Kaelan se sentait seul, avait un fardeau et il voulais le partager avec son ami d’enfance, Alaric. Depuis qu’il était rentré de la guerre, il n’avait pas put le joindre. Et peut être que la nouvelle de sa mort avait été colportée….
Son ami était Prince dans la contrée de Bourg-Sainte-Claire, dans le royaume Vendoria.
À l'ouest d'Eldoria s'étendait ce royaume, une terre plus ouverte sur le monde, bien que souvent en désaccord frontalier avec Eldoria sur des questions de terres et de routes commerciales. Le Prince Alaric de Vandoria, héritier de cette lignée, était connu pour son esprit vif, sa curiosité insatiable et une beauté qui transcendait les genres, capable de charmer tout être vivants.
Les rencontres entre les deux royaumes, séparés par le fleuve d’Argent, étaient rares, souvent tendues, mais parfois nécessaires. C'était lors d'une de ces rares occasions – une négociation de traité de paix tenue sur les terres neutres entre Eldoria et Vandoria – que Kaelan, faisant partie de la garde d'honneur Eldorianaise, avait croisé le regard du Prince Alaric. Un échange silencieux, une connexion fugace mais indéniable, s'était établie au-delà des bannières et des gardes.
À cette époque, dans les royaumes aussi pieux et rigides d’Eldoria, une telle attirance, si elle avait été connue, aurait été perçue comme la plus sombre des hérésies, une abomination contre Dieu et la nature, passible des pires châtiments. C'était un secret inavouable, une flamme naissante dans l'ombre des préjugés, qui devrait être étouffée avant même de pouvoir brûler. Mais le destin, et désormais « l'immortalité » de Kaelan, avaient d'autres plans.
Au-delà des bois d'Eldoria, par-delà la colline des sept lieux, du grand pont de pierre qui traversait le fleuve Argent, que seuls les marchands audacieux et les messagers royaux osaient franchir régulièrement, s'étendait le Royaume de Vandoria. Une terre de contrastes frappants avec l'austère Eldoria. Vandoria était plus ouverte sur le monde, versée dans les arts, la science et le commerce. Sa ville était un carrefour animé, où les universitaires débattaient de philosophie et où les artisans créaient des merveilles que les Eldorianais considéraient avec suspicion. Si Eldoria était ancrée dans la tradition et la piété stricte, Vandoria se distinguait par une approche plus nuancée de la foi, tolérant une diversité d'idées et de pratiques, bien que toujours sous l'égide de l'Église. Leur cour était plus raffinée, plus encline aux banquets fastueux et aux tournois que leurs voisins.
C'est de ce royaume que venait le Prince Alaric de Vandoria, l'héritier du trône. Âgé de 22 ans, Alaric était d'une élégance rare, avec des cheveux sombres qui encadraient un visage aux traits fins et des yeux d'un bleu profond, vifs d'intelligence et d'une curiosité insatiable. Contrairement à la rigidité souvent observée chez les nobles de son rang, Alaric possédait un esprit libre et une sensibilité artistique. Il était connu pour sa passion des poèmes et des étoiles, des sujets qui auraient été considérés comme frivoles ou même suspects à la cour d'Eldoria. Sa beauté n'était pas seulement une affaire de traits réguliers, mais émanait d'une aura d'empathie et d'une force tranquille qui attirait les cœurs.
Leur rencontre, Kaelan et Alaric, avait eu lieu lors de négociations de traité de paix tendues entre les deux royaumes, sur des terres neutres. Au milieu des armures étincelantes et des visages impassibles des diplomates, leurs regards s'étaient croisés. Il y avait eu, entre le chevalier eldorianais endurci par les batailles et le prince vandorien aux allures d'érudit, une étincelle silencieuse, une reconnaissance mutuelle que ni l'un ni l'autre n'avait jamais ressentie. C'était une attraction pure, instinctive, et pourtant si profondément interdite par les mœurs de l'époque que l'idée même de la nommer était une hérésie. Une telle relation, entre deux hommes, aurait été condamnée avec la plus grande ferveur, considérée comme une abomination aux yeux de Dieu et des hommes. C'était un secret né d'un instant, et qui, Kaelan le savait, ne pourrait jamais s'épanouir au grand jour.
