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Le Reflet des Souvenirs

Figé sur le seuil, le cœur battant trop fort et les mains moites, Adrian laissa échapper un rire nerveux. N’était-ce pas ridicule, rester ainsi à l’entrée de sa propre maison, tétanisé par la peur d’y entrer ?

Tout avait commencé à son retour, une semaine auparavant. Il ne se souvenait même plus de la raison qui l’avait poussé à retourner dans son village natal. Surtout à cette période de l’année. Ses doigts gourds, malgré les gants en laine les recouvrant, le ramenèrent à l’instant présent. Inverness avait son charme : ses légendes, ses châteaux, son air marin. Néanmoins, Adrian avait aussi oublié pourquoi il avait choisi d’emménager ici. Au fond de lui, il ressentait un vide immense, l’impression angoissante qu’on lui avait dérobé des fragments de son passé.

Et puis, il y avait ces visions. Lorsqu’il entrerait, il ne pourrait s’empêcher de le regarder. Le miroir du vestibule. La source première de ses ennuis. Au départ, ce n’était qu’une image furtive. Un cadre apparaissant au mur, pourtant nu. Ces ballerines mauves bien alignées contre la plinthe. Tous ces objets n’existaient que dans ce reflet éphémère. Ensuite, il y avait eu cette silhouette. Une présence floue, un sourire voilé. Ces mirages disparaissaient toujours aussi vite qu’ils étaient apparues. Avait-il perdu l’esprit ?

Le pire, c’était qu’il ne pouvait s’en empêcher, dès qu’il entrait, de porter son regard sur la surface polie. Il aurait pu couvrir ce miroir, le coucher ou même le briser ; il s’en sentait incapable. Ces fantômes, cette présence éthérée, l’attiraient. Comme s’ils renfermaient un message caché. Comme s’ils résonnaient au plus profond de son âme… Oui, définitivement, la folie le guettait.

Pris d’un élan de détermination, il osa enfin pousser le battant. Dans la pénombre, l’immense plaque argentée s’élevait devant lui. Adrian sursauta quand la gâche claqua derrière lui. Elle était là, cette femme mystérieuse, à la place de son propre reflet. Ce jour-là, elle lui apparut plus nette. Les traits de son doux visage auréolé d’une chevelure dorée se dévoilèrent presque, l’incitant à s'avancer pour mieux les distinguer. Il approcha une main tremblante, jusqu’à toucher le teint glacé. Soudain, cette frontière s’effaça. Ses phalanges s'enfoncèrent dans des ondes mouvantes, telle la surface d’un lac trop calme.

Les tons pastels virèrent tout à coup à des teintes sombres et glauques. Un rire sardonique résonna alors qu’il sentait qu’on attrapait son poignet, là, de l’autre côté. Le visage angélique laissa place à une bouche édentée, des yeux exorbités et un amas de rides boursouflées.

– Adrian, tu m’as vendu ton âme, jubila l’abomination d’une voix stridente aux multiples échos. Il sera bientôt l’heure !

Paralysé par la terreur qui palpitait dans sa poitrine, Adrian ne laissa même pas échapper un son de sa gorge. Aussi brusquement qu’ils l’avaient agrippé, les ongles acérés lâchèrent prise. Projeté en arrière, Adrian se retrouva plaqué à la porte avec violence, ses paupières closes à en avoir mal. Seul son souffle saccadé retentissait à présent dans la pièce. Lorsqu’enfin il eut le courage d’ouvrir les yeux, il se retrouva face à un homme qu’il peina à reconnaître tant l’effroi déformait les traits de son visage. Ses cheveux avaient blanchi, des ridules striaient sa peau et ses lèvres entrouvertes trémulaient, plus pâles que la cire. Pourtant, tout était rentré dans l’ordre. Avait-il imaginé cette horrible scène ? Souffrait-il d’hallucinations plus graves que ce qu’il aurait imaginé ?

Adrian se laissa glisser le long du battant, sa respiration et son rythme cardiaque reprenant peu à peu une allure acceptable. Cela ne pouvait plus durer ainsi. Prenant son courage à deux mains, il décrocha le miroir et le descendit à la cave. Quand il en remonta, il se sentit soulagé d’un poids. Il se dirigea vers sa cuisine, bien décidé à oublier toute cette histoire insensée devant une bonne tasse de thé.

Il s’affairait devant sa bouilloire, quand sa tasse lui échappa des mains.

Là, sur ses avant-bras, persistaient des lacérations sanglantes…

Le Masque de Lavande a parlé : "Le miroir du vestibule ne reflète que les absents. Quelqu'un ou quelque chose a disparu, mais son image reste…"


Texte publié par Wildflower8906, 26 octobre 2025 à 12h47
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