Prologue

« Oublions le passé, regardons-le comme un songe, l’avenir est incertain, nous ne tenons que le présent entre nos mains : ainsi jouissons-en, puisque nous le possédons, et chassons tous les chagrins et toutes les inquiétudes, qui nous rendent seuls et si malheureux » Simon-Nicolas-Henri Linguet

Pour la plupart des gens, ces quelques mots ne sont qu’une citation qui parle d’avancer dans la vie, une citation que leur dit que ses grâce aux enseignements du passé qu’il est possible de construire sereinement leur présent et leur avenir. Pour la plupart des gens, ces mots ne sont qu’un vague et ennuyeux conseil que leurs parents ou professeurs leur donnent pour guider leurs pas, pour moi en revanche, c’est La Citation qui résume mon histoire ou tout du moins, son commencement. Pendant ce qui m’a paru être une éternité, j’ai été fermement convaincue que connaître mon passé était La base fondamentale pour mener une vie heureuse. Aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte que finalement, il aurait sans doute mieux valut pour moi que ce passé reste enterré et que je reste une jeune fille normale et innocente.

-

Je n’ai aucun souvenir de la période précédent mes huit ans et il n’y a pas un nom, aucune impression qui puisse m’aider. La seule chose qu’il me reste de cette époque, c’est un rêve étrange, un souvenir flou. Un souvenir de douleur, dans ma tête, dans ma poitrine… une douleur brûlante. Dans mon cœur, mes bras et l’ensemble de mon corps, la douleur ; la douleur et des mots prononcés dans le noir. Où suis-je ? Je papillonne des yeux, ce qui me conduit vers une drôle de réalité. Je me trouve couchée sur un brancard, dans l’espace exigu d’une ambulance, un homme que je ne connais pas tiens un masque à oxygène sur ma bouche :

-Mikaela ? Mikaela, est-ce que tu m’entends ?

Je veux lui répondre que oui, que j’entends sa voix mais rien ne sort de ma bouche, les mots semblent bloqués dans ma gorge. La seule chose à laquelle je pense et qui semble pouvoir passer mes lèvres c’est cette question :

-Maman, Papa, où êtes-vous ?

Chaque syllabe, chaque aspiration est une dose massive de douleur dans mon corps, une dose massive de souffrance suivie d’une forte quinte de toux, quelque chose brûle mes poumons. J’attends une réponse de la part de cet homme qui me soigne, une réponse qui ne vient pas, il se contente de m’adresser une vague grimace. Mes larmes se mettent à couler, je commence à paniquer quand une main douce et chaleureuse s’empare de la mienne. Je lève les yeux pour voir qui est là quand je l’aperçois, penchée au-dessus du brancard. Une femme d’une grande beauté se tient là, tout près de moi. Ses cheveux sont longs et lisses, blonds comme le soleil, ses yeux, bleus et profonds comme l’océan sont remplis de tendresse et posés sur la petite fille agonisante que je suis :

-Tout va bien. Tout va bien Mikaela, je suis là, rassure-toi.

Une voix douce et mélodieuse qui me susurre des mots apaisants. Comme fascinée, je reste un long moment à la regarder tandis qu’elle m’offre le plus magnifique des sourires. Je sens sa main caresser et réchauffer la mienne, j’ouvre la bouche pour prononcer son prénom mais encore une fois, le mot reste coincé au fond de ma gorge. Son sourire, c’est la dernière chose que je vois avant de fermer les yeux et de me mettre à suffoquer. Même avec le masque sur la bouche, même sous les soins attentifs de l’ambulancier, je me tords de douleur, je convulse même, comme si ma tête et mon corps subissaient soudainement un choc très violent…

Dix ans, chaque nuit, pendant dix longues années, j’ai souhaité que ce souvenir prenne un sens, j’ai prié pour que toutes les questions que je me pose sur moi et sur mon passé trouvent une réponse. Alors que je vais très bientôt fêter mes dix-huit ans, ce rêve dont je ne connais pas la signification vient me hanter. Chaque jour, je tente de mettre un nom sur le visage de cette femme sans y parvenir. Il n’y a pas une heure, pas une minute qui ne passe sans que je me demande si cette femme qui apparaît dans mes rêves appartient oui où non à ce passé dont je ne sais rien. Aujourd’hui, le temps est venu de me rappeler.