Défi du chaudron
Standard (jusqu'à 1.000 mots)
Objet/chose « carte routière »
Émotion/état « désespoir »
Couleur « gris »
53 avenue des Havres de Jiolet.
La femme s’arrête. Avec difficulté, elle bloque le parapluie contre l’épaule avec sa tête. Le vent lui ordonne de renoncer. Elle résiste. Sa vieille carte routière, aux plis presque déchirés, refuse obstinément de se replier. Quelques gouttes viennent ajouter des taches sur le papier, avant qu’elle réussisse enfin à la ranger dans sa fidèle pochette de cuir craquelé.
La femme vérifie une dernière fois l’adresse griffonnée sur un morceau de papier froissé. Soupire. Recule. Revient. Serre le poing. Avance.
Pose un pied sur la première marche conduisant à l’entrée. Se hisse jusqu’en haut de l’escalier dédaigneux de sa présence en ces lieux.
Elle lève la tête. Sous ce ciel morose de nuages lourds de pluie, les deux tours dressent leurs silhouettes élancées avec insolence. Toutes de verre et de métal, elles renvoient aux cieux leur désespoir maquillé et leurs innombrables détresses. L’abîme de sa propre faiblesse s’y reflète tout autant.
La femme lutte jusqu’à la porte vitrée du 53a. Elle devient sourde aux misérables bruits de la ville derrière elle. Les portes coulissantes s’écartent et l’avalent dans l’immense hall aseptisé courant sur tout le rez-de-chaussée
La femme marchande chaque pas jusqu’à la borne d’accueil. Elle effleure l’écran et scelle son destin lorsqu’elle déverrouille l’accès au 13ème étage.
Sa frêle silhouette voûtée esquisse une trajectoire hasardeuse jusqu’à l’ascenseur. Dans une indifférence notable, celui-ci l’emporte dans les niveaux supérieurs.
1...
5...
13... Un ding dong incongru lacère le silence avec nonchalance et annonce la fin du voyage.
Recrachée par l’ascenseur, la femme ajuste ses verres pour se repérer dans la pénombre du couloir austère qui se présente devant elle.
Ses talons martèlent le sol avec la clarté d’un cristal. Chaque pas l’entraîne vers son but. Chaque pas la propulse dans son passé.
Les flammes crépitaient dans l’âtre et diffusaient leur douce chaleur au couple lové sous la couverture, sirotant un thé réconfortant. Dehors, la neige recouvrait la campagne de son manteau blanc. Une joyeuse bande d’enfants sur leurs luges, le nez rougi par le froid, descendaient sans relâche la colline en riant. Leurs rires semblaient emplir le monde d’une joie simple et éternelle.
L’homme embrassa amoureusement sa femme sur la joue. Il plongea ses yeux dans les siens, appréciant chaque reflet mordoré, chaque ride, chaque souvenir partagé.
Elle caressa son visage, imprimant son éternel sourire dans sa mémoire. Sa mèche de cheveux gris qui lui tombait sans arrêt sur les yeux. La cicatrice sur son arcade, souvenir tyrannique d’un chantier lointain. La chaleur de son corps quand il l’enlaçait.
Bientôt.
La femme cligne des yeux sous le néon glacé, s’ajustant au rythme désordonné de son dysfonctionnement.
Elle arrive au bout du couloir. Une porte insignifiante la jauge de tout son mépris et met fin à ses errances.
Elle reprend le bout de papier chiffonné, se concentre sur les mots qu’elle peine à déchiffrer. Elle glisse alors une main fatiguée dans la poche de son imperméable.
La clef se débat, s’oppose. La femme force, persiste, et ouvre la porte.
Elle se traîne, haletante, glissant un pied après l’autre devant elle. Elle plisse les paupières jusqu’à ce que la douleur l’arrête, avant d’être happée dans la clarté brûlante.
La jeune femme descend en riant les derniers étages du bâtiment. Sa joie explose tout autour d’elle. Son pas aérien la propulse vers son avenir.
D’une main légère, elle pousse la porte translucide la menant dans le hall. Une odeur de café et de muffins l’accueille. Les sons délicats des conversations de petits groupes installés dans les fauteuils viennent la caresser. Ses yeux s’attardent un instant sur les plantes luxuriantes qui égayent chaque parcelle de ce lieu convivial.
Elle se dirige, au comble du bonheur, vers l’éclatant rayon de soleil qui illumine l’entrée. Les battements de son cœur s’emballent, et elle pose la main sur sa poitrine pour s’apaiser.
Les portes coulissantes du 53b s’ouvrent avec délicatesse sur un parc arboré. Des fleurs aux pétales mauves ciselés en parfument chaque recoin.
Impatiente, elle le cherche du regard, la main en visière.
Le voilà. Il l’attend sur un banc. Quand il l’aperçoit, il se lève et elle court vers lui, se jette dans ses bras. Il la porte en riant, fasciné par ses yeux dorés rayonnant de vitalité.
Elle embrasse son sourire éternel, encore, et encore.
Se tenant par la taille, ils tournent le dos à la tour resplendissante et s’avancent parmi les promeneurs de cette journée pleine de promesses.
Enlacé, le couple s’éloigne, prêt à revivre d’infinis moments partagés.

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