Roussette se plaça bien droite devant l'enchevêtrement de branches.
Elle vit le regard étonné de Gabriel, mais décida de le laisser mariner un peu. Peut-être bien qu'elle avait envie de montrer de quoi elle était capable. Elle le trouvait de plus en plus sympathique, et voilà qu'elle souhaitait qu'il ait une bonne opinion d'elle. Tssss....
Du gars paumé et paniqué s'extrayait à présent un jeune homme réfléchi qui posait des questions pertinentes. Il était observateur et montrait des capacités de concentration plutôt convenables malgré son état de surprise permanent.
Sur le trajet, elle avait repensé à la réaction de Pahui et Iskarine face au nom de famille de Gabriel. La Magistrate avait été limpide: Roussette aurait dû comprendre! Elle avait beau ressasser mentalement ses lectures, ses leçons... rien. Gabriel semblait être un Terrien tout à fait ordinaire. Pourquoi Iskarine les avait-elle convoqués? Quelle était l'urgence? Ce qu'elle pouvait détester cette sensation d'être au cœur de quelque chose d'important sans le saisir!
Roussette toisa son compagnon, et décida que, définitivement, elle ne décelait pas de menace chez lui. Depuis leur rencontre, c'était plus fort qu'elle: elle lui faisait confiance... Et puis, elle était de plus en plus convaincue qu'il s'habituerait très aisément à cet environnement. Elle dut admettre que ça lui plairait, de lui faire découvrir ses recoins préférés des Lanternes.
D'un geste assuré, elle ouvrit une appli et tapota une succession de symboles. Un vif éclat de lumière jaillit du centre des branches, s'intensifiant jusqu'à devenir douloureux à regarder. Ébloui, Gabriel plissa les yeux pour voir les branches bouger de leur propre chef, se démêler, s'écarter. Un sourire en coin, Roussette se divertit de sa mine éberluée mais choisit de lui expliquer:
— Tu te souviens, je t'avais demandé tes réseaux, sur le téléphone? Ben voilà: certaines choses sont programmées pour être accessibles sur notre réseau crypté. La flue peut être déclenchée grâce à une appli, comme certaines valves et la plupart des accès clos de Valdros. Allez viens, on prend le tunnel.
Elle prit sa main, se pencha sous les branchages toujours luisants et il se laissa guider dans le couloir vaporeux.
Bien qu'elle ait emprunté la flue de nombreuses fois, elle restait émerveillée de la sensation délicieuse qui portait chacun de ses gestes dans cet espace. Elle s'abandonna à la douceur de la brume: c'était comme se déplacer dans un nuage. Peut-être qu'un jour Tinejo voudrait bien l'emmener sur Syléphira, qui abritait une constellation d'îles éthérées?
Elle prit soin de ne pas lâcher la main de Gabriel: la première fois, ça pouvait surprendre. Elle avait déjà vu plusieurs personnes avoir la nausée. Mieux valait rester bien au centre, et éviter les turbulences des parois.
Elle chercha à croiser son regard, mais celui-ci observait dans tous les sens: en haut, en bas. Ses pieds. Sa main libre, qu'il faisait avancer et reculer devant son visage...
— Gabriel, ça va? Tu te sens comment?
— Bien... Je crois. J'ai l'impression d'être en apesanteur. En tout cas, j'imagine que ça doit faire cet effet-là. On est où?
— Dans la flue. Elle n'existe pas vraiment. Du moins, pas si tu veux la dessiner sur une carte par exemple. Mais elle réduit les temps de trajet entre les zones éloignées des Lanternes.
Après une bonne demi-heure, Roussette poussa Gabriel devant elle et l'aida à passer sous une arche de granit rose et à se poser sur un sol de pavés couleur paille. Elle retrouvait avec plaisir les odeurs familières de la ville, dans un brouhaha de fin de matinée. Elle adorait son cabanon, mais cette cité l'avait vue grandir, et elle s'y sentait toujours chez elle.
Une fois certaine que Gabriel avait repris son équilibre, elle se dirigea avec lui vers la Place des Trois Fontaines où le marché battait son plein.
Gabriel cligna des yeux, charmé. Sous un ciel azur ensoleillé, une cité qu'un critique d'art pourrait qualifier de néo-vintage vibrait de vie devant lui, dépassant tout ce qu'il aurait pu imaginer.
Sur la place, un foisonnement d'étals colorés exhalait des parfums tant familiers qu'exotiques: viandes grillées et légumes rôtis, oranges pressées, ou encore bonbons au caramel. Une odeur sucrée tout autant qu'amère et piquante flottait également dans l'air, sans qu'il sût définir son origine.
Un grand gaillard à la peau nacrée, orangée, haranguait les passants pour vendre des articles en cuir: sac, bourses, chapeaux et bottes. Le cuir était fin, légèrement granuleux, dans des nuances sombres entre gris et rose. Gabriel n'osa pas demander de quel animal il pouvait bien provenir.
