La fille hurlait à plein poumons. On aurait pu croire que c’était normal étant donné qu’elle avait basculé bêtement au-dessus de la rambarde de la terrasse. En voulant changer l’ampoule fichée au bord de la pergola au dessus du vide, elle avait simplement glissé. Et elle avait plongé de plus de 10 étages. On hurlait tous pour moins que ça. En revanche Zak ne comprenait pas pourquoi elle était toujours en train de crier alors qu’elle était dans ses bras, hors de danger après qu’il ait fendu les airs pour lui porter secours.
Est-ce qu’il avait fait quelque chose de mal ? N’était-ce pas ainsi que devaient agir tous les superhéros ? Il avait pourtant étudié la question. Il avait longuement lu tous les comics qu’il pouvait se procurer et il avait vu plein de films. Normalement quand Superman récupérait dans ses bras une fille qui tombait, elle arrêtait de hurler. En plus Zak avait compensé la force de la chute en accompagnant la victime vers le bas et en ralentissant doucement pour éviter un choc mortel alors que dans les films, ils ne le faisaient jamais.
Il avait même mis sa petite cape rouge pour être sûr qu’on identifie bien qu’il était un super héros. Non, franchement il ne comprenait pas pourquoi la fille continuait de hurler et de s’agiter dans tous les sens. En plus, elle risquait de tomber à nouveau. Même ses poils gluants adhésifs risquaient de ne plus la retenir et il avait peur de trop serrer ses griffes et de la blesser. Il fallait qu’il l’apaise.
- FFrnwxwrfrnk !
Ah, zut, il avait parlé dans sa langue natale sans faire attention.
- MaaaadAAAaame … chhhalmez fffOUs !
Que le langage terrien était compliqué. Ils ne se rendaient pas compte combien il était compliqué de communiquer à leur manière quand on avait trois paires de mandibules. La fille continuait de hurler et redoubla d’agitation quand les sécrétions de sa bouche tombèrent sur son chemisier. Elle ne remarqua même pas que le tissu commençait à se dissoudre et c’était heureux, se dit le héros, car ça ne lui aurait sûrement pas plu. Elle aurait encore hurlé plus fort. Zak se serait bien excusé mais il se dit qu’il risquait de lâcher encore plus de sécrétions et qu’il valait mieux l’éviter.
Il se dépêcha de descendre et de rejoindre la rue le plus vite possible avant que la fille ne tombe pour de bon. Lorsque ses quatre pattes postérieures touchèrent le sol, ses puissantes griffes arrières s’ancrèrent dans le bitume pour conserver l’équilibre alors que la victime le frappait de ses jambes. Il l’attrapa par la ceinture et la décrocha de ses poils adhésifs dans lesquels le reste du chemisier resta collé.
- Téééésholéé, fit-il en posant la fille à terre.
Aussitôt un coup de feu retentit. Une voiture de police était arrivée et les officiers firent feu sans sommation. Les balles ricochèrent sur l’exosquelette de Zak qui s’aperçut qu’il y avait foule autour d’eux. Comme dans les films, un gros paquet de curieux s’était rassemblé pour assister au sauvetage. Ils étaient toutefois restés assez éloignés du superhéros et couraient maintenant se mettre à l’abri. Probablement pour ne pas risquer de prendre une balle perdue, pensa l’extraterrestre, bien que pour s’éloigner du lieu de l’accident les passants ne faisaient pas attention traversaient les lignes de mire des forces de l’ordre.
Les policiers n’arrêtaient pas de tirer et Zak s’avança vivement. Ils allaient finir par blesser quelqu’un. Le superhéros sauta devant la voiture et étendit ses ailes pour offrir une protection aux civils innocents. Tandis que les balles continuaient de ricocher sur son corps, il tourna la tête à 180°. Sur quoi les forces de l’ordre tiraient-elles au juste ? Il ne voyait rien malgré sa vision décuplée par ses yeux composés. Ses antennes ne détectaient pas non plus de présence particulièrement hostile. Ah mince ! Il devait leur cacher la vue et les policiers ne devaient pas voir que le criminel qu’ils tentaient d’abattre n’était plus là.
Après s’être assuré que les civiles étaient bien à l’abri, Zak agita ses ailes et reprit son envol.
- CONtinuCHer le bOn ChravaIL, méchieurs.
Rien de tel qu’un petit mot d’encouragement pour s’attirer la sympathie des forces de l’ordre. Le superhéros fila dans les airs alors qu’il sentait encore les vibrations des balles qui continuaient à fuser près de lui. Bah ! Ils finiraient bien par voir qu’il n’y avait plus de bandits dans les environs.
Zak retourna rapidement vers son vaisseau dans le désert qui lui servait de QG de héros. Chemin faisant, il se fit quand même la réflexion que la cape n’était vraiment pas pratique avec des ailes. Mais bon, il fallait bien qu’il s’intègre. Depuis qu’il s’était perdu dans cette partie de la galaxie et qu’il avait trouvé cette petite planète bleue pour tout refuge, c’était sa seule volonté. Pour y parvenir, il avait longuement étudié les cultures humaines. Des récits de demi-dieux aux bandes dessinées, il comprit rapidement que c’était la figure de super héros qui lui donnerait la meilleure chance d’être acceptée, ce qui collait bien avec ses capacités naturellement supérieures à celles des humains.
Il avait commencé par changer son nom car il était imprononçable par des cordes vocales humaines. « Zak » avait une intonation qui s’en rapprochait très vaguement. Cela dit, cette précaution s’était avérée inutile pour le moment puisque personne encore ne lui avait demandé son nom.
