Ces trois semaines de colonie de vacances ne s’étaient pas vraiment passées comme prévu. Lorsque Oya descendit du bus à l’arrivée, elle se fraya mollement un chemin jusqu’à ses parents et sa petite sœur qui étaient venus la retrouver après ce temps d’absence. Elle affichait un grand sourire factice alors que son père et sa mère l’embrassaient en lui demandant si elle s’était bien amusée et si elle n’était pas trop fatiguée de la route. Tandis que son père s’en allait récupérer la valise de son adolescente de fille, elle enlaça Oshun, son amour de petite sœur, pour un long câlin de retrouvailles.
- Bonjour ma douce lumière, lui fit-elle doucement en l’appelant par le surnom qu’elle lui donnait toujours. Tu m’as beaucoup manqué.
Ce fut le seul moment où elle ressentit un peu de chaleur. Personne ne remarqua qu’elle n’eut pas le moindre égard pour ses camarades de séjour qu’elle quitta sans un adieu comme si elle ne les connaissait pas.
Le trajet jusqu’à la maison fut compliqué. Oya donnait le change en racontant ce qu’elle avait fait, combien d’amis elle avait rencontré, que les moniteurs étaient sympas ou que les endroits où ils avaient campé étaient très beaux. C’était vraiment difficile d’inventer tout ça. Elle n’eut plus besoin de se triturer les méninges à mentir ensuite. De leur arrivée à la maison jusqu’à la fin du repas, ce furent ses parents et sa sœur qui lui racontèrent ce qu’elle avait manqué durant trois semaines. Aucun événement notable ne s’était produit, toutefois elle fit semblant d’écouter avec intérêt.
A la fin du repas, Oya déclara qu’elle était effectivement fatiguée du voyage et se rendit rapidement à sa chambre. Elle passa machinalement une chemise de nuit avant de s’allonger sur son lit. Elle ne prit même pas la peine de regarder son portable alors qu’elle n’avait pas pu l’emporter avec elle, règle du camp d’adolescents, et qu’il devait être plein à craquer de notifications et de messages. Elle resta allongée dans le noir un long moment. Qu’est-ce qu’elle devait faire maintenant ? Ou plutôt comment allait-elle le faire ? Comment allait-elle leur dire ? Et surtout, qu’allaient-ils dire ? Comment réagiraient-ils quand ils sauraient la vérité ?
Oya se tortura l’esprit pendant de longues heures avant d’être finalement vaincue par le sommeil. Ses rêves tourmentés ne lui laissèrent que peu de répit et elle se réveilla bien trop tôt, la tête encore plus chamboulée que la veille.
En prenant son café, elle écoutait vaguement sa mère lui dire qu’il était temps d’aller acheter les fournitures scolaires pour la rentrée et qu’Oshun et elle l’accompagneraient au supermarché cet après-midi. Sa petite sœur allait faire son entrée au collège, elle aurait bien besoin des conseils d’Oya pour se préparer. Son père lavait la vaisselle sans rien dire. Entre-temps, l’adolescente rassemblait tout son courage. Elle devait parler. Leur dire. Elle attendit que sa petite sœur se lève et prenne son petit déjeuner. Il était important que tout le monde soit là.
- J’ai quelque chose que je dois vous dire, fit-elle alors avec un ton hésitant. C’est important.
C’était surtout carrément flippant. Mais elle prit son courage à deux mains. Ses parents s’étaient assis face à elle avec un air de curiosité. Oshun, sur sa gauche, la regardait également avec étonnement.
- Voilà … ce que je vais vous dire … n’est pas facile à dire.
- Nous t’écoutons ma puce, fit sa mère d’un air doux.
Oya avait toujours pu compter sur ses parents pour l’écouter et la soutenir. Elle savait que ce n’était pas toujours le cas dans toutes les familles. Elle avait de la chance. Cependant cette fois-ci c’était différent. Cette fois-ci, ils allaient avoir besoin d’être plus que compréhensifs.
- Et bien je … je suis … enfin … bon … pour commencer du début, j’ai rencontré une fille pendant ces vacances.
Oya sut tout de suite qu’elle avait utilisé le mauvais angle d’attaque. Ses parents la regardèrent avec des yeux amusés tandis qu’Oshun avait un petit sourire. Évidemment, ils s’attendaient à autre chose. Mince ! Qu’est-ce qu’elle allait bien pouvoir faire pour qu’ils comprennent ?
- Mais … ce n’est pas … elle n’était pas …
Elle s’embrouillait et sentit qu’elle perdait pied. Ça n’allait pas dans le bon sens.