Plus loin, deux jeunes femmes aux longues tresses de cheveux bleus proposaient tout un assortiment d'accessoires de téléphone. Pour le coup, en dehors des pupilles allongées des vendeuses, semblables à celles des chats, Gabriel ne fut guère impressionné: ces articles-là ressemblaient parfaitement à ce qu'il connaissait.
Son œil aiguisé remarqua un stand où un couple d'artisans façonnaient des articles en bois. Il s'approcha et s'autorisa à manipuler plusieurs petits objets: plateaux, coupelles, coffrets et louches diverses... Il se sentait dans son élément, épousant de la paume de la main les surfaces et rebords sculptés. Roussette se tenait près de lui, enchantée de son intérêt. La femme s'interrompit dans sa tâche:
— Un objet vous intéresse?
— Oh, désolé. En fait, je ne pense pas avoir besoin de quelque chose pour l'instant. C'est juste que... En fait, je travaille le bois, moi aussi, mais je ne connais pas ces essences.
— Ah, on voit le connaisseur. D'habitude, on ne s'intéresse qu'au prix! La coupelle, là, c'est du sorbier de K'hlavik, avec sa texture irisée. La louche sombre, c'est du bois-anthracite: pas facile à travailler, mais d'une solidité à toute épreuve, peu importe ce que vous cuisinez! La louche que vous avez en main, c'est de la lignette dorée: entre nous, c'est plutôt décoratif... Quand aux coffrets, bah on trouve un peu de tout, même du chêne crépusculaire.
Fasciné, Gabriel la remercia avant de prendre congé:
— Merci beaucoup, madame. Vos coffrets sont magnifiques, félicitations. Au-revoir.
La femme le salua en retour avec un franc sourire et reprit son travail.
Roussette se faufila entre les habitués et l'attira vers un attroupement sur la droite:
— Tiens, il faut absolument que tu goûtes ça, c'est trop bon!
Ils s'étaient arrêtés devant un genre de barbecue géant. Plusieurs personnes servaient aux clients des brochettes de viande et de ... bah, sûrement une sorte de légume.
— Ce sont des brochettes de panaks et de repta brun. J'adore ça!
Gabriel dut reconnaître que le parfum épicé de la viande cuite le faisait saliver. Sa compagne commanda deux brochettes, qu'elle régla grâce à son téléphone sur un module présenté par le marchand. Croquant dans sa brochette, Roussette lui tendit la seconde. Gabriel la saisit et s'aventura de la pointe de la langue pour goûter la viande. C'était réellement surprenant. La saveur et la texture étaient comparables à du gibier, comme le chevreuil qu'il avait mangé au mariage d'un lointain cousin l'an dernier. Mais c'était à la fois plus doux et plus corsé. Il ne lui fallut que quelques bouchées pour dévorer la brochette, devant une Roussette ravie que ça lui plaise autant.
Les promeneurs se déplaçaient seuls ou en famille, pressant le pas ou flânant d'un étal à l'autre. Leurs vêtements étaient si variés que Gabriel n'arrivait pas à définir un style dominant. Il avait l'impression de se promener dans un catalogue La Redoute, collection été-espace-temps! Les tenues de nylons métallisés se disputaient la vedette avec des robes et voilages dignes de Marianne dans Robin des Bois! Un jeune garçon courait vers ses parents, lui vêtu de chausses en velours et d'une cape rouge et or, eux portant des combinaisons qui n'auraient pas détonné aux côtés de la joggeuse croisée le matin-même.
Quant aux êtres qu'il croisait... La couleur de peau, les yeux en amande ou globuleux, avec ou sans pupille, les oreilles pointues ou inexistantes, les cornes, les corpulences, les appendices caudaux.... Tous humanoïdes, de ce qu'il en voyait, mais... Les sens et la raison de Gabriel étaient au bord du burn-out.
Pourtant, autre chose le troublait. Une question lui brûlait les lèvres, plus que toute autre:
— Dis, Roussette, comment ça se fait que je puisse comprendre ce qui se dit? C'est pas des Terriens, tout ça.
Il s'arrêta net, comme frappé par la foudre:
— Punaise... Pas des Terriens... J'en reviens pas d'avoir dit ça! En tout cas, je suis plus que nul en langues étrangères. Dis-moi, pourquoi je comprends tous les passants? Mazette, j'arrive même à lire les prix sur les étiquettes!
— Alors ça, bravo de l'avoir remarqué! En fait, c'est une particularité de la porte de la Terre, on sait pas trop pourquoi, d'ailleurs. Tous ceux qui la franchissent débloquent tous les langages connus. Tu verras, quand tu retourneras chez toi, tu pourras voyager partout sans problème. Quand c'est acquis, c'est acquis!
Gabriel secoua la tête, songeur: quelles seront les prochaines surprises de ce monde bizarre...?

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