sur la défensive. Sans un mot, Darian reprit le bâillon qu’il avait retiré plus tôt et le remit solidement autour de son museau. Elle grogna faiblement, mais n’opposa pas de réelle résistance. Il vérifia ensuite chaque lien, s’assurant qu’aucun n’était trop serré ni assez lâche pour lui permettre de s’en défaire. Satisfait, il se redressa et attrapa son arc.
Il jeta un dernier coup d’œil à la créature ligotée, puis à la petite flamme mourante du feu. Tout semblait stable. Il prit la direction de la sortie, la lumière du jour filtrant entre les branches l’appelant à explorer plus loin, toujours avec la prudence d’un survivant aguerri.

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