Le jour déclinait et les ombres s’allongeait à l’intérieur de la maison en ruines. Tancrède, en bon chef de groupe, avait surmonté ses craintes et fait un tour de la bâtisse afin de vérifier qu’elle ne risquait pas de s’écrouler et qu’elle ne recélait pas de mauvaise surprise.
Il proposa ensuite de s’installer dans la pièce principale, au rez-de-chaussée, pour prendre un léger repas, malgré la faim qui tenaillait tout le monde.
« C’est de la dalle qu’on va crever ! », se permit de pester le jeune Syphax.
Tout le monde était fourbu mais soulagé d’avoir trouvé un abri dans un lieu manifestement pas encore irradié. En tous cas, les végétaux autour de la maison semblaient normaux et plein de vie.
Tancrède avait obtenu le droit d’emmener avec lui une enceinte. Il se proposa de diffuser un peu de musique pour les relaxer. Son choix se porta naturellement sur les chansons d’Aria Lyra. Dès les premières notes, Vanya se crispa et devint boule de nerfs à vif.
« Ah non, pas celle-là ! », hurla-t-elle à plein poumons. Tancrède sursauta et coupa immédiatement l’amplificateur, les yeux tout ronds et la bouche entrouverte.
« Qu’est-ce qu’il y a ? », demanda Syphax. « Tu n’aimes pas Aria Lyra ? »
« Non, je la déteste ! Sa musique, c’est de la merde, et elle, c’est une conne ! »
Syphax fut sidéré de tant de grossièreté de la part de celle qu’il prenait jusqu’ici pour une princesse.
Tancrède fut tellement soufflé qu’il ne trouva rien d’autre à dire que « Ok…ok…Je coupe, de toute façon nous avons tous besoin de dormir… ».
La bonne humeur n’y était plus mais avait-elle jamais été là d’ailleurs. En tous cas, un semblant de calme revint et les esprits s’apaisèrent autant que cela fut possible dans ces circonstances.
Seule Glydis paraissait toujours plongée dans la perplexité. Elle lançait des regards anxieux autour d’elle, comme si le diable en personne allait surgir de derrière un mur.
« Glydis, qu’est-ce que tu as ? », demanda Vanya, qui n’avait pas ouvert la bouche depuis des heures.
« Rien, rien… Je ne me sens pas très bien, c’est tout. Quelqu’un veut ma part ? »
« Oh oui, moiiii !!! »
Ce cri enthousiaste provenait de la gorge de Syphax.
« Je vais aux toilettes »
Glydis se leva, sortit de la maison et disparut derrière le bâtiment.
Les autres s’échangèrent des regards interrogatifs.
Glydis sentit l’air frais lui fouetter le visage. Elle respira à fond.
Le vent soufflait une légère brise qui venait se briser dans les branches des arbres environnants en provoquant un léger hululement semblable à celui d’une chouette.
Après avoir vérifié que personne ne la regardait, elle s’accroupit dans l’humble position de ’'accomplissement des besoins naturels. Quand ce fut fait, elle éprouva un froid intense et soudain. Quand elle voulut se relever, elle le vit. Il la regardait droit dans les yeux, posté bien droit à quelques mètres d’elle. Son regard était intense et ténébreux. Une ombre, une forme translucide et fantomatique. Elle hurla et ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, il avait disparu.
Tancrède et les autres déboulèrent d’un coup.
« Glydis, que se passe-t-il ??? »
Elle tremblait de peur et de nervosité.
« Quelqu’un…quelqu’un me regardait… »
Tancrède fit le tour de la maison mais ne vit personne.
« A quoi ressemblait-il ? », demanda Vanya. Marmousette courait tout autour d’elle, une souris en gueule.
« Je…je ne sais pas… Il était grand, il était sombre, il était froid comme la glace… »
« Froid ??? »
« Comment tu peux savoir qu’il était froid ? », dit Syphax. « Tu l’as goûté ? » Cette dernière remarque, dans le cas de Glydis, ne manquait pas de piquant, mais bien sûr le jeune homme ne l’avait pas fait exprès et ne compris pas l’allusion qu’il avait lui-même déclenchée. De toute façon, personne n’avait le cœur à rire.
