Uwen traversa lentement la boutique, contournant les groupes d’invités qui échangeaient entre eux et commentaient les pièces exposées. Il devait lutter contre sa gêne et son malaise : être ainsi au milieu d’autant de monde, dans un lieu clos, était une situation difficile à supporter pour lui.
Pourtant, il était à l’origine de cette idée et il se devait d’être là. Blanche vivait toujours auprès des dywengars et partageait ses journées entre son apprentissage auprès de Dame Hermeline et ses visites au château. La jeune femme paraissait radieuse dans sa nouvelle vie et il en était ravi.
Il n’oublierait jamais la première fois qu’il l’avait vue, gisant dans son cercueil de verre, comme si elle était endormie. Aeneas et lui étaient en chemin pour la capitale et sa curiosité les avait entrainés dans la forêt, au pied des Sep Pics. Ils avaient eu de la chance de croiser le chemin de la masure des dywengars, qui les avaient accueillis avec plaisir.
Les quatre frères veillaient sur le tombeau de Blanche avec loyauté et une profonde tristesse. Ils l’avaient fabriqué eux-mêmes. Uwen avait été impressionné par l’ingéniosité de cet objet.
C’était un cercueil entièrement transparent, fait dans une matière légèrement brillante, parcourue de veinules bleutées. Ils y avaient aménagé une couche, recouverte de satin blanc. Blanche y reposait, dans une simple robe beige ; ses cheveux d’un noir de jais répandu autour de sa tête ; son teint pâle et délicat, ses joues légèrement rosies et ses lèvres rouges donnaient l’impression qu’elle n’était qu’endormie. Uwen se demandait toujours quelles propriétés des matériaux utilisés avaient permis de la préserver ainsi pendant cinq ans.
Cependant, il chérissait davantage le souvenir de leur vraie rencontre : il avait réussi à déterminer ce qui la maintenait dans ce coma et l’en avait délivré : un morceau de la pomme empoisonnée que sa belle-mère lui avait fait manger. Lorsqu’elle s’était éveillée de son sommeil enchanté et avait rivé son regard abyssal sur lui, il avait cru se faire emporter par ses yeux. Elle n’était plus sortie de son esprit depuis : Blanche était douce, intelligente et sage, amusante aussi ; elle savait écouter et elle était généreuse. Malgré ses souffrances et les horreurs qu’elle avait vécues, elle n’en avait gardé aucune noirceur. Et cela impressionnait le jeune homme.
Venir la voir dans la forge des dywengars était une distraction bienvenue. Son retour auprès de sa mère s’était fait dans des circonstances tragiques, qui pesaient lourdement sur lui. Les dywengars étaient des compagnons intéressants et agréables. Lui qui souffrait difficilement les relations humaines, appréciait la compagnie des quatre frères. Peut-être parce qu’ils n’attendaient rien de lui, ou bien qu’ils ne le jugeaient pas.
Sa présence dans la boutique provoquait des murmures et des regards dont il se serait bien passé. Pourtant, cela ne le surprit pas. Sa mère avait proclamé son existence officiellement, devant toute la cour : il était donc devenu le fils unique de la baronne de Blanchehaie, son héritier. Peu importait que son père ne soit pas le baron. La nouvelle s’était répandue dans la ville comme une trainée de poudre.
Il plaqua un sourire de circonstance sur son visage, répondit du bout des lèvres aux salutations. Lorsqu’il aperçut les dywengars, il décida d’attendre avant de leur présenter son travail. Thafu allait de groupe en groupe, utilisant son charme sur ses futurs clients. Ori montrait ses compétences d’artistes à quelques jeunes filles qui paraissaient fascinées. Thif servait du thé et des gâteaux et Skas, adossé au mur près de la porte d’entrée, surveillait la salle de son regard acéré. Puis Uwen aperçut Blanche, debout près d’une fenêtre, le regard perdu à l’extérieur.
Elle était vêtue d’une robe bleu clair ; ses cheveux étaient réunis en un chignon lâche ; son visage aux traits tirés lui donna l’impression qu’elle était fatiguée. Les bras croisés, elle semblait fermée à ce qui se passait autour d’elle. Quelque chose semblait peser sur elle. Il s’approcha.
— Blanche ?
Elle se retourna et sourit. Elle se pencha vers lui et déposa un léger baiser sur le coin de ses lèvres. Uwen lui rendit son sourire, mais au fond de lui, il était tendu : il se détestait de ne rien sentir lorsqu’elle l’embrassait ou le touchait.
— Je suis heureuse que tu aies pu te joindre à nous.
— Il y a du monde, commenta Uwen, en s’adossant au mur.
