« C'est inacceptable », pensa Vayne.
Le fils de l'Empereur abandonna sa quête, furieux de n'avoir pas pu localiser les dangereux chevaliers dont les sages yeux gris de son mentor lui avaient parlé. Ils ne pouvaient pas être si forts, si mystérieux, et surtout si influents à la fois. Comment avaient-ils pu passer entre les mailles du filet pendant tous ces siècles ?
« Si seulement il n’y avait qu’eux. Mais quatre familles ? » s’inquiéta-t-il. « Quatre familles dont même Maman n’a jamais entendu parler avant sa mort ? Et chacune avec un monopole sur un domaine du continent ? Comment est-ce possible ? »
Il songea à l’un des seuls qu’il avait pu rencontrer, parmi les inoffensifs : le patron Alan. Pourquoi son ton complice l’avait tant décontenancé ? Ce rustre s’était adressé à la famille impériale comme à un laquais. Pourquoi cette vieille barbe observatrice paraissait tant en savoir sur lui ? Vayne n’était pourtant qu’un représentant de l’Empire qui pouvait, au mieux, lui confisquer des marchés publics.
Mais quelque chose lui disait que le roi des entrepreneurs s’en moquait. Alan avait dû gagner ce titre par d’autres moyens que sa courtoisie et sa discrétion. Mais vraiment, ces yeux gris exempts de toute méchanceté… Il eût juré les avoir déjà vus quelque part.
Mais tant pis, il devait considérer les Quatre comme ses ennemis.
« Un jour je les empêcherai de nuire à mes émotions, nuire à mon empire, et nuire au bel espoir que Maman nous a laissé. »
Se dirigeant vers le Palais après avoir secoué sa queue-de-cheval noire, il venait de quitter le quartier des Hautes Arcades, où l’un des atouts les plus précieux du Grand-Patron Alan faisait remonter ses lunettes carrées en tortillant son nez.
— Patron Alaric!
L'employée, tout en joie d'avoir reçu la preuve de paiement de leur client confiseur, s'arrêta net devant la figure haute en couleur de l'aînée du roi des comptables, venue s’interposer.
— Où cours-tu comme ça? ricana Almène. C'est que maintenant que tu as récupéré les sous?
— J'aimerais bien t'y voir, la prochaine fois, grommela son père sans lever son nez de son dossier à signer.
Et, pour attirer son attention, la jeune femme appuya du plat de la main sur le bureau paternel. Alaric sursauta – ce qui était l'effet escompté.
Almène éclata de rire.
— Tu oublies souvent que je t'ai donné le pouvoir de détruire des meubles, fit son père en tentant de rester calme.
— Et pas que des meubles! Ha ha ha! Voici celle à qui tu as donné le pouvoir de la magie verte, même si c’est tonton Alan qui donne tout. A la revoyure!
Albry, qui avait du mal à accepter l'âge adulte et ces nouvelles responsabilités dans le mastodonte d’entreprises familiales, vit avec frayeur sa grande sœur s'écarter du bureau toutes voiles dehors.
— Père... Dois-je lui lancer un sort de Silence, le temps qu’elle sorte d’ici ?
— Inutile, ma fille. Où est ton frère?
— A l'école.
Le contraste entre ses deux premiers enfants le rassurait – il n'aurait pas pu élever deux Almène. Le patron Alaric recula sur son siège, sourit, et constata le chemisier bleu marine au joli col en dentelle à volants, accompagné d'un pantalon de costume.
— C'est une princesse que tu dois chanter à l'opéra ce soir, fit-il remarquer. Tu aurais pu mettre une robe.
— Oui, mais Père...
Avec Albry, impossible de ne pas céder.
— Comme tu voudras. Ecoute, mon enfant... J'ai dit à tous mes concurrents que tu allais gagner le concours. C'est pas pour te mettre la pression, mais... Je sais que tu es la meilleure. Je ne pourrais pas vraiment accepter de leur servir l'opportunité de racheter mes derniers cabinets sur un plateau d'argent.
Albry déglutit.
« Allez », se dit l'enfant du milieu. « C'est le moment où je dois lui en parler. Je l'ai promis à oncle Alan... »
Mais aucun son ne sortait.
« Père est bien trop occupé... Ce serait égoïste de ma part. Et puis je sais bien qu'il est triste, avec tous ses secrets qu’il ne dit à personne. »
Albry n'avait aucun moyen de deviner l'étendue desdits secrets, de ne fût-ce que supposer que son père n’avait accompli que la vie qu'on lui avait commandé de mener. Impossible d’imaginer que l’imperturbable Alaric se détestait d’avoir abandonné ses amis d’enfance, de n’avoir pas envoyé le moindre signe de compassion lors des tragédies respectives qui les avaient accablés, alors qu'eux lui avaient sauvé la vie.
Et bien sûr, aucun moyen de connaître la frustration de ce père modèle, lorsqu’il devait chaque soir rejoindre une épouse qu’il n’avait jamais aimée.
Non, nul doute trop fort ne gagnait quiconque le connaissait lorsqu'il se tenait dans ce bureau sans expression, feignant la prospérité alors qu'il n'avait vécu que d'illusions.
— Va, ma fille, congédia Alaric. Ton père viendra t'applaudir comme promis, peu importe le résultat.
« Non, je ne peux pas lui dire maintenant... que je ne suis pas une fille. »

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