« Glydis… », dit Tancrède d’un ton un peu exaspéré. « Nous sommes tous fatigués et je crois que tu prends tes craintes pour des réalités. Viens te coucher et repose-toi. »
Comme une fille obéissante qu’elle n’était pas d’habitude, elle s’exécuté.
Ils se réfugièrent dans une chambre à l’étage. Les fenêtres étaient encore en place et bien fermées, de sorte qu’ils étaient protégés du vent et du froid de la nuit. Tancrède ne dormirait que d’un œil pour assurer leur sécurité à tous. Etant le seul homme adulte du groupe, il se sentait obligé de veiller sur eux, reconnaissant que ce point de vue pouvait paraître un tantinet rétrograde.
Un instant plus tard, il ronflait du sommeil du juste. La seule qui ne dormait pas, c’était Glydis. Même le chat s’était assoupi, enveloppé dans les bras de son humaine.
Glydis écoutait attentivement le moindre craquement de plancher, observait la moindre ombre dansante se reflétant sur la vitre.
Soudain, elle se figea. Les craquements s’étaient faits réguliers et provenaient de l’escalier. Quelqu’un les montait.
L’épouvante se fit en elle et elle imagina déjà un tueur venu pour les trucider et les dépouiller. Peut-être un autre groupe de condamnés les avait-il déjà repéré et s’apprêtait-il à les éliminer pour avoir les faveurs exclusives de la Grande Adoratrice ?
Ne voulant pas succomber sans combattre, elle s’apprêta à se redresser pour leur faire face quand les craquements cessèrent d’un coup, d’un seul. Elle s’engagea dans la cage d‘escalier, tentant de ne réveiller personne par ses pas de hyène.
Elle refit le tour de la maison et ne sentit aucune présence. Elle souffla intérieurement de manière discordante et se sentit soulagée comme une petite noix qui se sait sur le point d’éclater.
Rassurée, elle se remit en marche pour l’ascension de l’étage quand elle entendit un souffle, une respiration, un signe de vie tout près d’elle, là, dans la pièce. Des chuchotements, des rires lointains et pourtant très proches.
Paniquée, elle grimpa les marches quatre à quatre et se plongea dans la couette qui lui avait été fournie, de même qu’aux autres, par la Grande Adoratrice dans son incroyable générosité.
Malgré ses précautions, elle parvint à réveiller tout le monde, y compris Tancrède qui, d’ordinaire, était capable de s’endormir à côté d’un élan en rut.
En un instant, tout le monde fut assis dans son sac de couchage chauffant, la veilleuse de Tancrède allumée.
« Glydis, allons, que se passe-t-il encore ??? », la gronda-t-il.
« Il y a quelqu’un, je vous jure qu’il y a quelqu’un !!! », asséna-t-elle comme si sa vie en dépendait.
Tout le monde poussa un soupir d’exaspération et lui jeta un regard noir.
« Tu es en manque ou quoi ? », osa Vanya. La gifle partit d’un coup.
« AÏE, TU ES FOLLE ??? »
« Je t’interdis de me parler comme ça, tu m’entends ??? »
« SALE TRUIE, JE VAIS T’APPRENDRE A QUI TU AS A FAIRE !!! »
Et elle se jeta sur elle, la griffant, la mordant, tentant de lui déchirer son ensemble de nuit bleu nuit.
Syphax et Tancrède tentèrent de les séparer. Marmousette s’enfuit à toutes pattes.
« Mais arrêtez, arrêtez bon sang !!! », tempêta notre thérapeute par les vies antérieures.
« Mais oui, arrêtez ! »
Tout se figea.
Cette voix ne provenait d’aucun d’entre eux.
Ils regardèrent tous dans la même direction et virent un jeune homme adossé au mur face à la fenêtre, les bras croisés, qui les observait, manifestement avec amusement.
« Mais qui êtes-vous ? », demanda Tancrède d’une voix traînante et pâteuse. « Comment êtes-vous entré ici ? »
Il était impossible en effet qu’il se soit introduit dans la pièce sans bruit et sans passer ni par une porte ni par une fenêtre. Or, ces deux issues avaient toujours été à portée de vue. S’il était passé par là, quelqu’un l’aurait vu, c’était certain.
L’air était glacial et chargé d’électricité.
Tancrède, Glydis, Syphax et Vanya crurent cauchemarder lorsqu’ils réalisèrent, tous en même temps, que l’on voyait le mur de briques par transparence derrière la silhouette.
