Turold ouvrit les yeux dans une obscurité tiède. Il tenta de comprendre où il se trouvait. Il était allongé sur une surface confortable, emmitouflé dans une couverture. Il discerna un plafond soutenu par des poutres et une cheminée face à lui. La lueur des braises soulignait à peine le visage pâle d’une jeune fille allongée à même le tapis, enveloppé dans une couverture. Blanche. Dans l’un des fauteuils dormait un petit être à peine visible sous son tas de couvertures. Un léger ronflement émanait de lui, très similaire à celui qui provenait de l’autre fauteuil.
Il se sentait bien, en sécurité, malgré le fait qu’il se trouve dans un lieu inconnu, en dehors des arènes. À la périphérie de son audition, il percevait un doux murmure, des bruissements et des craquements, presque un chant. Il se redressa, éveillant sa blessure qui le lança. Il grimaça, fit une pause pour reprendre son souffle, et parvint à s’asseoir. Il n’aimait pas l’état de faiblesse dans lequel il se trouvait.
— Tu es réveillé, prononça une voix sur sa gauche.
Il tourna la tête vivement dans cette direction et rencontra le regard d’un homme, assis sur une chaise près de la fenêtre. Une lanterne posée à côté de lui révélait son teint ocre, ses yeux d’un bleu perçant et sa chevelure blanche retenue par un catogan en une queue de cheval.
— Qui êtes-vous ?
Il racla sa gorge brulante. L’homme prit un gobelet posé sur le rebord de la fenêtre, se leva et le lui tendit.
— Bois. C’est de l’eau. Ça te fera du bien.
Turold accepta l’offrande et prit une gorgée. La fraicheur du liquide soulagea la douleur de sa gorge.
— Je vous connais ? demanda-t-il, en lui rendant le verre.
— Je ne crois pas, non, répondit l’homme avec une étrange expression de tristesse. Je me nomme Aeneas. Je suis… J’étais le sénéchal de la baronne de Blanchehaie.
— Vous êtes un Vallois, comme moi. Que se passe-t-il ? continua-t-il. Où sommes-nous ?
— Dans la maison d’amis de Blanche, répondit le Vallois.
Turold jeta un coup d’œil à la jeune fille.
— Veux-tu que je la réveille ? proposa Aeneas.
— Non. Qu’elle se repose.
Turold se leva avec précaution. Aeneas s’écarta et le laissa prendre sa place sur son siège. Le garulf jeta un coup d’œil intrigué à la pièce, puis à l’extérieur. Il fronça les sourcils.
— Je ne devrais pas être ici. Je ne comprends pas.
— C’est compliqué, intervint Aeneas.
Turold se sentit soudain agacé.
— Qui êtes-vous ? Qu’avez-vous à voir avec cette affaire ?
Blanche jeta un coup d’œil à Aeneas.
— Turold, je sais que tu es confus. Mais nous allons bientôt atteindre un refuge ; on t’expliquera tout là-bas.
— Je veux une explication maintenant.
Aeneas soupira.
— Comme toi, je suis originaire du Val Ardent, répondit Aeneas. Je suis le fils cadet de la reine Ménéhilde.
— Et pourtant, vous travaillez pour la baronnie ?
— C’est un arrangement entre nos deux états. Mais ma véritable mission était tout autre. Je devais te retrouver et tout faire pour te faire revenir à la maison.
Un rire rauque secoua la garulf.
— Une arène ou une autre, cela ne change pas grand-chose pour moi. Pourquoi cet intérêt ?
Aeneas garda le silence en se mordant les lèvres. Il paraissait déchiré. Puis, il sembla prendre sa décision.
— Je sais que c’est incroyable, mais tu es mon frère ainé, et le fils de Ménéhilde, la reine du Val Ardent.
— La reine…
— Tu as été envoyé dès ton plus jeune âge dans notre domaine familial, à l’oasis du Geyser. Mère venait te voir le plus souvent possible.
— Elle m’apportait des cadeaux. Elle disait qu’elle était ma marraine, souffla Turold, comme perdu dans ses souvenirs.
