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Contrainte : Une silhouette traverse les miroirs. Elle te regarde, même quand tu détournes les yeux.

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Je ne sais plus quand cela a commencé. Peut-être une nuit d’insomnie, ou un matin trop brumeux. Ce que je sais, c’est qu’elle est là. Dans les miroirs.

Au début, c’était flou, diffus. Je croyais à une hallucination ou jeu de lumière. Mais plus le temps passait plus ça devenait net, dessinant une silhouette féminine fine, drapée d’un voile noir, sans visage. Elle ne bougeait pas, me regardant simplement.

Étais-je à ce point fatiguée que j’imaginais des choses ? J’étais tenté d’en parler à mes proches, mais je ne voulais pas paraître folle si personne d’autre ne voyait cette silhouette. Alors je me tus, gardant pour moi cette vision inquiétante.

La première fois que je l’ai vue entière, fut dans le miroir de la salle de bain, alors que je me brossais les dents. J’ai aussitôt regardé derrière moi, mais il n’y avait personne. Je me remis face au miroir pour la voir à nouveau. Immobile.

Je pris mon courage à deux mains et m’adressai à elle :

― Qui êtes-vous ? Pourquoi vous êtes là ?

Aucune réponse, aucun mouvement. La silhouette se contentait de rester là à me regarder.

Depuis, elle était partout. Si avant elle était présente dans les miroirs, maintenant je la voyais aussi dans n’importe quelle surface réfléchissante. Y compris hors de chez moi. Elle me suivait de reflet en reflet, silencieuse.

Je fis semblant de ne pas la voir, qu’elle n’existait pas. Je continuais ma vie, allant travailler, sortant avec mes amis, m’occupant de mon quotidien comme s’il n’y avait rien d’anormal. Comme si je n’évitais pas les miroirs. Mais elle était là. Toujours. Dans l’écran noir de mon téléphone, dans le dos poli d’une cuillère, ou encore dans l’eau calme d’un verre.

Même en détournant mes yeux de chaque reflet, je sentais son regard sur moi. Il pesait sur ma nuque, comme une main glacée. Rester impassible à sa présence devint de plus en plus difficile, et dès que je le pouvais je m’échappais dehors, dans la nature où je ne risquais pas de croiser un reflet.

J’ai fini par couvrir toutes les surfaces réfléchissantes de l’appartement et d’utiliser de la vaisselle en plastique, désespérée d’être libérée de son regard invisible. Mais c’était peine perdue, la présence de cette silhouette toujours là, autour de moi.

Un jour, un coup de vent fit bouger le drap placer sur le miroir de ma chambre, rendant son regard insupportable. Je craquai.

― Pourquoi t’es toujours là ?! Je ne veux pas de toi ! Va hanter quelqu’un d’autre !

La silhouette resta immobile et silencieuse, mais son voile sembla frémir.

― Va-t'en !! criai-je en tapant fort le plat de ma main sur le miroir, comme si cela pouvait l’expulser de ma vie.

Mes coups finirent par le briser. Soulagée et satisfaite par cette destruction, je balayai les morceaux pour les jeter à la poubelle, loin de moi.

La nuit venue, j’ai rêvé d’elle. J’étais dans une sorte de pièce où les murs, le sol et le plafond avaient été remplacés par des miroirs. Nous étions au centre, nos reflets se mélangeant dans les sens. Je ne pouvais pas bouger, malgré tous mes efforts. Elle s’approcha lentement. Son voile flottait comme dans l’eau. À moins d’un mètre, elle tendit la main vers moi, me frôlant la joue.

J’ai hurlé avant de me réveiller en sursaut, le corps recouvert de sueur.

Mon cœur battant à toute allure dans ma poitrine, j’inspectais du regard ma chambre avant de me figer en apercevant le miroir. Un morceau était resté accroché au cadre, et à l’intérieur, elle était là, me regardant.

Je me précipitais hors de mon lit, arrachant ce morceau de malheur, me coupant au passage, pour le faire rejoindre les autres. Je ne pus me rendormir de la nuit.

Il me fallut du temps pour remarquer que quelque chose avait changé. Seule dans les toilettes de mon travail, la lumière blafarde des néons faisait ressortir des détails de mon reflet qui étaient différents de ce dont je me souvenais. Comme l’éclat de ma peau ou l’absence de cernes. Cela faisait plusieurs jours que je ne dormais presque plus, hantée par la silhouette jusque dans mes rêves. Je ne devrais pas avoir l’air aussi reposée, aussi sereine.

Et elle était toujours là, derrière moi. Plus proche que d’habitude.

Au fil des jours, d’autres choses changèrent, comme la couleur de mes yeux et de mes cheveux, ou encore ma posture. Les rêves empiraient durant lesquelles les mains de la silhouette caressaient mon corps paralysé pour ensuite me réveiller en hurlant.

Puis, un jour, lors d’un moment ordinaire et banal, mon corps cessa de m’obéir. Il bougea de lui-même malgré toute ma volonté pour le faire arrêter. Il alla dans la salle de bain pour se placer devant l’unique miroir toujours intact.

Je ne reconnus pas mon reflet. Encore moins quand il sourit alors que mes lèvres étaient figées d’horreur.

Mon cauchemar venait de se transformer en enfer. J’étais de moins en moins libre de mes mouvements, de mes paroles. Dans mes rêves, les mains avaient fait place à une étreinte glaçante et oppressante qui s’enfonçait en moi petit à petit sans que je puisse y faire quoique ce soit.

Le poids du regard qui me suivait se trouvait désormais à l’intérieur de mon être, à ma place.

J’ouvris brusquement les yeux après m’être sentie brisé par l’étreinte, pour me retrouver dans le vide avec une ouverture dans les airs face à moi. À travers, j’y vis ma salle de bain et je tentai d’y enter, mais j’en étais incapable malgré l’absence d’obstruction.

Puis mon corps me fit face, le sourire de mon reflet sur le visage.

J’eus beau hurler et me démener, je ne pus sortir de cet endroit.

Après un temps infini, je compris avec effroi que j’étais à jamais condamnée à être la prisonnière impuissante de mon propre reflet.


Texte publié par Yuedra, 24 octobre 2025 à 18h40
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