Celle-ci se mit à rire, puis disparut.
Glydis poussa un cri horrible et s’effondra.
« Vous l’avez vu ? Je ne suis pas folle, hein, je ne suis pas folle ? »
« Mais non, ce n’est pas possible, il doit s’agir d’une hallucination collective », tenta d’analyser Tancrède. « Ça doit être à cause des radiations ».
« Nulle radiation ici et vous ne rêvez pas », dit une voix caverneuse.
Tout le monde se précipita au rez-de-chaussée. Vanya la première s’empara de la porte de la porte principale et commença à l’ouvrir quand soudain, elle lui échappa et se referma brutalement et avec grand fracas.
Tout le monde cria et remonta en un instant. Ils se resserrèrent en un groupe compact au milieu de la pièce qu’ils avaient choisi comme dortoir commun.
Les bruits de pas dans l’escalier recommencèrent. La peur de mourir s’insinua en eux.
L’ombre s’introduisit arriva sur le palier et s’introduisit lentement dans la pièce, l’air grave.
« Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ??? », cria Tancrède, prêt à en découdre malgré son pyjama ridicule et ses cheveux en bataille.
« Vous emmenez au royaume des morts », dit d’une voix calme et funèbre l’ombre qui s’avança vers eux, les bras tendus et les yeux exorbités.
Tous se mirent à crier. Quand tout à coup, un éclat de rire résonna.
C’était le fantôme.
« Non mais, vous verriez vos têtes !!! »
Si un photographe avait fixé la scène, il aurait capturé l’image de quatre ahuris regardant fixement devant eux.
« N’ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal. C’est promis juré »
« Mais vous êtes qui ? », redemanda Vanya.
« Je m’appelle Mickaël »
« Et vous êtes un fantôme ? », demanda Syphax d’une voix fébrile.
« On peut m’appeler comme ça mais on peut aussi me nommer esprit, orbe, âme errante. Fantôme, ça sonne bien. »
« Mais non, ce n’est pas possible, les fantômes, ça n’existe pas. », objecta Tancrède.
« Dit celui qui a des visions du passé des gens », répondit d’un air taquin le dénommé Mickaël.
« Comment le savez-vous ??? »
« Je sais beaucoup de choses sur vous. Mais je ne trahirai pas vos petits secrets », compléta-t-il dans un murmure et un clin d’œil.
Devant l’incongruité de la situation, tout le monde se détendit.
Le groupe était maintenant bien réveillé. Le jour n’allait pas tarder à paraître.
« Alors, c’est vrai, vous êtes réellement un fantôme ? », s’exclama Syphax.
« Il y a donc vraiment une vie après la mort ? », s’interrogea Vanya.
« En tout cas, je suis là, devant vous. », répondit l’esprit. « Me matérialiser devant vous me demande beaucoup, beaucoup d’énergie, et je ne vais pas pouvoir rester encore longtemps. Je suis un gentil fantôme, vous n’avez pas à avoir peur de moi. »
Glydis retrouva enfin sa dignité, d’autant que le Mickaël en question, malgré sa situation de spectre, n’était pas désagréable à regarder. Elle aurait bien voulu le connaître se son vivant.
« C’était votre maison ? », demanda-t-elle.
« Et oui, jusqu’à la guerre et cette explosion qui a tout dévasté »
« Vous voulez dire que le souffle de l’explosion atomique est parvenu jusqu’ici ? »
« Non, nous sommes en zone non irradiée. Si la maison est en si piteux état, c’est juste à cause de l’abandon et des visites de voleurs. Comme vous le voyez, tout le mobilier a disparu. Mes affaires », acheva-t-il d’un ton rageur.
Sa voix était discernable mais semblait robotique et comme sortie d’outre-tombe.
« Mais il y a une chose qu’ils n’ont pas vu. Venez avec moi. »
Sans marcher mais en planant au-dessus du sol, il les mena à l’autre pièce du rez-de-chaussée, celle qui avait dû être la cuisine. Un parquet en ornait le sol.
Il se posta à un endroit précis, à l’un des coins de la salle. « Approchez-vous »
D’un pas hésitant, Tancrède s’exécuta.
« Accroupissez-vous »
Une fois accroupi, Tancrède fixa le parquet et parvint, à la faible lueur du jour naissant, à distinguer les limites d’une trappe.