- Ma chérie, nous t'accepterons comme tu es, quoi qu’il arrive.
Sa mère tentait de la rassurer tandis que son père acquiesçait. Si seulement il ne s’agissait que de ça.
- Non mais vous vous trompez. Ce n’est pas … c’est … c’était une fée !
Elle ne savait plus quoi dire. Alors sans réfléchir plus avant elle le dit comme elle aurait lâché un poids trop lourd pour elle. C’était fait. Mais bien sûr, ça n’eut pas l’effet escompté. Sa famille eut évidemment un air surpris mais ils retrouvèrent vite contenance.
- Oh, c’est trop mignon, fit une Oshun attendrie tandis que ses parents gloussaient.
Il était clair qu’ils croyaient tous que « fée » était un petit surnom tendre donné à son amoureuse comme « mon ange » ou « mon cœur ». Mais ce n’était pas ça.
- Non, reprit Oya, je veux dire … c’était une vraie fée. Mais bon … pas comme on l’imagine. Elle n’avait pas d’ailes dans le dos. Et puis elle était grande …
Les visages de sa famille changèrent radicalement. Des sourires compréhensifs, ils passèrent à un air de franche incrédulité. Ses parents se regardèrent, perplexes. L’adolescente voyait bien qu’ils étaient perdus, que les mots qu’elle venait de prononcer n’avait aucun sens pour eux. Ou pire, que leur fille déraillait grave. Elle ne savait pas comment faire pour leur expliquer. Elle savait que c’était difficile à croire. Mais ils devaient la croire. Elle sentit une bouffée d’angoisse monter en elle depuis son ventre. Ils allaient la prendre pour une folle. Elle ne savait plus quoi dire.
- Ça existe pour de vrai les fées ?
La voix de la petite Oshun la sortit de son angoisse. Ce n’était pas grand-chose, ça ne la mènerait pas bien loin, mais elle savait quoi dire. Elle pouvait répondre à sa sœur.
- Oui, elles existent. Celle que j’ai rencontré s’appelait Clíodhna. Elle était très gentille, très belle et …
- Mais enfin, l’interrompit sèchement sa mère, ne raconte pas n’importe quoi à ta petite sœur.
Oya se tourna vers elle avec un air désespéré.
- Mais maman …
- ça suffit, intervint son père tout aussi sèchement. Tu as entendu ta mère ?
- Vraiment, tu as 15 ans Oya. Comment peux-tu encore croire aux fées et ce genre de sornettes ?
- Mais Clíodhna …
- Attends, attends, reprit son père. Tu as dit qu'elle n'avait pas d’ailes et qu’elle était grande. Une fille normale quoi. C’était juste une fille normale.
Il y a quelques minutes, ses parents auraient acceptés sans sourciller que leur fille aînée soit lesbienne. Maintenant, elle pouvait voir dans leurs yeux qu’ils priaient pour que ce soit le cas et que l’adolescente leur faisait juste une farce. Malheureusement pour eux, ils étaient loin d’avoir tout entendu.
Oya prit le temps de respirer à fond avant de reprendre. Le moment difficile allait encore venir.
- Clíodhna est une fée et c’est vrai … laisse-moi finir !
Sa mère allait de nouveau intervenir mais elle se rétracta devant le ton inhabituellement catégorique de sa fille. Cette fois-ci, elle devait aller jusqu’au bout.
- Elle est venue me voir parce qu’elle devait me dire quelque chose. Quelque chose à propos de moi. De qui je suis.
- Tu vas nous dire que tu es une fée toi aussi, c’est ça ? S’insurgea son père.
- Non, je ne suis pas une fée. Je suis une … un … changelin.
La révélation aurait dû avoir l’air d’un coup de tonnerre. Ce ne fut pas le cas. Sa famille la regardait abasourdie et interloquée. Ils ignoraient totalement de quoi elle parlait. Oya savait qu’elle allait devoir passer par un moment particulièrement pénible d’explications.
- Les changelins sont des êtres qui peuvent changer de forme. Prendre l’apparence de toutes celles et ceux qu’iels touchent. Je … je suis toujours Oya, votre fille, mais … enfin, ce n’est pas vous qui m’avez mise au monde.
