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Lecture

La pièce tapissée de livres était la préférée de Théodore. Il pouvait rester des heures dans cette bibliothèque, s’y réfugiant comme un sorcier dans sa chaumière, loin des regards inopportuns. L’ambiance feutrée, aux odeurs de bois vernis, de velours et parfois de parchemin, le réconfortait jusqu’au plus profond de son être.

Une volute de vapeur s’étirait depuis la tasse posée sur le guéridon, embaumant l’air de suaves odeurs de chocolat et de miel.

Enveloppé dans son fauteuil, à distance idéale de l’âtre, Théodore profitait de la lumière et de la chaleur bienveillantes du feu. Avec une légère inspiration, soulignant son impatience, le jeune homme caressa la couverture gentiane de l’épais volume. De fines gravures rampaient sur la surface lisse du papier cartonné et lustré. Quelle histoire merveilleuse se cachait entre ces pages !

Une gorgée de chocolat chaud plus tard, il posa le livre sur ses genoux, et admira une dernière fois sa couverture. Puis il l’ouvrit avec délicatesse et lut bien au-delà de la nuit...

« ... aile blessée, le phénix avait de plus en plus de difficultés à supporter son poids. Dans leur dos, le battement des ailes du dragon rouge se rapprochait dangereusement. Les Monts de Brume étaient encore si loin !

Le chevalier porta inconsciemment sa main sur l’adorable voile qui voletait à son bras, souvenir d’une belle aux yeux d’ambre. Ce geste le rassurait, lui procurant un courage inespéré.

Une ancienne citadelle était en vue, presque engloutie par une épaisse végétation tiraillée entre forêt luxuriante et marécage nauséabond.

Un crépitement retentit brusquement et un souffle ardent le frôla de si près qu’il en perdit l’équilibre. De justesse, il s’agrippa à la selle et intima à sa monture de descendre vers le sol. Les griffes du phénix arrachèrent plusieurs lianes de lierre argenté alors qu’il négociait son atterrissage sur le toit de la tour disloquée.

Le chevalier relâcha sa monture et se précipita à l’intérieur de la ruine. Le dragon, furieux, cracha encore une salve incandescente, mais les vieilles pierres jouèrent leur rôle protecteur. Le lézard ne s’attarda pas : inutile de perdre son temps ici, les créatures des lieux s’occuperaient de ce voleur.

Encore tremblant, affalé au bas des marches de l’escalier tortueux, le chevalier ouvrit la bourse à sa ceinture. Il soupira de soulagement : la pierre était toujours là. Quels dangers pour cette minuscule roche ! Rayée d’or et de noir, elle renvoyait avec vigueur chaque rayon de lumière.

Par toutes les paillettes qui s’effritaient de la pierre, il sentait la magie glisser sur sa peau. Que n’était-il pas instruit de ces... »

Le jeune homme s’était assoupi sur son tome fantastique. Le feu mourait dans l’âtre, apportant encore un peu plus d’ombres dans les reflets bleus de ses cheveux noirs.

Le chant d’un oiseau, accueillant le jour d’une trille enjouée, le réveilla. Théodore referma doucement son livre, ravi du récit : excellent. Vraiment.

Satisfait, il se leva et glissa l’ouvrage dans son sac avant de se préparer et se rendre en ville.

Sophie était en retard pour son cours de psychosociologie. Dans son empressement, elle percuta un homme dans le couloir du bâtiment des sciences humaines.

Celui-ci ne s’en offusqua pas, l’aidant même à ramasser ses livres au sol. Confuse, elle releva la tête pour s’excuser et le remercier. Elle fut subjuguée par la beauté des yeux derrière ses petites lunettes carrées et bafouilla en fourrant ses stylos dans son sac. Le temps qu’elle range le reste de ses affaires, il avait disparu.

Elle secoua la tête : elle avait dû rêver. Des yeux émeraudes à reflets fuchsia, ça n’existait pas.

Ce ne fut qu’une fois dans la salle qu’elle s’aperçut avoir un livre de trop : un gros livre, à la couverture bleutée, dont le marque page était constitué d’une fine bandelette de soie fine iridescente. Le jeune homme avait dû lui donner par erreur avec ses propres affaires. Elle feuilleta rapidement les premières pages et fut conquise : une romance fantasy, exactement son genre de prédilection ! Elle trouverait bien le moyen de lui rendre... plus tard...

Théodore quitta le campus et se rendit dans le parc. Cette belle journée de printemps méritait qu’on se prélasse sur un banc ou l’un des fauteuils devant le bassin où jouaient quelques enfants avec de petits bateaux.

