Tanaté n’était pas un enfant comme les autres.
Tout petit déjà, il avait un sens de l’observation qui dénotait pour son âge. Son grand-père, Téloné, savait combien les enfants pouvaient être intelligents et ouverts au monde.
En grandissant, Tanaté devint un enfant tout aussi curieux et espiègle que ses camarades dont le sage de village, Tinoya, assurait l’éducation à l’art de la botanique et de la chasse aux insectes.
Dans ce monde bercé par la mélodie du temps que contait les vents et la pluie, Tanaté grandissait dans l’insouciance des origines de sa naissance. Son grand-père connaissait la vérité, mais il avait toujours évité d’accorder à l’enfant des réponses qui ne lui auraient jamais rien apporté de bon.
Le matin qui suivit son huitième anniversaire, le temps était venu pour Tinoya d’emmener les huitains dans la forêt proche afin qu’ils rencontrent pour la première fois le danger qui devait pour toujours les marquer. On racontait qu’au cœur de la forêt sommeillait un vieil homme qui n’avait pas ouvert les yeux depuis mille ans. Dans ses rêves, disait-on, il voyait le passé, le présent et parfois même l’avenir.
Tinoya avait vécu de nombreuses vies, ses longs cheveux blancs tressés et la canne surmontée de la pierre de protection du village en faisait le gardien immuable de la barrière. Ce champ magique qui maintenait le danger et la forêt à distance des habitations.
Lorsque le groupe de six enfants se trouva derrière le sage à l’orée de la forêt, il brandit le bâton tordu dans les airs pour réclamer le silence qui se fit instantanément.
« Mes enfants, nous allons pénétrer dans la forêt. Chacun de vous est responsable de l’autre au-delà de la barrière. Avez-vous emporté le sable de motek ? »
Les enfants approuvèrent en montrant un petit sac de cuir.
« Très bien, n’oubliez pas les Ivokas nous observent, le sable les tiendra à distance si l’un d’eux s’approche de trop près. »
Tanaté avait vu des représentations des ivokas au village : des bêtes à quatre pattes et à la fourrure noire. Leur museau pointu annonçait de grands yeux noirs perçants.
Après que Tinoya eut percé la barrière, ils traversèrent pour entrer sur le territoire de la forêt. Les arbres étaient immenses et murmuraient dans un langage ancien depuis longtemps perdu. L’herbe se mouvait au gré du vent et les enfants avancèrent sans rechigner en suivant le sage.
C’est au détour d’une construction dont il ne restait plus guère que les bases que le sage désigna un trône sur lequel se trouvait un homme très âgé. Son apparence frêle dans la longue toge de toile couverte par quelques lierres imprudents donna l’impression à Tanaté qu’il était à la merci du monde. Comment pouvait-il échapper aux ivokas s’il était endormi depuis si longtemps ?
A la nuit tombée, le campement dispersé par la magie de Tinoya, Tanaté ne pouvait s’empêcher d’observer le vieillard endormi. Il était intrigué, comme à chaque fois qu’une question survenait dans son esprit.
« Né sous le silence des cendres, murmura le vieil homme sur son trône, tu porteras la mémoire et brisera le cercle. »
Les autres enfants continuaient de s’amuser mais il aperçut le regard bienveillant de Tinoya l’invitant à écouter l’endormi.
Tanaté s’approcha lentement, comme on entre dans un rêve déjà commencé.
Le vieillard n’ouvrit pas les yeux. Il respirait à peine, mais ses lèvres bougeaient encore.
« Le sable ne protège pas, il coupe les liens. »
Le garçon frissonna et regarda la bourse de sable de motek attachée à sa ceinture.
« Les bêtes noires… elles ne te veulent aucun mal. Elles attendent celui qui saura tendre l’oreille et se souviendra. »
Quelque chose bougea derrière le trône. Une silhouette sombre. Un ivoka.
Il ne grogna pas. Il observait. Ses grands yeux foncés n’étaient pas pleins de malice, mais de curiosité.
« Approche, dit Tinoya derrière lui, d’une voix douce. Tu n’as rien à craindre. »
Le garçon écouta et s’avança. L’ivoka s’inclina.
Le vieillard toujours endormi, murmura une dernière fois.
« Tu es né de la forêt, Tanaté. Tu es le souvenir du monde d’avant et celui par lequel le passé et le présent marcheront main dans la main. »
Alors, dans un bruissement de feuilles, l’Ivoka vint poser son museau contre le front de l’enfant.
Et Tanaté comprit.

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