Quelques feuilles dorées flottaient au vent, avant d’atteindre mélancoliquement le sol. Le Parc des Lanternes s’éveillait paisiblement après sa nuit automnale. Le silence feutré de ce début de journée brumeuse n’était interrompu que par l’aboiement irrégulier d’un chien, au loin, ou le passage d’une voiture dans l’avenue proche. A cette heure, la ville n’était pas vraiment réveillée.
Gabriel se hâtait, ajustant avec difficulté son sac sur l’épaule : bon sang que c’était lourd ! Le poids du sac le déséquilibrait fortement, freinant son élan. Plus vite, le train n’attendrait pas !
Plus loin devant lui, il aperçut une joggeuse qui avait dû surgir directement des années 80 : son legging rose fluo et son t-shirt bariolé offensaient les yeux de toute personne qui la croisait. Cette fois encore, il se demanda bien pourquoi notre époque persistait à ressusciter le pire des précédentes...
Il passa rapidement à côté d’une pie qui piaillait en direction d’un pigeon, se disputant avec lui un croûton de pain abandonné – avant de s’étaler de tout son long.
Occupé à empoigner la sangle de son sac pour le passer sur l’autre épaule et soulager son côté droit, il n’avait pas vu la trottinette qui gisait sur le chemin.
Il se redressa douloureusement, sa main gauche écorchée et son coude le lançant atrocement. Le sac ! M. Weber serait furieux s’il arrivait quelque chose à ses précieux ouvrages ! Il fut rassuré en l’apercevant du coin de l’œil un peu loin : celui-ci ne semblait pas avoir trop souffert dans la chute.
Le jeune homme frotta énergiquement la terre sur son pantalon. Il se dirigeait vers son sac lorsqu’il perçut un son puissant qui le pénétra jusqu’aux os. Comme le bruit d’un râteau qu’on raclerait trop fort sur du bitume, mais plus grave, plus profond.
Qu’est-ce que c’était que ça ?
Tournant rapidement sur lui-même, il chercha d’où ce son avait bien pu venir.
Rien. Le parc habillé de ses chatoyantes couleurs d’automne ne laissait rien paraître. Un écureuil sautillait tranquillement entre deux hêtres. D’un brun roux tout à fait de saison, une oreille blessée dans une ultime bataille avec un congénère, il rassemblait de quoi se nourrir cet hiver. Il ne semblait pas avoir été perturbé par cette agression sonore.
Gabriel se dirigea lentement vers son sac : de toute façon, il était trop tard pour attraper le train de 8h34, maintenant. Il n’aurait plus qu’à patienter jusqu’au suivant... dans près d’une heure...
Voilà qui n’arrangeait pas ses affaires ! En tout cas, plus besoin de courir. Avançant désormais tranquillement dans l’allée sous les arbres étincelants, il sortit son téléphone et informa M. Weber de son retard. Bien évidemment, celui-ci ne sauta pas de joie et ne mâcha pas ses mots pour lui faire comprendre qu’il n’était décidément pas digne de confiance.
Gabriel se figea. Non, il avait beau cligner des yeux, les arbres... étincelaient ? Voyons ! Il n’était pas tombé si fort, et ne s’était pas cogné la tête. Il retira ses lunettes et les essuya : avec un peu de chance, c’était une trace de doigt, un reflet sur le verre. Pas de bol : les scintillements persistèrent avec obstination.
Puis ce son grave et décidément désagréable vibra à nouveau contre ses tympans.
Bon, là, ce n’était plus drôle, plus du tout ! Nerveusement, Gabriel fit demi-tour et s’élança pour revenir sur ses pas. Et stoppa net.
L’allée. Qu’était-il arrivé à l’allée ?
Les lampadaires stylisés installés l’hiver dernier laissaient leur place à d’épais rameaux de fer forgé au bout desquels étaient arrimées de curieuses lanternes. Celles-ci diffusaient une pâle lueur orangée sur un petit chemin de terre battue. Pourquoi faisait-il encore si sombre ? Le soleil s’était déjà levé tout à l’heure, non ?
Un nouveau demi-tour ne permit pas à Gabriel de retrouver l’apparence habituelle, moderne, et normale de son allée. L’étroit chemin de terre ocre serpentait aussi de ce côté-ci.
La panique n’était pas loin de s’emparer de lui. Quelqu’un. Il devait trouver quelqu’un. De l’aide.
S’accrochant à son sac pour se donner du courage, il s’engagea précautionneusement sur le chemin en direction, espérait-il, de la sortie du parc. La végétation du parc avait changé : les cimes des arbres atteignaient désormais de telles hauteurs qu’il ne les distinguait plus. Et ces feuilles ? Il n’avait jamais rien vu de pareil : tarabiscotées, un peu bleutées, elles pulsaient d’un faible halo irisé, comme si elles respiraient.
Il sursauta quand l’écureuil – oui, oui, celui avec son oreille blessée – traversa le chemin devant lui en vaquant à ses occupations. Rien ne semblait le troubler, lui. Sa noisette dans la bouche, il alla creuser un peu plus loin une de ses cachettes et y déposa délicatement le fruit, avant de refermer le trou avec un peu de terre et des feuilles. Bleutées. Tarabiscotées. Au moins, elles ne luisaient plus !
Gabriel commençait à se sentir franchement mal. Des grenouilles avaient élu domicile dans son estomac, annonçant ce qui risquait de devenir une nausée parfaitement efficace. Une intoxication alimentaire. Oui, c’était forcément ça. Il devait avoir avalé un truc pas frais. Le lait de son café ce matin. Ou le burger d’hier soir. Il allait se réveiller à l’hôpital, où un médecin lui expliquerait d’un ton sérieux qu’il avait perdu connaissance, qu’il avait eu droit à un lavage d’estomac dans les règles et qu’il sortirait dans quelques heures.
Malheureusement, plus il avançait dans... une forêt ? C’était une forêt maintenant ? Les lanternes avaient disparu et le sentier creusait désormais son parcours dans une terre sombre et souple. Les bords du chemin formaient pour le marcheur un écrin de racines, de cailloux et devenaient de plus en plus hauts.
Bref, plus il avançait, plus il comprenait qu’il ne rêvait pas. Le crissement de ses baskets sur les cailloux du sentier, l’odeur doucereuse de l’humus, la brise sur son visage, le jour qui se levait (à l’Est, il espéra que ce soit toujours à l’Est), le son de la course espiègle d’un ruisseau à proximité : il ne pouvait quand même pas inventer tout ça.
Mazette ! Il s’était vraiment fourré dans un sacré pétrin. M. Weber allait être furieux s’il ne le rejoignait pas rapidement !

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