L’adolescente constata que si les fées passaient encore, le coup du changelin était tellement au-delà de ce que ses parents pouvaient admettre qu’ils ignoraient purement et simplement comment ils devaient réagir. Oshun, de son côté, semblait emmagasiner les mots qui sortaient de la bouche de sa sœur comme on rangeait des caisses d’objets encombrants dans un entrepôt. On les stockait en attendant d’en avoir besoin plus tard. Et dans ce laps de temps, on ne savait pas quoi en faire. Elle en restait aussi interdite que son père et sa mère. Oya mit à profit le silence familial pour continuer ses explications.
- Il faut savoir que les fées ont toujours adoré les enfants et les bébés humains. Vraiment, elles en sont gagas. Pour elles c’est le plus beau des trésors. Alors autrefois, elles en enlevaient certains pour les élever à leurs côtés. Et pour que les parents ne voient rien, elles remplaçaient les bébés par des changelins qui par conséquent étaient élevés comme des enfants normaux. Mais ça fait très longtemps qu’elles ont arrêté ça. Elles ont compris que c’était cruel même si personne n’en a jamais rien su chez les humains. Mais … enfin il y a des traditionalistes un peu partout et aussi chez les fées. Je fais partie des tous derniers bébés échangés avant que les fées concernées ne soient retrouvées et punies.
L’adolescente ne savait plus vraiment si quiconque l’écoutait. Elle avait l’impression de parler dans le vide. Les visages figés de stupeur de toute sa famille ne lui donnaient aucune indication de ce qu’ils en pensaient. Elle n’avait aucune idée de comment ils réagiraient. Elle pensa qu’elle venait peut-être de perdre sa famille, son foyer. Elle devait leur expliquer, leur faire comprendre …
- Je suis toujours votre fille. Je suis toujours ta grande sœur. Je suis comme je suis mais ça ne change rien au fait que je vous aime.
- C’est quoi ces co …
Son père s’énerva soudain mais son regard tomba sur la petite Oshun et un ultime réflexe cérébral l’empêcha de se laisser aller à des grossièretés.
- Qu’est-ce qu’il te prend de raconter des horreurs comme ça ? Que tu serais un … une … une créature ? Bor … Bon sang ! Qu’est-ce qu’il s’est passé pendant ta colo ? Vous avez pris des drogues ? C’est ça ?
Visiblement son paternel était tout prêt à appeler la police, la gendarmerie, le GIGN et tout ce que le pays comptait d’uniformes plus ou moins officiels pour faire arrêter les animateurs, le directeur et les organisateurs du camp d’adolescents. Rien ne serait épargné à ceux qui avaient drogué sa fille ou qui l'avaient laissée se droguer. Il était prêt à tout, sauf à croire à l’existence des fées et des changelins.
- Mais non papa, on a rien …
- Ça suffit avec tes … salades. Qu’est-ce qu’on t’a fait pour mériter ça ? Tu vas me dire ce qu’il s’est passé pendant ce séjour ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
Son père commençait à s’énerver. Il refusait d’admettre ce qu’il venait d’entendre. Il devait y avoir une autre explication. Plus rationnelle.
- Ma chérie … dis tout à ton père.
Sa mère était au bord des larmes. Aucun d’eux ne voulait entendre raison. Aucun d’eux ne comprenait. Oshun aussi avait les yeux brillants mais c’était surtout parce que le ton montait vite et qu’elle commençait à avoir peur. Oya était désemparée. Elle ne pouvait pas les laisser comme ça. Elle devait leur prouver qu’elle disait la vérité. Pour ça, il n’y avait qu’une seule solution. Et ça lui déchirait le cœur.
- J’aurais préféré ne pas en arriver là, fit-elle avec tristesse. Je suis désolée. Mais … Clíodhna m’a montré qui j’étais réellement. Il faut que vous le voyiez à votre tour.
- On ne va rien voir du tout, tonna son père. Tu vas …
Mais il eut un haut-le-cœur qui l’empêcha de finir sa phrase. Devant ses yeux, la peau de sa fille venait de se ternir, de virer doucement mais sûrement au gris. Ce fut la première chose que Oshun et ses parents virent mais ce ne fut pas la seule. Les cheveux d’Oya rétrécirent, ses oreilles s’agrandirent pour devenir pointues, sa poitrine et ses hanches devinrent plus serrées. Mais surtout ses yeux. Ses yeux devinrent globuleux et complètement noirs. Ils étaient si brillants qu’on pouvait se voir dedans, comme dans un écran éteint. On pouvait aussi y voir une infinie tristesse.
- C’est ce que j’étais avant l’échange, fit l’adolescente en offrant à la vue de sa famille son corps désormais androgyne.