Il prit place sous un chêne. Le bruissement de la brise dans les feuilles supportait le poids du ronron de la ville jusqu’à le mettre en sourdine. Le banc abritait déjà un homme aux rides aussi marquées que ses cheveux étaient blancs, captivé par sa lecture. Penchant la tête sur le côté, Théodore lut le titre : « Le crime de l’Orient Express ».

— Bonjour. Vous aimez les intrigues policières, on dirait ?

— En effet, c’est mon dada ! Vous aussi ?

— Oui, assez, même si ce n’est pas mon genre favori.

La discussion intergénérationnelle menée à bâton rompu entre mystères, détectives et malfrats, égrena bien plus de minutes que Théodore n’en avait prévues.

Celui-ci prit donc congé et se dirigea vers le centre commercial où il trouverait de quoi se restaurer.

Le vieil homme reprenait son livre quand il se rendit compte que ce charmant jeune homme avait oublié le sien ! Curieusement, plusieurs branches de lierre argenté l’entouraient et protégeaient sa belle couverture aux motifs bleus stylisés. Cela l’intrigua et il regarda le livre de plus près. A la lecture du titre, il compris qu’il ne pouvait qu’être propulsé dans une palpitante enquête policière. Il débuta illico sa lecture.

Sur le trajet jusqu’au centre commercial, Théodore se remémora la journée de la veille.

Il avait consacré son après-midi, dans l’alcôve tout au fond de la grande bibliothèque, à la reliure de son manuscrit. Son établi s’évanouissait littéralement sous le poids des outils, papiers, cartons, colles et pinceaux nécessaires à cet art méticuleux. Le halo arc-en-ciel des bougies lui permettait d’œuvrer avec justesse, jusqu’au résultat attendu.

La veille, il avait décidé que ce livre-ci serait bleu gentiane, la couleur des yeux de sa mère. Il faudrait qu’il lui montre, à l’occasion, il lui plairait sûrement.

Devant le fast-food, la petite place était noire de monde. Le manège aux chevaux de bois était pris d’assaut par une armée d’enfants sous les regards heureux ou inquiets de leurs parents.

Théodore commanda un burger à emporter et s’adossa au mur non loin de l’attraction d’où émanaient rires et cris sibyllins.

Nadia le regarda en coin. La fillette penchait la tête, plissait les yeux, fronçait les sourcils. Son père s’énerva :

— Nadia, ce n’est pas poli de dévisager les gens ainsi.

— Mais papa, ce monsieur, ses yeux changent de couleur ! Regarde !

Le père tourna la tête, mais la silhouette du jeune homme lui échappait, insaisissable quand il le regardait directement. Il n’arrivait à l’apercevoir que du coin de l’œil, dans un flou légèrement vaporeux. Agacé, il tança sa fille :

— Arrête d’inventer n’importe quoi.

Nadia et son père s’éloignèrent du manège, pour poursuivre le programme de leur après-midi. La fillette trébucha sur une grosse boîte bleue et faillit tomber. Quand elle se retourna pour voir de quoi il s’agissait, elle découvrit un livre magnifique. Sa texture veloutée brillait de mille feux. Elle ramassa le livre aux paillettes bleu ciel, or et noir, et dévora le titre : « Lily et le jardin des sortilèges ». Un sourire illumina son visage quand elle serra très fort son nouveau trésor contre elle, avant de trottiner pour rejoindre son père.

L’importante circulation sur la grande avenue ne permit pas à Théodore de traverser aisément. Il lui fallut attendre deux cycles de feux tricolores avant de pouvoir rejoindre le trottoir opposé, un camion ayant bloqué le carrefour.

Glissant sur le bitume comme une feuille sur l’eau, le jeune homme déposa discrètement sur une table de terrasse extérieure un solide livre bleu, aux pages légèrement roussies sous sa reliure craquelée. La place fut rapidement occupée par un couple discutant énergiquement des aspects physiques de la magie dans les contes de fée, et plus précisément des températures potentielles dans les gésiers des dragons. Le récit d’aventure patientait au centre de la table. L’homme le saisit prestement, le feuilleta avec assurance et démontra avec emphase ses propos à sa compagne.

Quelques mètres plus loin, un livre au carton bleuâtre usé, éventré par de profondes griffures avec de minuscules gouttes de sang, se matérialisa dans les mains de Théodore Plume, Enchanteur des Livres Oubliés.

Sa balade n’était pas terminée.


Texte publié par Hiraeth, 25 octobre 2025 à 15h43
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