Ils atteignirent la maison au petit matin. Ils avaient marché toute la nuit et Blanche rêvait d’un lit douillet. Skas et Thafu, aussi vaillant qu’au petit matin, avaient encouragé les humains, mais même les montures étaient fourbues.
Un élan de nostalgie s’empara de la jeune femme quand elle découvrit le bâtiment de bois entourée d’arbres. Un sentier passait devant la porte et se perdait entre les fûts des hauts arbres vers le nord et le sud. Elle entendait les chuchotements du ruisseau qui s’écoulait dans un bassin aménagé par les habitants du lieu, avant de continuer sa route en s’enfonçant entre les racines. Blanche et ses amis avaient quitté cette maison quelques mois auparavant, mais elle avait l’impression que c’était la veille. Ses amis déverrouillèrent la porte et ouvrirent les volets, pendant qu’Aeneas débarrassait les chevaux et les menait dans le petit enclos verdoyant. Encre poussa un hennissement doux et frotta son museau sur la main de Blanche, quand elle ôta son équipement et la laissa avec les deux poneys.
Puis elle aida le Vallois à transporter son frère à l’intérieur. Ils le déposèrent sur un divan et placèrent la couverture sur lui. Aeneas se laissa tomber sur l’autre fauteuil, et se frotta les yeux. Blanche se percha sur l’accoudoir, une main posée sur l’épaule du blessé. Dans un silence épuisé, Thafu et Skas allumèrent le feu, ouvrirent placard et sacs à dos pour préparer un repas.
— Me retrouver ici fait remonter des souvenirs, murmura Aeneas.
— De bons souvenirs, lança Skas. On vous avait accueilli comme des rois.
Un fin sourire illumina brièvement le visage de l’ancien sénéchal.
— C’est vrai. Ça me semble si lointain pourtant.
Blanche avait de très bons souvenirs de cet endroit. Mais depuis qu’elle était entrée, les souvenirs des différentes tentatives de Ceinwyn cherchaient à se frayer un chemin. Elle se leva et s’agenouilla au pied du fauteuil. Elle posa une main sur le front du blessé, en surveillant sa respiration. Elle était régulière et de plus en plus forte. La fièvre semblait avoir baissé. Elle souleva doucement la couverture, et ses vêtements, puis défit le bandage. La plaie paraissait moins inflammée et commençait même à cicatriser. Elle remit tout en ordre et leva la tête vers le Vallois qui avait suivi tous ses gestes du regard.
— Il guérit, murmura-t-elle.
— Alors pourquoi ne se réveille-t-il pas ?
— Je crois qu’il a subi un choc bien plus important que sa blessure physique.
Aeneas hocha la tête. La chaleur du foyer se répandait dans la pièce. Sa douce lueur faisait disparaitre l’obscurité. A cet endroit de la forêt, le soleil perçait difficilement les frondaisons.
— Nous sommes encore loin ?
— Une journée je pense, en coupant à travers bois, répondit-elle.
Il se leva et se posta près de la fenêtre. Son regard rêveur se perdit entre les hauts arbres. La forêt était si dense qu’il ne voyait pas plus loin que la limite de la clairière dans laquelle se trouvait la maison. Il discernait des sentiers, mais ils disparaissaient très vite, dévorés par des buissons touffus qui entouraient les troncs épais, aux écorces marbrés de lianes entortillées. Leurs branches se rejoignaient pour former un toit de feuilles au-dessus de leurs têtes. La lumière qui passait aux travers de quelques trous avait une teinte verdoyante. Aeneas était nerveux ; les craquements des branches, les bruissements divers et cette impression générale qu’on l’observait de partout lui donnaient des sueurs froides.
— Vous n’avez pas peur ?
La voix de Blanche l’arracha à sa contemplation. Elle le fixait de ses grands yeux noirs, une main posée sur l’épaule de son frère.
— Non. Pourquoi … ?
