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tome 1, Chapitre 3 « Chapitre 3 » tome 1, Chapitre 3

Darian s’approcha encore, profitant du brouhaha léger que faisaient les deux Renardins dans l’eau. Leurs mouvements, d’abord joueurs, prenaient une tournure plus lente, plus intime. Leurs grognements rauques s’étaient mués en un langage corporel sans équivoque, un jeu de séduction animal qui ne tarderait pas à s’intensifier. Ce moment de relâchement total jouait en sa faveur. Tapi derrière un fourré, il les observait sans émotion, concentré sur ce qui se trouvait un peu plus loin, au pied d'un arbre, leurs affaires. Quelques objets rudimentaires un sac, des vêtements, la peau tendue d'une bête fraîchement chassée et dépecé pour sécher, mais surtout, un arc. L’arme du tireur. C’était cela qu’il convoitait. Il savait qu’un seul geste maladroit pouvait ruiner toute chance d’approche, mais la tentation était trop grande. Armé de cette arme, il pourrait reprendre le dessus. Il retint son souffle, calculant la distance, la position du vent, le moment idéal pour s’avancer. Les deux Renardins semblaient perdus dans leur relation qui s'intensifiaient, instinctif, inconscient de l’ombre qui rampait déjà dans leur dos, prête à frapper ou à disparaître avant qu’ils ne réalisent qu’ils n’étaient plus seuls.

Darian se glissa hors de son couvert, avançant lentement vers l’arbre près duquel reposait l’arc. Il connaissait les angles morts, les zones que le regard des Renardins ne couvrait pas. Courbé, il progressait à pas mesurés, son souffle coupé, chaque mouvement calculé. Le vent jouait en sa faveur, emportant son odeur dans la direction opposée. L’arbre, massif, lui offrait la protection parfaite, derrière son tronc, il serait invisible. À quelques pas seulement de l’arme, il sentit son cœur accélérer. Plus la distance se réduisait, le risque augmentait. Une seule erreur, un craquement de branche, et tout basculerait.

Darian s’accroupit derrière l’arbre, le souffle mesuré, le cœur battant avec la régularité d’un tambour de guerre. Il ferma brièvement les yeux pour calmer son esprit, puis les rouvrit, emplis d’une concentration glaciale. Sa main droite serrait fermement la flèche qu’il avait récupérée plus tôt, son seul atout avant de pouvoir s’armer réellement. Quand il se décide enfin, le monde sembla se rétrécir à un silence absolu. Il se glissa hors de sa cachette avec la lenteur d’un fauve, chaque mouvement fluide et précis. Arrivé à portée, il tendit la main et saisit délicatement l’arc posé contre l’arbre. Le bois grinça à peine. Il inspira profondément, encocha la flèche et banda la corde, son regard fixé sur le mâle qui riait encore, insouciant, dans l’eau.

Le tir partit dans un souffle. Darian n’attendit pas pour voir s’il avait touché. Déjà, il bondissait vers le carquois posé non loin, fouillant rapidement avant de saisir une seconde flèche. Son esprit n’était plus qu’instinct. Sans hésiter, il arma de nouveau l’arc, pivota légèrement et visa la femelle, qui commençait à tourner la tête, alertée par un bruit étouffé. La corde se détendit dans un claquement sec. Une seconde flèche fendit l’air, droite et rapide. Ce n’est qu’après avoir tiré qu’il laissa son souffle s’échapper, priant pour que la surprise ait suffi à accomplir ce qu’il n’avait pas le luxe d’échouer.

Darian ne perdit pas une seconde. D’un geste vif, il se saisit d’une troisième flèche dans le carquois et banda l’arc, les doigts crispés sur la corde. Son regard glissa vers la scène.

Le mâle se débattait violemment dans l’eau, éclaboussant autour de lui, la flèche profondément plantée dans son cou ensanglanté.

La femelle, elle, s’était traînée sur la berge, blessée, haletante, le sang coulant de son flanc. Leurs yeux se croisèrent une fraction de seconde, mélange de peur et de résignation. Darian ne détourna pas le regard. Il visa plus bas, calculant la trajectoire, puis relâcha la corde. La flèche siffla dans l’air avant de se ficher profondément dans la jambe de la Renardine, la plaquant au sol. Elle hurla, mais ne pouvait plus fuir.