La jeune femme hocha la tête.
— Oui. Grâce à toi. Ta mère se sent mieux ?
Uwen secoua la tête. Penser à sa mère lui serra le cœur, comme à chaque fois.
— Non.
Blanche soupira.
— Vous avez fait un beau travail avec la boutique, remarqua le jeune homme, pour changer de sujet.
— J’y ai passé beaucoup de temps ; je suis ravie du résultat.
Le jeune homme se détendit, content de ce moment calme et paisible.
— Tu veux prendre l’air avec moi ? fit-elle au bout de quelques secondes.
Le cœur du jeune homme se serra d’appréhension. Étrangement, les moments d’intimité avec la jeune femme l’effrayaient. Néanmoins, il hocha la tête. Elle l’attira derrière elle et ils quittèrent l’échoppe par la porte menant directement dans la forge. Blanche y jeta un coup d’œil et frémit. Puis ils se dirigèrent vers le jardin obscur, jusqu’au chêne. La jeune fille s’installa sur le banc.
— J’en avais vraiment besoin, murmura-t-elle.
— Tu n’aimes pas trop le monde ?
Une expression de tristesse traversa son visage et Uwen regretta d’avoir posé la question. Elle laissa errer son regard dans le vide.
— J’ai vécu une bonne partie de mon adolescence loin de tout… ou endormie…, il faut que j’en prenne l’habitude, expliqua-t-elle, d’une voix égale. Mais, j’aime rencontrer des gens.
Puis elle se tourna vers lui.
— J’ai senti que tu étais tendu à l’intérieur. À cause d’eux ?
— Je n’aime pas vraiment la foule. Cela me met mal à l’aise.
Un éclair de culpabilité le traversa. Certes, il ne lui avait pas vraiment menti, mais il ne lui avait pas tout dit.
Uwen s’assit près d’elle et effleura sa main de ses doigts. Elle ne réagit pas, perdue dans ses pensées.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-il.
— Oui…, balbutia la jeune femme. Oui. Pourquoi ?
— Je ne sais pas. J’ai l’impression que tu es tendue, mal à l’aise.
Elle se tourna vers lui et eut un sourire triste. Elle retira sa main et la posa sur sa cuisse, à son grand soulagement. Il s’en voulut immédiatement. Qu’est-ce qui n’allait pas chez lui ? Pourquoi n’arrivait-il pas à se laisser aller ?
— Tout va bien. Je suis fatiguée. J’ai passé la journée avec Dame Hermeline aux arènes.
— Oh ! Tout s’est bien passé ?
Blanche soupira.
— L’ambiance là-bas est pesante, mais je n’abandonnerais pour rien au monde cette tâche.
Elle s’anima soudain et un sourire sincère éclaira son visage.
— Les garulfs sont fascinants.
— Es-tu certaine que c’est sans danger ? ne put s’empêcher de demander le jeune homme. Ce sont des…
— Des monstres ? l’interrompit la guérisseuse, d’un ton sec.
Uwen eut un mouvement de recul et cligna les yeux, stupéfait par sa véhémence.
— Je voulais dire… des criminels, Blanche. Qu’est-ce qui te prend ?
Une expression penaude effaça immédiatement toute la colère qu’il sentait briller dans ses yeux. Puis, il réalisa que c’était le seul sentiment qu’elle avait manifesté envers lui depuis des semaines.
— Je suis désolée. C’est que… ces gens sont désespérés et ont été maltraités une bonne partie de leur vie, considérés comme des monstres… Pardon.
Uwen sentit soudain le serpent de la jalousie le mordre cruellement.
— Tu sembles beaucoup plus investie dans cette mission que dans la préparation de notre mariage, commenta-t-il, d’un ton amer.
Elle soupira.
— Tu n’es jamais disponible pour en parler, Uwen. Tu comptes me laisser m’en préoccuper seule ?
— Je suis très occupé. Je pensais que peut-être…
L’expression d’agacement de la jeune fille l’interrompit net. Elle croisa les bras et il sentit que le gouffre qu’il y avait entre eux s’était encore élargi. Soudain, l’air sembla s’alourdir et les troncs craquèrent. Il eut l’impression que les hauts arbres se penchaient vers lui. Il frissonna.
— C’est un engagement à deux, Uwen, et ce, dès la cérémonie.
Elle se leva d’un bond.
— Je dois retourner là-bas, lâcha-t-elle, sans le regarder. Nous nous verrons peut-être demain, quand je viendrai pour les soins de ta mère.
Puis elle quitta le jardin à grands pas. Uwen ne tenta même pas de la retenir, partagé entre un étrange soulagement et la colère.

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