« Appuyez sur cette latte, oui, celle-ci »
La trappe s’entrouvrit. Tancrède la fit apparaître complètement.
Un escalier menait à une pièce secrète, en sous-sol.
« Je ne vais plus pouvoir rester visible longtemps », dit Mickaël visiblement épuisé.
« Descendez ».
Était-ce un piège, était-ce un rêve ?
Syphax ne se posa pas la question et descendit en trombe après avoir bousculé Tancrède.
« Syphax », cria-t-il en tendant le bras droit dans le vide.
Tancrède n’eut d’autre choix que de s’engouffrer à son tour, suivi peu après par Vanya et Glydis.
Cette cave n’était pas très vaste, environs 4 mètres sur 7. Les torches électriques dévoilèrent des étagères remplies de tout un fatras. Mickaël n’était plus là, mais sa voix se faisait encore entendre, de plus en plus faible cependant. Soudain, une orbe lumineuse s’introduisit à travers la trappe et vint les rejoindre. Ils surent que c’était Mickaël.
« Ecoutez-moi bien avant que je ne disparaisse tout à fait. Vous voyez ces petites pilules jaunes, là ? »
Ils acquiescèrent.
« Elles sont faites d’antinucléides, d’antioxydants et de stabilisateurs de l’ADN. »
« Et … ? »
Soupir. « En gros, elles protègent des radiations nucléaires. Il y en a assez pour vous tous et pour un temps relativement long, je dirais plusieurs semaines, le temps que vous accomplissiez votre mission. Une par jour et par personne. »
Tancrède et Glydis fourrèrent les bocaux dans leurs sacs respectifs.
« Ensuite, la carte, plus loin. »
Un vieux morceau de papier gisait sur une planche à moitié vermoulue. Vanya s’en empara et la déplia délicatement.
« Qu’est-ce que c’est ? »
Une carte type militaire avec un réseau de points reliés entre eux et formant une ligne brisée mais convergeant vers le centre.
« C’est une carte de la Réserve. Au centre, c’est ce qui fut le palais du Roi Kentaurus. Les points… ce sont les Sphères… »
« Comment ? Qu’avez-vous dit ? », lui dit Tancrède car la voix de Mickaël se faisait de plus en plus faible.
D’une voix plus sonore, il reprit : « Ce sont les Sphères. Les dômes dans le dôme construits par les habitants des pays détruits par la guerre et qui forment aujourd’hui la Réserve. »
Glydis eut peur de comprendre : « Les habitants ? Tu veux dire que des gens des anciens Etats ont échappé à la météorite et à l’explosion ? »
« Oui, c’est bien ça. Prévenus de l’imminence de ces catastrophes, ils se sont mis à l’abri puis, en suivant les plans de Kentaurus, ils ont construit ces sphères où la vie a pu reprendre. »
« Comment est-ce possible ? », se dit-elle comme pour elle-même, abasourdie par cette révélation.
« Pour avoir accès au secret de Kentaurus et sauver ce monde de la destruction par le soleil, il vous faudra traverser ces sphères et négocier avec ses habitants. Ce ne sera pas toujours facile. L’isolement en a rendu plus d’un…disons étranges… »
« Négocier, comment ça négocier ? », répéta Tancrède.
« Suivez le plan, ne vous en écarter pas, et tout ira bien. Mais attention, entre les sphères, le danger est partout. Sous les sphères, vous serez protégés, mais le territoire non couvert reste fortement irradié, même des décennies après. Grâce aux pilules, vous ne risquez rien, mais d’autres n’ont pas eu cette chance et ces territoires de l’entre-deux sont devenus des repaires de mutants et autres monstruosités. »
Il avait l’air de vraiment peiner pour parler. Vanya ne savait pas qu’un esprit pouvait souffrir et elle en fut très étonnée.
« Maintenant que vous savez tout, partez. Bonne chance à vous. Je vous accompagnerai, mais là, je dois reprendre des forces. »
Glydis, que le doute rongeait depuis un moment, intervint.
« Attends Mickaël. Les souffles, les murmures que j’ai entendu au rez-de-chaussée, c’était bien toi ? »
« Non ».
Elle en était sûre. D’autres entités étaient présentes, beaucoup moins bien intentionnées celles-ci.
D’ailleurs, des coups se mirent à retentir dans les murs.

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