Darian s’accroupit à quelques mètres, le souffle lent et maîtrisé, observant la scène avec attention. La femelle gisait sur la berge, inconsciente après sa seconde blessure, ses membres immobiles et sa respiration irrégulière. Le mâle flottait, immobile, rigide et silencieux, son corps marqué par la première flèche. Autour de lui, la forêt demeurait étrangement calme, comme si le monde retenait son souffle. Aucun craquement, aucun mouvement suspect, il n'y aurait pas de renfort pour les Renardins, aucun compagnon à l’horizon. Il prit son temps, scrutant chaque détail, évaluant les risques et les opportunités. Le calme pesant renforçait sa vigilance, chaque bruit, chaque ombre pouvait signaler un danger imprévu. Pourtant, pour l’instant, il détenait le contrôle total de la situation, capable d’agir ou de disparaître à volonté.

Darian s’approcha de la femelle inconsciente et, avec une précision méthodique, la ligota, immobilisant ses membres pour éviter toute réaction lorsqu’elle reprendrait connaissance. Il la laissa à l’écart, s’assurant qu’elle resterait silencieuse et incapable de fuir. Puis, il retourna vers le mâle flottant dans l’eau, l’empoigna fermement et le tira jusqu’à la berge, ses muscles tendus sous l’effort. Une fois le corps étendu sur le sol, Darian récupéra les vêtements de la créature pour lui, depuis sa réincarnation il était toujours nu comme un vers.

Dans les affaires près de l'arbre il prit un poignard et commença son œuvre. Chaque geste était mesuré, méthodique, scientifique. Les bruits de la forêt autour de lui accentuaient le contraste avec l’action qu’il entreprenait, disséquer le corps pour récupérer le noyau. Chaque mouvement était précis, chaque incision réfléchie, signe de l’expérience accumulée au fil de ses vies.

Chaque être vivant développe, au cœur de son corps, un noyau. Ce centre d’énergie, concentre la force vitale et le potentiel de son propriétaire. Plus l’individu est robuste, aguerri ou expérimenté, plus le noyau est puissant, irradiant une énergie qui influence le corps et l’esprit. Pour les êtres « non éveillés », ce noyau se présente sous la forme d’une sphère blanche, pure mais simple de la taille d'une cerise, exactement comme celle qu’il avait observée chez le Renardin qu’il venait de disséquer. Mais lorsque l’individu s’éveille à la magie, ce noyau change, il devient jaune, vibrant, lumineux, et diffuse une aura perceptible pour ceux qui savent observer. Avec le temps et la maîtrise, le noyau continue d’évoluer, changeant encore de couleur, signe d'une puissance croissante. Darian avait besoin de ce noyau pour s'éveiller à la magie plus rapidement.

Une fois son œuvre terminée, il prit un moment pour faire le tri parmi les affaires éparpillées près de l’arbre. Il ne s’encombra pas inutilement, seule l’efficacité comptait. Il rassembla un sac en cuir grossier, outils de chasse, quelques vêtements de toile tannée, et un paquet de viande séchée soigneusement enveloppé. Le reste, trophées de chasse, et babioles, ne lui seraient d’aucune utilité.

Son regard se porta sur la carcasse d’un animal au sol, fraîchement chassé et découpé. Une bête robuste, un chevreuil, que le renardin avait manifestement dépecée pour en extraire le noyau. Mais celui-ci n’était plus là, sans doute dévoré sur-le-champ pour en absorber la force. Un gaspillage, pensa-t-il, mais trop tard pour le regretter.

Avaler un noyau brut est la méthode la plus élémentaire, et la plus primitive, pour en absorber la force. Simple, accessible à tous, mais d’une efficacité dérisoire. Celui qui s’y risque ne gagne qu’une maigre fraction de puissance, rarement plus de un à cinq pour cent de la force contenue dans le noyau, et cela ne fonctionne qu'une fois sur dix. C’est un acte de survie, non de maîtrise. Les véritables praticiens, ceux que l’on appelle les Éveillés, connaissent d’autres moyens, plus sûrs, plus rentables, mais nécessitant savoir et pouvoir. Lorsqu’un noyau est avalé, il se dissout presque instantanément dans l’estomac, son énergie brute se répandant dans le corps avant de se disperser. Une fois avalé, il est impossible de le récupérer, une chance unique, gaspillée aussi vite qu’elle est prise.