Sa voix par contre n’avait pas changé. Du plus profond de ce corps qui leur semblait étranger, la famille d’Oya pouvait toujours l’entendre. Elle ne fit pas durer l’expérience plus longtemps. Le plus rapidement possible, elle redevint la jeune fille qu’elle était.
- Quasiment personne n’a vu de changelin avant leur transformation à travers toute l’histoire.
L’adolescente tentait de reprendre la discussion. Sa famille était tellement figée qu’elle semblait prise dans la glace. Encore une fois, ce fut la petite Oshun et sa curiosité enfantine qui rompit le silence.
- C’est quoi ton nom ?
- Oya. Je suis toujours Oya ma douce lumière. Je n’ai jamais été personne d’autre.
Mais soudain, un verre passa à quelques millimètres de son visage et alla se briser sur le sol derrière elle. Sa mère s’était levée avec un visage à moitié horrifié et à moitié furieux. Elle hurlait comme jamais l’adolescente ne l’avait entendu hurler.
- Où est ma fille ? Qu’est-ce que tu as fait de ma fille ?
Elle attrapa le premier objet qui lui tombait sous la main, en l’occurrence un livre, qu’elle lança à nouveau en direction d’Oya. Celle-ci, tout aussi horrifiée, avait néanmoins anticipé le nouveau geste de colère et s’était mise à l’abri derrière l’armoire.
- Maman ! Arrête !
- Je ne suis pas ta mère ! Tu n’es pas ma fille ! Où est ma fille ? Qu’est-ce que tu as fais d’elle ?
- Je suis toujours ta fille, je suis Oya !
- Qu’est-ce que tu as fais d’elle ?
La jeune fille était coincée. Un troisième objet, qu’elle ne put identifier, vint se briser contre l’armoire. Deux rivières de terreur coulèrent le long de ses joues. Ses yeux étaient embués de larmes. Elle vit néanmoins son père attraper le bras de sa mère pour l’empêcher de continuer à tout casser. Mais ce n’était pas par compassion.
- Réponds, tonna-t-il. Où est Oya ? La vraie Oya !
Il réussit à restreindre suffisamment sa femme pour permettre à l’adolescente de sortir de sa cachette. Elle ressemblait à un animal débusqué, tremblotant et immobile, attendant l’inévitable. Elle voulut parler mais sa voix tremblait trop. Elle regardait successivement sa mère, en furie, prête à la frapper, peut-être à la tuer. Son père qui ne la retenait que pour avoir le fin mot de l’histoire mais qui n’était pas moins en rage. Et la pauvre petite Oshun effrayée qui s’était réfugiée à l’autre bout de la pièce, recroquevillée, pleurant à chaudes larmes et aussi tremblotante que sa sœur.
C’est pour elle qu’Oya trouva le courage d’aligner quelques mots. Elle devait faire cesser cette explosion de fureur pour protéger Oshun.
- … Chez les fées … elle est chez les fées …
- Qu’est-ce que ça veut dire ? Rugit son père.
L’adolescente réussit à regrouper quelques mots.
- Pendant que j’étais ici, les fées l’ont élevée. Elle est heureuse, je l’ai vu. Clíodhna me l’a montrée. Elle dansait dans une clairière pendant une fête avec les fées. Elle était avec des amis. Elle riait.
- Où est-elle ? Je vais la chercher.
- C’est … non, c’est impossible.
Un nouvel objet vola dans la pièce. Une bouteille vint percuter Oya dans l’épaule et elle ressentit la douleur tout le long du bras.
- Où est-elle ? Cracha sa mère. Parle !
- Dans la forêt avec les fées mais vous ne pourrez pas aller la chercher. Les fées ne sont visibles que si elles le veulent.
L’adolescente avait parlé à toute vitesse. Elle devait se faire comprendre. Ce n’était pas qu’elle voulait leur cacher la moindre information mais c’était juste impossible pour eux de récupérer leur fille biologique. Pas si les fées ne le voulaient pas.
- Oh elles vont le vouloir, éructa son père. Je vais la leur cramer moi, leur forêt.
- Ça ne changerait rien, répliqua rapidement Oya. Elles partiraient juste ailleurs et même moi je ne pourrais pas les retrouver. Et peut-être que pour se venger, elles lui donneront de la nourriture de fée. Et là, elle serait forcée de rester à jamais avec elles.
- Je veux ma fille, hurla sa mère. Tu entends ? Je veux ma fille, sale monstre ! Rends-moi ma fille !
- Si on ne récupère pas Oya, je te tue, t’entends ? Je vais te tuer espèce de saloperie contre-nature !
