«

»

Merci à Béatrix et Wildflower pour les objets au coeur de cette nouvelle

Défi du Chaudron : fantôme/tristesse/doré

⭐ ⭐ ⭐ ⭐

Philomène avait bien du mal à se concentrer ce matin-là. Installée à son bureau dans le cabinet de curiosités, elle essayait de mettre à jour la fiche d’un des objets étranges de Wolfsong, mais la dispute qui se jouait dans le hall ne l’aidait pas.

Même son altesse Semiramis avait préféré se réfugier sur mon bureau. Ses oreilles ne cessaient de bouger de mécontentement, alors que, roulée en boule, elle tentait de dormir.

Avec un soupir, elle abandonna sa tâche et s’enfonça entre les étagères, pour s’éloigner de la source de sa distraction. Dans la partie la plus éloignée de la salle étaient stockés les objets qui n’avaient pas encore été catalogués.

Une douce lueur ondulait doucement dans cet espace. Posée sur une table ancienne, une bougie longue et fine, sur un support doré, gravé de symboles ésotériques indéchiffrables pour la jeune femme, illuminait cette partie éloignée des fenêtres. De jour, comme de nuit, elle brulait, sans jamais s’éteindre, sans jamais fondre, une bougie éternelle, dont on ne pouvait souffler la flamme. Pourtant, on sentait sa chaleur. Philomène avait constaté plusieurs fois à quel point elle se sentait bien près de cet objet.

La question de son stockage était délicate : en effet, à son contact, le bois noircissait, le papier prenait feu, alors, pour l’instant, elle tenait compagnie aux objets qui n’avaient pas encore été traités. Xavier ayant oublié son origine, elle avait fait des recherches pour tenter de retrouver une trace de cet artefact. Elle pensait que c’était l’une des quatre bougies de l’avent, issue d’une légende norvégienne, celle qui ne s’éteignait jamais, et qui se nommait Espérance.

Elle s’approcha d’une caisse. Elle en sortit un objet lourd et sphérique, qu’elle posa à côté de la chandelle.

La flamme de la bougie sembla se pencher dans la direction de la sphère, créant des étincelles sur la paroi. Car c’était un globe de verre, enchâssé sur un socle de pierre. Philomène, ébahie, contemplait ce qu’il contenait, un spectacle à la fois extraordinaire et très triste.

À l’intérieur gisait une créature. Petite et frêle, elle était recroquevillée sur elle-même, et enfermée dans une sorte de cocon coloré. On voyait à peine ses membres et le reste de son petit corps. Sur son visage aux traits fins et aux yeux fermés brillaient de minuscules paillettes, sous la lumière de la bougie. Ses longs cheveux parme étaient tressés et ornés de petites perles. Était-ce une poupée ou une figurine ? Pourtant, malgré son immobilité, elle semblait si vivante.

Puis, l’archiviste réalisa soudain que ce qu’elle pensait être une sorte de tissu soyeux était en fait deux ailes repliées autour du corps. Les nuances irisées de violet, de parme et de bleu avaient gardé leur vivacité.

— Qui es-tu ? murmura Philomène.

Elle l’enveloppa dans ses bras et la porta jusqu’à son bureau illuminé par le soleil. À son grand soulagement, les cris avaient cessé de l’autre côté de la porte. Elle constata qu’elle était ouverte et en comprit la raison en découvrant Xavier Wolfsong, débout face à la fenêtre, sa main droite posée sur la vitre et son front sur sa main.

Elle en fut à peine surprise. Depuis que le cabinet des curiosités avait été créé sur le conseil de l’intérimaire qu’il venait d’engager, il était devenu son refuge.

Philomène retint ses questions et se concentra sur la sphère. Elle l’examina à la recherche de fissure ou de dégâts. Elle effleura les gravures sur le socle, tentant d’en deviner le sens.

— Que t’est-il arrivé ?

Elle ne se rendit compte qu’elle avait parlé à voix haute que quand elle sentit la présence de son patron tout près d’elle. Cet homme avait la capacité de se déplacer tellement silencieusement que c’en était agaçant.

— Ah ! Vous avez retrouvé Sygma, émit-il.

— C’est une amie à vous ? plaisanta Philomène.

— Oui. Morte depuis longtemps.

Philomène, effarée, le fixa avec de grands yeux. Elle ne songea même pas à se sentir penaude, tant la perspective qu’il ait pu conserver une amie décédée dans un tas d’objets et l’oublier la choquait. Puis le regard de Xavier erra au-dessus de l’artefact.

— Je sais, lança-t-il, avec exaspération.

— Pardon ? s’insurgea Philomène.

Le regard de Xavier se porta sur elle, d’abord surpris, puis il prit un air gêné, et se frotta l’arrière du crâne.

— Pardon. Je parlais au fantôme de Sygma.

— Son… fantôme ?

Soudain, elle fit un bond en arrière. Installée au sommet du globe, une créature la fixait avec curiosité. Réplique parfaite de celle du globe, elle présentait cependant un aspect éthéré.

— C’est…, balbutia Philomène. Je veux dire… vous êtes une fée ?

— Bien vu ! répondit le spectre, en se levant avec grâce.

Quel spectacle hallucinant que cette petite et gracieuse créature debout sur ce qui était essentiellement son tombeau ! Philomène posa un regard interrogateur sur Xavier.

— Les fées ne vieillissent pas comme les humains. Elles peuvent vivre de très longs millénaires, mais finissent par s’endormir de leur dernier sommeil. Normalement, leur esprit s’envole vers leur après-vie, mais cette écervelée aimait trop le monde des humains, alors elle a voulu rester.

— Eh ! s’écria Sygma, en prenant un air outré. C’est bien plus amusant ici !

— Elle m’a demandé de garder son corps auprès de moi. Alors j’ai fabriqué le globe et l’ai enchanté pour le conserver.

Philomène resta silencieuse le temps de bien intégrer ces informations. Sygma prit son envol et tourna autour d’elle, examinant la nouvelle humaine avec intérêt. Elle voulait lui parler depuis longtemps, mais le sorcier le lui interdisait.

Ne lui explique rien sur moi, l’avertit celui-ci mentalement, en la regardant avec sévérité.

— Vous êtes décidément un homme bien extraordinaire, souffla enfin la jeune femme, en rivant ses yeux bleus dans ceux de son patron.

Xavier, figé, eut du mal à se détacher du regard acéré de son employée. Sygma pouffa silencieusement, hilare. Puis, Philomène jeta un regard pensif sur le cabinet.

— Il faut que je trouve une belle place à ce globe.