Une fois le sac solidement fixé sur son dos, Darian se dirigea vers la femelle renardin, toujours inconsciente, ligotée sur la berge. Il l’observa un instant. Ses blessures étaient sérieuses, mais pas mortelles. Il avait besoin d’elle vivante, pour apprendre, comprendre, pour un savoir qu’il n’avait pas encore. Il se pencha, la souleva avec effort et la plaça sur ses épaules. Son poids était léger, presque fragile malgré son allure animale. Sans un regard en arrière, il quitta les lieux, progressant à travers la forêt dense. La fumée aperçue plus tôt attendrait. Pour l’heure, il lui fallait un abri sûr, un refuge temporaire où préparer la suite.

Darian marcha longtemps, scrutant les reliefs, les ombres et les replis du terrain à la recherche d’un abri convenable. Le poids de la Renardine sur ses épaules ralentissait sa progression, mais il ne pouvait se permettre de la laisser derrière. Après près d’une heure à fouiller les environs, il finit par découvrir une cavité dissimulée derrière un rideau de végétation, à flanc de colline et légèrement surélevé. L’endroit était assez vaste pour les abriter tous deux, sec et protégé du vent. Il inspecta rapidement l’intérieur, vérifiant qu’aucune bête ne l’occupait déjà, puis y déposa sa captive avec précaution.

Le soleil déclinait, et il ne restait que quelques heures de lumière. Darian repartit aussitôt glaner du bois mort, de la mousse sèche et quelques branches fines. Bientôt, un feu discret crépita à l’entrée de la cavité, répandant une chaleur rassurante sans trop de fumée. Il s’assit enfin, dos contre la pierre, observant les flammes danser. Le jour touchait à sa fin, et pour la première fois depuis sa réincarnation, il se permit un bref instant de répit.

Darian s’approcha de la Renardine, allongée à même la pierre, toujours ligotée solidement. Sa respiration était irrégulière, sifflante, et le sang coagulé autour de ses blessures commençait à noircir. Il savait que, malgré leur endurance, ces créatures pouvaient succomber à une infection ou à une perte de sang s’il ne faisait rien. Il posa son sac, inspira profondément, puis entreprit d’extraire les deux flèches une à une.

Dès qu’il toucha la première, la renardine se réveilla en sursaut, les muscles tendus, les yeux fous de douleur et de peur. Un gémissement étranglé s’échappa de sa gueule, étouffé par le lien de cuir serré autour de son museau.

Darian ne ralentit pas. Il arracha d’un geste précis la première flèche, puis la seconde. Le sang coula à nouveau, plus vif. Sans perdre un instant, il saisit une branche dont l’extrémité rougissait dans le feu. La chaleur ondulait dans l’air lorsqu’il approcha la braise ardente des plaies. Le contact fit jaillir un sifflement terrible, et la renardine se tordit, ligotée, les yeux baignés de larmes de douleur. L’odeur de chair brûlée emplit la cavité. Darian resta impassible. C’était brutal, mais nécessaire. Quand tout fut terminé, il posa la branche, essuya ses mains ensanglantées sur le sol, et observa sa captive reprendre un souffle haletant, mais vivante.

Darian resta un moment silencieux, observant la renardine qui respirait difficilement, mais dont la vitalité reviendrait lentement. Il savait qu’il aurait besoin d’elle, pas maintenant, mais bientôt. Une semaine, peut-être moins. D’ici là, elle devait survivre. Il s’agenouilla à côté d’elle, glissa deux doigts sous les sangles de cuir et défit son bâillon. Immédiatement, elle grogna, un son guttural, animal, plus rageur que menaçant. Il ne répondit pas. À la place, il prit un morceau de viande séchée et le déposa calmement devant son museau. Elle détourna la tête, les crocs serrés, refusant d’y toucher.

Sans insister, Darian s’éloigna un peu, s’assit près du feu et sortit à son tour de la viande. Sous le regard méfiant de la renardine, il commença à mâcher lentement, savourant chaque bouchée comme si elle n’existait pas.

Le silence s’étira, ponctué seulement par le crépitement discret des flammes. Puis, il glissa la main dans le sac et en sortit le noyau blanc extrait du corps du renardin mâle. La sphère luisait faiblement avec le reflet du feu dans la pénombre, pure, presque paisible. Darian la contempla un instant, songeur, conscient du pouvoir qu’elle contenait, faible, certes, mais précieux.

Sans un mot, il se déplaça jusqu’au fond de la cavité, s’assit en tailleur, dos droit, face à l’entrée. Le feu projetait son ombre sur les parois. Entre ses doigts, le noyau captait la lueur rougeoyante, symbole fragile d’une force qu’il lui faudrait bientôt maîtriser.


Texte publié par Le Marcheur Vert, 18 novembre 2025 à 09h07
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