Elle danse.
La pièce est grande. Immense et richement décorée.
Il y a tant de choses ici et là.
Elle danse au milieu de tout ce bric à brac. C’est une salle de bal.
Elle a sa tenue de ballerine. La même qu’elle avait quand elle prenait ses cours, au théâtre de la ville.
Elle fait des pointes, des entrechats. Elle zigzag entre une vieille armoire, une antique machine à coudre, une voiture ancienne qui fonctionne à la manivelle.
Un flocon tombe. Il touche le sol. Il dit doucement « Gaspard ». Elle ne l’entend pas.
Près de la cheminée à la grosse poutre de bois, elle réalise des ronds de jambes. Un peu plus loin elle effectue un saut de chat par dessus la fontaine d’un vieux lavoir.
La salle de bal n’en finit pas. Impossible d’en voir le bout. Même s’il y avait une fin, on ne la verrait pas, cachée au loin derrière de grands rideaux rouge, le bus pour aller à la communale et même la vieille maison dans les bois.
Quelques flocons tombent. À peine une poignée. Ils touchent le sol en murmurant « Chloé », « Ghislaine », « Amadou » et « Liadan ». Elles ne les entend pas.
Après un rapide pas de bourrée, la voilà qui tourne sur elle-même en adage, prenant le temps de voir son sourire joyeux dans le miroir de la coiffeuse blanche et verte.
Elle saute en sissonne au dessus du tapis persan gris. Celui tout mou où l’on aime s’allonger. Il y a même encore quelques livres. Elle effectue un manège de grands sauts autour de la piscine gonflable, celle qui n’arrête pas de crever et qu’il faut sans cesse réparer d’une rustine.
Les flocons tombent, réguliers, de plus en plus nombreux. Un par un ils égrainent leurs noms au sol dans un murmure : « Aminata », « Jérôme », « Carlos », « Oya », « Genevière », « Amaric », « Claude » et tant d’autres. Les noms deviennent capharnaüm. Elle ne les entend pas. Les entend-t-elle ?
Elle danse.
Le plafond brûle.
Il y a cette grande fresque, cette peinture immense qui semble n’en pas finir non plus. Le plafond est recouvert de visages de gens. Les flocon tombent au sol. « Charline », « Jean », « Latifa », « Maryam ». Des souriants, des grincheux, des malheureux et des contents. « Emile », « Gina », « Yoric ». Des hommes, des femmes, des filles, des garçons. « Pedro », « Ludmila », « Denis », « Charles ». Tous ensembles, tous séparés, tous mélangés. « Ingrid », « Hassan », « Eugénie », « Pietro », « Jennifer », « Calysta », « Eric », « Victoire », « Mélanie », « Josué », « Hayat ».
La peinture brûle. Elle danse alors que les visages sont consumés d’un feu sans fumée. Un à un. Les cendres tombent en flocons violets, la couleur de l’intellect et de l’esprit.
Les cendres deviennent tempête. Elle danse une suite de piqués en contournant le phare vermoulu. Les noms au sol ne sont que des murmures mais ils finissent par former un boucan de tous les diables. Elle les entends ?
Elle danse dans l’habit de ses 16 ans tandis que les visages brûlent. Les visages sont de moins en moins nombreux. Sa vieille poupée est sur son vieux lit de fer blanc. Ça sent la soupe du dimanche soir et le pain sortit du four.
Elle danse, insouciante et heureuse. Elle a un rire d’enfant.
Les visages brûlent. Ils tombent en cendres et en murmures assourdissants.
Me reconnais-tu ? Te souviens-tu de moi, grand-mère ? Te souviens-tu comme je t’aime ? Te souviens-tu de mon visage ?
Ou bien as-tu déjà entendu mon nom pour la dernière fois ?

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