Il parcourait donc la planète tous les jours de son vol supersonique et tentait de réparer ici et là les dégâts commis par les différents méchants de la planète. Il lui arrivait de rattraper des filles qui tombaient, ou n’importe quel civil maladroit, mais il attrapait aussi des voleurs ou des meurtriers. Il avait mis fin à 5 conflits armés et repoussé deux invasions. De temps en temps il transportait de la nourriture dans les zones de famines et grâce à ses griffes, il pouvait creuser un puits en quelques minutes. Il avait emmené des criminels financiers directement en prison et arrêté des trafiquants d’animaux de divers endroits sensibles de la planète. Il avait empêché la construction de dizaines d’usines polluantes et détruit des centaines de machines de déboisement.
Curieusement, il semblait que certaines personnes n’appréciaient pas son aide. Il pouvait le comprendre quand il démolissait un truc cher, mais il comprenait moins que tout le monde continue de crier après qu’il ait sauvé la situation. On aurait dit qu’ils craignaient d’être secourus. Curieux.
Zak commençait à se poser des questions. Certains humains semblaient lui en vouloir d’empêcher l’intoxication de l’atmosphère ou de se massacrer les uns les autres à coups de missiles. Pourtant le bon sens voulait qu’ils les en empêchent. Et puis aussi, personne ne le félicitait jamais comme lorsqu’il venait de sauver la fille aujourd’hui. Tout le monde courait quand il avait fini de sauver quelqu’un. Etaient-ils à ce point impolis qu’ils prenaient les jambes à leurs cous pour ne pas dire un simple merci ? Il ne demandait pas que, comme dans les bandes dessinées, une bimbo blonde lui tombe dans les bras et l’embrasse sans trop demander son consentement. Ça ne l’intéressait pas et de toute façon ses mandibules auraient déchiré le visage de la belle. Mais juste un merci et, pourquoi pas, quelques applaudissements, c’était trop demandé ?
Décidément intrigué et un peu chagriné, Zak s’assit devant l’écran de la bibliothèque numérique du vaisseau. Il se replongea dans ses recherches pour voir s’il y avait déjà eu des super-héros dont on avait peur. Il découvrit que cela arrivait en effet mais c’était assez rare et il s'agissait plutôt de personnages incompris. Cependant, on avait tout le temps peur des super vilains. Est-ce que les humains ne seraient pas en train de se méprendre ?
Il appuya sur un bouton pour capter les émissions radiotélévisées mondiales. Il y avait souvent des journalistes dans les comics qui commentaient les faits et gestes des héros. Zak n’avait encore jamais regardé, il était trop occupé à agir.
En quelques minutes, il comprit vite que personne n’avait rien compris. Partout et dans toutes les langues, on ne parlait que du monstre volant, la créature maléfique qui terrorisait le monde. On l’accusait d’attaquer des gens, d’être attiré par la violence, de détruire des industries ou encore d’être sexuellement agressif envers les filles humaines. Pour étayer cette dernière accusation, certaines chaines d’information diffusaient en boucle les images de la jeune femme qu’il avait sauvé le jour même alors qu’elle pleurait en soutien-gorge dans la rue après le départ de Zak. Personne ne semblait envisager qu’il s’agissait d’un accident et qu’il n’avait jamais eu l’intention de dissoudre et de lui arracher son chemisier.
Avec les images de l’incident qui suivaient, l’extraterrestre s’aperçut également, avec le recul que lui offrait la caméra, que les policiers qui tiraient le prenaient ostensiblement pour cible. Ils n’avaient jamais ouvert le feu sur un quelconque criminel. Ils voulaient le tuer pour avoir sauvé une innocente.
Zak était abasourdi. Il passait son temps à essayer de sauver cette planète et on le voyait comme un monstre. En continuant à balayer les informations, il comprit que les pays dont il avait empêché les volontés d’extension s’étaient alliés pour contrer ce qu’ils appelaient une « menace pour la paix » et qu’ils étaient largement financés par les entreprises qui l’accusaient de détruire l’économie alors qu’il avait juste détruit leurs machines qui nuisaient à l’environnement.
Le monde entier s’organisait pour l’éliminer. S’il avait eu des glandes lacrymales, il aurait pleuré. Son cerveau fonctionnant plus rapidement que celui des humains, il comprit qu’il n’arriverait à rien ici. Il n’avait plus aucune chance de s’intégrer sur cette planète. Il lui fallait repartir et, bien qu’il ignorât où aller, trouver un endroit avec des habitants plus accueillants.
A peine s’était-il installé aux commandes du vaisseau que l’alarme de proximité retentit. C’était trop tard. Un missile, probablement nucléaire, lui fonçait droit dessus. Ses moteurs n’étaient pas encore allumés, il ne pouvait pas l’éviter. Il tenta de se précipiter à l’extérieur mais ce fut vain. En une fraction de seconde, l’enfer se déchaîna et pulvérisa l’appareil.
A plus de 10 000 kilomètres de là, un groupe de hauts gradés et d’hommes d’états se congratulaient. Ils venaient d’en finir avec une menace planétaire et ils allaient chacun pouvoir reprendre leurs petites affaires guerrières et économiques en toute tranquillité.
Dans la fumée et la poussière soulevées par la bombe, personne ne pouvait voir une patte poilue et griffue traverser le sol vitrifié du désert. La créature s’extirpa lentement de là où l’on pensait prématurément l’avoir enterrée. Désormais, il n’avait même plus le moyen de fuir. Il avait tout fait pour cette planète et on avait essayé de le tuer. L’extraterrestre lâcha un cri de colère pure. La fureur faisait trembler ses membres du bout de ses pattes antérieures jusqu’à ses antennes. Les humains croyaient qu’ils avaient eu peur jusque-là. Il allait leur montrer la peur.

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