— Vous venez d’abandonner votre poste, de trahir la baronne. Elle ne va pas apprécier.
Une moue amère déforma sa bouche.
— J’avais déjà perdu mon poste. De toute manière, ma véritable mission n’a jamais été de la servir.
Blanche pencha la tête.
— Je vois.
— Nous aurions dû trouver un moyen d’atteindre le Val Ardent ! lâcha Aeneas, en se retournant vivement.
— C’est plus sûr de passer par Sylvemestre, répondit-elle. La frontière est beaucoup plus proche. Nous y serons en sécurité.
— Je ne m’y sens pas en sécurité, rétorqua-t-il. Et où pourrait-il être vraiment en sécurité ?
Thafu les rejoignit. Il lui tendit un bol fumant. Aeneas sursauta : il ne s’était pas habitué à la discrétion et à la légèreté de ces petits êtres.
— Ne vous inquiétez pas, maitre. Il ne risque rien ici.
— Cette forêt est tellement … pesante.
Le dywengar sourit.
— C’est parce que vous n’avez pas l’habitude. Depuis que nous sommes sous les arbres, je me sens léger comme une plume.
Thafu jeta un regard rempli de tendresse par la fenêtre. Puis il fixa Aeneas d’un air grave.
— Un fils d’Aldwulf est à sa place à Sylvemestre.
Blanche haussa un sourcil et fixa son ami. Aldwulf ? Ce nom lui disait quelque chose, mais elle n’arrivait pas à se rappeler.
— Un fils d’Aldwulf ? Qu’est-ce que c’est ? questionna le Vallois
— Un garulf. Tous les garulfs sont les descendants du Loup-Esprit. Vous ne le saviez pas ?
— Nos légendes en font des enfants des démons, souffla-t-il, en scrutant son frère.
Thafu émit un rire sec et bref
— ça ne m’étonne pas. Une belle manière de justifier la façon dont vous les traitez. Si on avait le temps, je vous emmènerai dans la bibliothèque de mon Gran’p. Il possède des codex et des parchemins bien plus vieux que lui, qui racontent la vraie histoire.
— Mon père possède aussi beaucoup de livres, affirma Blanche, le regard rêveur.
Sa voix s’éteignit alors que l’image lointaine de ce père qu’elle avait à peine connu tentait de se frayer un chemin dans son esprit. Elle ne lui pardonnait pas encore de l’avoir laissé à la merci de Ceinwyn après la mort de sa mère. Il avait épousée cette femme pour lui donner une mère, puis il avait disparu pendant des mois pour des missions et des fouilles archéologiques. Elle ne l’avait revu que lors de ses fiançailles. Il l’avait fixée avec une telle douleur que son cœur avait menacé d’exploser. Elle avait refusé qu’il lui parle ; il était reparti dès le lendemain.
Serait-il au manoir quand ils l’atteindraient ? Comment l’accueillerait-il ? Avait-il enterré sa femme ou avait-elle disparu pour mourir dans un coin ? Elle soupira. Thafu lui jeta un coup d’œil inquiet, mais Aeneas ne se préoccupait que de son frère. Ce dernier respirait de manière régulière et sa fièvre était entièrement tombée.
Au bout de quelques minutes de silence, le dywengars sauta sur ses pieds.
— Allez. Venez manger. Il vaut mieux qu’on se repose toute la journée et qu’on reparte demain matin.
— Ce serait plus prudent de repartir le plus vite possible, objecta Aeneas. Uwen connait cet endroit, si …
— Il ne dira rien, intervint Blanche. Nous avons besoin de nous reposer. Turold encore plus que nous.
Il lui jeta un coup d’œil en plissant les lèvres, mais hocha la tête à contrecoeur. Blanche lui offrit un sourire et rejoignit la table.

| LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
|
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3333 histoires publiées 1459 membres inscrits Notre membre le plus récent est Bleu Paris Festival |