L’adolescente n’en pouvait plus. C’était inextricable. Lorsque Clíodhna lui avait révélé sa vraie nature, c’était pour lui laisser le choix de revenir. Elle avait voulu essayer de garder sa famille. Mais elle n’avait jamais eu le choix. Ses parents ne comprenaient pas qu’elle était toujours … elle. Toujours leur fille. La « vraie » Oya était heureuse là où elle était, entourée de ses amies les fées, les elfes et les lutins. Où sa vie était tous les jours une fête d’amour et de compassion. Elle ne connaissait pas d’autre famille. Pas plus que la Oya changelin. Pourtant elle n’avait pas le choix.
- D’accord … d’accord ! Je peux la ramener, fit-elle d’une voix brisée.
La fureur qui emplissait la pièce baissa d’un cran. Ses parents la regardaient toujours avec des yeux rageurs mais ils ne semblaient plus, momentanément, avoir envie de la frapper ou de la tuer.
- Je … j’ai vécu toute ma vie ici. Je ne voulais pas partir. Je peux retourner chez les fées. Elles ne peuvent pas garder une humaine si la copie rentre. Et elles ne lui ont jamais donné de la nourriture de fée. Elles vous la ramèneront. Mais … je voulais vous dire … vous parler … Je ne voulais pas partir parce que … je vous aime …
- Comment oses-tu nous parler d’amour sale monstre ? Je veux ma fille ! Ramène-moi ma vraie fille !
Oya comprit qu’elle avait tout perdu. Elle avait essayé. Elle voulait vraiment rester ici avec ses parents aimants et son adorable petite sœur. Mais elle les avait perdus. Tous. Les dernières paroles de son ex-père ne furent que la sombre conclusion de cette sordide histoire. On ne lui avait pas demandé d’être ce qu’elle était. Elle l’était, c’est tout. On ne lui avait pas demandé de vivre la vie d’Oya. Elle était Oya. Maintenant, elle se sentait tellement brisée qu’elle ne savait plus si elle était encore quelqu’un.
- Je m’en vais.
Elle se dirigea vers sa chambre.
- Ne touche pas à ses affaires, hurla sa mère.
- J’ai juste besoin d’argent. J'ai fait des économies. Faut que je puisse voyager pour aller la chercher.
Elle parlait d’une voix morne, presque éteinte. Elle ne faisait qu’aligner des évidences. Elle ne discutait plus, elle n’expliquait plus. Elle continua et personne ne l’en empêcha. Ils n’en avaient plus rien à faire. Elle récupéra son argent. Ça ne serait probablement pas suffisant mais avec sa capacité de transformation elle trouverait bien quelques moyens de dérober un peu de sous. Elle n’était pas une voleuse dans l’âme mais … quand on n'avait pas le choix.
Oya quitta sa chambre en jetant un dernier regard sur ses affaires, ses souvenirs. Ce ne seront jamais ceux de l’Oya humaine. Elle ne saurait même pas ce que c’était. Mais ce n’était pas sa vie non plus. Enfin, ça ne l’était plus. Elle prit sa veste et sortit. Personne ne se trouvait sur son chemin jusqu’à l’entrée. Mais là une petite silhouette sortit de l’ombre. Oshun, les yeux encore plein de larmes, la regardait avec détresse.
- Tu t’en vas ? Vraiment ?
- Oui, je vais retrouver ta sœur et je te la rendrais.
La fillette se jeta sur Oya et l’entoura de ses bras.
- C’est toi ma sœur ! Je ne veux pas que tu partes.
L’adolescente jeta un regard craintif derrière elle mais ses parents n’étaient pas là. Ils ne seraient plus jamais là. Elle referma ses bras autour de sa petite sœur qui pleurait contre son ventre.
- Je ne peux plus rester ma douce lumière. Ce n’est plus possible. Mais tu sais, parfois les fées veillent sur les enfants et les protègent.
Elle s’agenouilla face à Oshun et essaya d’effacer ses larmes d’un revers de pouce. Mais il y en avait trop.
- Elles ne peuvent pas être partout mais quand je serais avec elles, je leur demanderais de veiller sur toi. Je saurais que tu vas bien.
- Et … et toi ?
- Moi je serais avec les fées. Tout ira forcément bien pour moi.
Les deux sœurs s’enlacèrent et s’embrassèrent une dernière fois. Oya aurait voulu ne jamais quitter Oshun mais elle se leva et franchit la porte de la maison avant de ne plus pouvoir le faire. Comme si elle avait encore le choix. Elle s’éloigna à grande enjambées en essayant de cacher ses larmes aux quelques passants qu’elle croisait.
