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Merci à Anaïs qui m'a proposé l'idée de l'objet au centre de cette nouvelle. 💖

**DEFI DU CHAUDRON** : **Objet/chose** « galet »- **Émotion/état** « indifférence »- **Couleur** « doré »

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Objet : livre relié

Origine : Ecosse

Époque : circa 1845

N° d’identification : L.123.876

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Posé sur un piédestal, placé exactement au centre d’un pentagramme peint en doré sur le sol, un épais volume trônait. Philomène venait de passer deux heures à l’examiner sans l’ouvrir — Xavier avait été particulièrement insistant sur ce point et elle avait dû promettre avant qu’il consente à la laisser ajouter cet objet à sa collection.

Pourtant, ce n’était pas l’envie qui lui manquait de désobéir. Mais elle se rappelait encore vivement sa dernière mauvaise expérience. Et puis, elle avait beaucoup de travail. Elle continua à taper la notice qui rejoindrait les autres dans la base de données :

… Le livre possède une couverture épaisse, unie, décorée de dorures sur les côtés. Il compte quatre cents pages, dans un vélin épais.

Il a été fabriqué aux alentours de 1845, à Édimbourg, par Catherine Bedford, maitresse relieuse, pour le compte de Sir Alastair Murray.

La reliure et les matériaux utilisés sont de très bonne qualité. À l’intérieur de chaque couverture, des glyphes de protection ont été apposés, permettant sans doute sa conservation en parfait état.

Philomène releva la tête, soudain déconcentrée par une étrange sensation. Le puits de lumière tombait directement sur le présentoir, faisant scintiller la couverture, d’un rouge sombre, très noble. Prenant distraitement l’un des galets peints qui décoraient son bureau, elle le manipula en fixant intensément le livre. Et si elle le feuilletait simplement, rien de mal ne pouvait arriver, n’est-ce pas ? Elle fit la moue, puis se força à reprendre son travail. Elle relut son texte, puis, satisfaite, l’enregistra dans le répertoire, sous le numéro L123.876.

Dès que son esprit fut libéré de sa tâche, son regard convergea sur le livre. Sa curiosité rongeait sa prudence. Elle le supporta quelques minutes, puis elle soupira et se leva.

— Qu’est-ce qui peut m’arriver ? C’est juste un livre.

Elle rejoignit le centre de la pièce, passant entre deux des quatre étagères qui formaient un losange autour du piédestal. Elle caressa la couverture douce, traça avec son doigt les entrelacs dorés et le titre : Rose précieuse. Puis elle l’ouvrit et tourna les pages pour atteindre la première.

CHAPITRE 1

Une neige glacée et craquante recouvrait le chemin. Les arbres dépouillés de leurs feuilles avaient mis leurs parures de givre pour accueillir la promeneuse. Dame Sara Alcought, emmitouflée dans une fourrure épaisse et blanche, avançait prudemment dans le bois de son domaine. Sa respiration formait une brume devant elle.

Au bout de…

Un bruit s’immisça dans le paysage mental de Philomène et elle interrompit sa lecture, fermant le livre en un geste inconscient. Si Xavier la surprenait, elle aurait droit à l’une de ses leçons de morale bien senties, et se sentirait coupable face à son examen inquiet de sa personne. Son patron oscillait envers elle entre une indifférence impassible et une hyperprotection parfois très gênante — mais adorable.

Elle examina le grand hall par la porte ouverte, puis, ne découvrant personne, elle rouvrit le livre et reprit sa lecture.

… Le carrosse brinquebalant remonta l’allée de terre. Bertrand, serrant sa mallette contre lui, grimaçait à chaque fois qu’ils roulaient dans un nid de poule. La chaleur suffocante pesait sur ses poumons et il fronçait le nez face aux odeurs pestilentielles qui empuantissaient l’atmosphère. Lorsque la voiture…

Philomène sursauta, relut le début du chapitre 1 et écarquilla les yeux : le texte, imprimé, venait de changer entièrement. Elle feuilleta quelques pages, en lisant en diagonale, et confirma sa première impression. Un élan de déception s’empara d’elle à l’idée qu’elle ne pourrait pas connaitre l’histoire de Sara. Elle referma le livre et eut juste le temps de lire le titre avant qu’il ne s’efface juste devant ses yeux : Mystère à Mansfield mansion.

Elle réalisa alors que la couverture, qui avait pris une teinte d’un vert profond, se colorait d’un bleu très clair. Le titre était maintenant : Océan éternel.

La stupéfaction passée, Philomène laissa errer un immense sourire sur son visage. Un livre avec une infinité d’histoires à lire, qui changeaient dès qu’on le refermait ? C’était un trésor pour une bibliophile comme elle.

— Il n’y a rien de mal à ça, murmura-t-elle, en caressant une nouvelle fois la couverture.

— Imaginez un livre infini, qu’il faut lire d’une traite si l’on veut terminer l’histoire, avant qu’elle ne change. Imaginez l’état dans lequel cela peut mettre un lecteur passionné.

La voix fit sursauter Philomène. Une rougeur envahit son visage et elle se retourna vers son interlocuteur, l’air penaud. Adossé à l’une des étagères, les bras croisés, son employeur la fixait de ses yeux gris impénétrables. Elle se prépara mentalement à subir ses remontrances.

— C’est un trésor, c’est vrai, reprit-il, avec gravité. Mais un trésor dangereux pour qui le possède sans avoir la volonté d’abandonner une histoire avant la fin, ou la force de supporter que les personnages et les lieux qu’il ou elle a aimés disparaissent à la seconde où il fermera le livre.

Philomène cligna des yeux. Elle repensa à sa tristesse quand elle avait compris qu’elle ne saurait pas ce qui allait arriver à cette dame, dans la forêt gelée.

— Je comprends le risque. Mais, n’est-ce pas dommage que les histoires qui s’y écrivent ne soient jamais lues ? répondit-elle.

Il haussa un sourcil à sa répartie. Un sourire étira ses lèvres fines et pâles.

— Bien vu, répondit-il, en se redressant. Je vais réfléchir à un sortilège qui nous permettrait de le lire sans risquer de s’y perdre.

— Comptez sur moi pour vous le rappeler, lança Philomène.

Xavier lui jeta un regard irrité et lâcha un grognement, mais il ne la reprit pas. Il avait bien conscience de sa distraction légendaire. Il quitta la pièce d’un pas rapide. Elle rejoignit son bureau et rangea ses affaires, éteignant l’ordinateur. Sa journée était terminée et elle avait hâte de rejoindre Gentleman et le roman qu’elle était en train de lire. Elle venait à peine d’entamer la Saga de la Grimmore* et elle était déjà accroc. Pourtant, en quittant le manoir, elle ne put s’empêcher de penser au livre aux histoires infinies.

*Clin d’œil à l’univers de Grimm. Titre non contractuel. 😀