Puis son visage se figea en un masque de colère. Un rictus déforma ses lèvres, découvrant ses dents en un grognement animal. Blanche pouvait sentir à quel point il était tendu.
— Et puis on m’a arraché à mon foyer et jeté dans une arène. On m’a dit que j’étais un monstre, une créature dangereuse et que je ne pouvais vivre que pour combattre. On m’a dit que la reine Ménéhilde m’avait vendu à Blanchehaie.
Aeneas pâlit.
— Ce n’était pas elle, je te le jure.
— Mais elle ne m’a pas empêché d’y être enfermé à dix ans.
— C’est vrai, concéda le Vallois, et je lui en veux terriblement. Jusqu’à il y a un an, je n’étais pas au courant de ton existence.
En tremblant, Turold baissa la tête et garda le silence. Il serra les poings et prit une profonde inspiration. Sa vue se brouillait ; son cœur battait la chamade et il sentait le loup qui voulait émerger. Non !
— J’ai tout fait pour te faire libérer, expliqua Aeneas d’un ton pressant. J’ai trouvé des preuves. Je pensais que la baronne m’aiderait, mais j’ai eu tort. Tu étais en danger, dans les arènes. La baronne voulait se servir de toi pour faire pression sur le Val Ardent.
— Je n’ai pas de futur, à part la fuite, murmura Turold. Je suis un paria partout où je vais.
Il se leva d’un bond. Il combattit le léger vertige qui l’assaillit et s’éloigna de quelques pas.
— Je mérite d’être enfermé, lança-t-il. Je suis un monstre.
Son cœur se tordit alors qu’Elwaïr, sans vie, le fixait de son regard mort. Il frissonna.
— J’ai tué Elwaïr, souffla-t-il.
— Tu as sauvé les spectateurs, fit une voix nouvelle.
Il se retourna vers la cheminée, et vit Blanche, assise. Elle se leva et rejoignit les deux hommes. Turold ne la lâcha pas du regard, comme si elle était sa seule bouée de survie. Elle reprit, d’une voix calme :
— Tu t’es interposé et tu l’as empêché de massacrer les spectateurs. Ceux-là qui hurlaient à la mort pendant que vous vous battiez.
Il la fixa, une expression de doute peinte sur le visage.
— Vous ne comprenez pas ! J’ai relâché mon emprise sur la bête au fond de moi ; j’ai échoué !
— Non. Tu as sauvé ces gens. Tu as refusé de faire le jeu de tes geôliers. Tu n’es pas un monstre.
— C’est pourtant bien ce qu’on m’a dit pratiquement toute ma vie, cracha-t-il. On m’a enseigné à maintenir la bête corrompue enfermée dans une cage, à la contrôler, la maitriser, pour m’en servir sans qu’elle m’envahisse.
Les yeux brillants de larmes contenues, Blanche posa une main sur son bras. À travers ses tremblements, il perçut la chaleur de ce contact, qui remonta le long de ses nerfs. Il s’apaisa.
Soudain, Thafu s’étira bruyamment, attirant l’attention du trio.
— Les gens du Val Ardent et de la baronnie ne savent pas, commenta-t-il en s’extirpant de son cocon.
Skas hocha sa tête ébouriffée et lança.
— Ouais. Ils comprennent rien.
Thafu s’inclina devant le garulf qui le fixait, bouche bée.
— Vu votre expression, vous n’avez pas dû voir souvent des Dywengars. Je suis Thafu. Et lui, là, c’est Skas, mon frère. Nous sommes des amis proches de Blanche.
— Enchanté, souffla Turold.
— Nous de mêmes, répondit-il d’un ton serein.
— Merci pour votre aide, j’imagine, reprit le garulf avec un sourire gêné.
— J’ai entendu ce que vous avez dit. Et rien n’est plus faux, expliqua Thafu. Vous, les Vallois, vous avez oublié tellement de choses. Mon peuple, lui, se souvient. Dans la forêt de Sylvemestre, les garulfs vivent en village, en communauté. Libres.

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