Et ainsi, Oya refit le trajet qu’elle avait fait la veille en sens inverse. Ce ne fut pas facile et il lui fallut trois jours, dont une nuit où elle coucha sous un pont, pour faire la même distance qui n’avait demandé qu’un long après-midi en bus. Mais elle parvint à la forêt. Elle n’eut pas à s’y enfoncer profondément avant que Clíodhna ne se trouve devant elle comme si elle l’attendait. Elle lui expliqua tout, fondit en larmes et la fée fit de son mieux pour la consoler.
Un beau matin, Oya l’humaine se trouva devant une maison étrange et fut accueillie par des cris de joie d’inconnus qui l’appelaient « ma fille » et par le sourire triste d’une fillette. Elle fut emmenée à l’intérieur où tout lui semblait bizarre et elle eut une chambre remplie d’objets étranges. Pendant longtemps, très longtemps, elle resta prostrée dans le lit. Ne sortant à peine que pour manger. Elle n’allait pas à l’école, n’avait pas d’amis. Elle ne parlait pas. Ou parfois un peu, à Oshun. Elle avait hérité d’un peu de l’amour des enfants des fées. Elle confiait à sa nouvelle petite sœur, qu’elle apprenait doucement à apprécier, à quel point elle regrettait de ne plus vivre dans la forêt, de ne plus entendre les chants et les rires, de ne plus voir ses amies, de ne pas vivre comme elle le voulait. Ses parents se rendirent finalement compte qu’ils ne récupéreront jamais leur fille. Mais ils ne pouvaient plus rien y faire.
Oya la changelin aimait les fées mais ses parents lui manquaient. Malgré ce qu’ils avaient dit. Malgré ce qu’ils avaient fait. Plus que tout, le sourire d’Oshun lui manquait comme s’il lui manquait un bout de son propre cœur. Même les fées n’arrivaient pas à la distraire quand elle pleurait pour sa petite sœur. Mais Oya tint sa promesse et demanda à ses nouvelles amies de veiller sur la fillette. Elles lui dirent qu’elles avaient une solution.
Lorsque Oshun entra au collège quelques semaines plus tard, elle espérait que l’école lui changerait les idées de ces derniers jours de chagrin, mais sans trop y croire. Elle avait retrouvé ses amis. Elle fut assez attentive en classe. Elle réussit à penser à autre chose par moment mais elle traînait toujours un vague-à-l’âme comme un boulet attaché au pied. Elle pensait à Oya, celle qu’elle avait connue toute sa vie en se demandant où elle était et ce qu’elle faisait. Elle pensait à la nouvelle Oya, la pauvre qui souffrait d’avoir été arrachée à un rêve, à sa vie. Elle l’aimait aussi beaucoup et elle essayait d’être là pour elle. C’est tout ce qu’elle pouvait faire. Elle eut le moral à zéro avant la fin de la matinée.
À la récréation, elle s’isola dans un coin pour reprendre contenance et ne rien laissait paraître face à ses amis. Alors qu’elle se décidait à aller les retrouver, deux grands l’empêchèrent de passer.
- Eh petite ! On est un peu à sec mon pote et moi. T’aurais pas un peu d’argent ? Fais pas ta radine.
Un racket. C’était le bouquet. Oshun se demandait si la journée pouvait encore être pire quand une voix féminine un peu rauque retentit derrière les deux mecs
- Eh vous deux. Moi j’ai pas d’argent mais je peux vous proposer un tour en conseil de discipline dès le premier jour si ça vous tente.
Une surveillante venait d’arriver et avait apparemment tout entendu. Les deux gars dirent qu’ils n’avaient rien fait et filèrent sans demander leur reste.
- Ça va aller maintenant ma mignonne. Ne t’inquiète pas.
La jeune femme avait une vingtaine d’années et un sourire charmant. Oshun remarqua un tatouage sur la main de cette dernière représentant une libellule. Les ailes lui firent penser à une fée. Une fée ? Était-ce son ange gardien ? Elle ne prit pas la peine de vérifier, la fée ne lui révélerait certainement pas la vérité. Mais elle se sentit bien mieux. Elle remercia la surveillante et en la dépassant pour retourner vers ses amis, celle-ci lui glissa à l’oreille sans plus avoir besoin de dissimuler sa voix.
- Je veille sur toi, ma douce lumière.

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