L'Invitation Discrète
Les jours se fondaient les uns dans les autres pour Kaelan, une succession d'heures et d'activités dénuées de l'épuisement habituel, mais chargées d'une solitude grandissante. Le poids de son secret commençait à le ronger, chaque rire partagé, chaque conversation anodine lui rappelant le gouffre qui le séparait désormais du reste de l'humanité.
C'est dans cette solitude oppressante que son esprit se tourna, inévitablement, vers le Prince Alaric. Alaric, avec ses yeux vifs et son esprit curieux, était le seul dont le souvenir ne portait pas le fardeau de sa nouvelle condition. Au contraire, il représentait une porte, une possible échappatoire à l'isolement glacial. Leur connexion, bien que dangereuse et inavouable, était la seule chose qui lui semblait encore réelle, la seule source de chaleur dans l'obscurité grandissante.
Une nuit, alors que le château dormait et que la lune projetait de longues ombres sur la cour, Kaelan s'isola dans ses quartiers. À la lueur d'une chandelle, il prit une fine feuille de parchemin et une plume. Il ne pouvait pas écrire ce qu'il ressentait, pas plus qu'il ne pouvait écrire la vérité de sa condition. Il rédigea donc un message court, utilisant la phraséologie convenue qu'ils avaient établie lors de leurs rares rencontres diplomatiques :
« À l'illustre Prince Alaric de Vandoria.
Ayant des affaires urgentes à débattre concernant les pâturages frontaliers, je me trouverai demain à midi au « Chaudron Fumant » de Bourg-Sainte-Claire. Votre présence serait fort appréciée pour éclaircir ces points. L'honneur d'Eldoria en dépend.
Avec le plus profond respect,
Sir Kaelan Valois de Silvanus »
Un message anodin pour quiconque d'autre, mais pour eux deux, c'était un appel. Les "pâturages frontaliers" et "l'honneur d'Eldoria" étaient leurs mots de code pour un besoin de se voir, de partager un moment loin des regards trop curieux des cours royales. Kaelan attacha le parchemin à la patte d'un pigeon voyageur qu'il conservait dans sa volière privée, un privilège de sa fonction. L'oiseau s'envola dans la nuit, portant l'espoir fragile d'une connexion dans le vaste et dangereux ciel.
Le lendemain, Kaelan se prépara pour le rendez-vous. La taverne du "Chaudron Fumant" était un établissement bruyant et populaire de Bourg-Sainte-Claire, connu pour son hydromel fort et son ambiance animée. C'était l'endroit idéal pour une rencontre publique, où deux nobles pouvaient discuter "affaires" sans éveiller de soupçons excessifs. En effet, Kaelan et Alaric avaient déjà eu l'occasion de se croiser ainsi, sous le regard indifférent des villageois affairés et des pèlerins de passage, échangeant des banalités politiques en apparence, tandis que des regards volés et des sourires furtifs trahissaient leur véritable lien.
Kaelan savait que le risque était toujours là, dormant sous la surface, mais le besoin de se sentir moins seul, moins monstrueux, était devenu impérieux. Le temps des subterfuges était une nécessité, mais l'approche de cette rencontre, bien que déguisée, lui insufflait une vitalité qu'il n'avait plus ressentie depuis l'éclair dans la Forêt Maudite.
Malgré le bouleversement de sa "résurrection", Kaelan était obsédé par l'idée de rencontrer Alaric. Le besoin de partager ce fardeau indicible, cette vérité monstrueuse, l'appelait plus fort que tout.
Le matin venu, il parti, enveloppé dans une cape pour masquer son apparence étrangement robuste et simuler une convalescence, Kaelan se dirigea vers le "Chaudron Fumant". La taverne était bruyante, emplie de rires gras et de discussions animées. Il repéra Alaric, assis à une table dans un coin un peu plus discret, l'air serein malgré les bruits environnants. Le Prince de Vandoria portait des vêtements de voyage discrets, mais la finesse de ses traits et la dignité de son maintien le distinguaient des villageois.
Leurs regards se croisèrent. Un sourire éclaira le visage d'Alaric, un sourire de contentement a la fois chaleureux et authentique. Kaelan sentit son cœur qui battait fort, s'emplir d'une émotion étrange. Il s'approcha, sa démarche feignant encore une légère faiblesse.
"Prince Alaric," salua Kaelan, sa voix un peu plus grave qu'à l'ordinaire, les répercussions de sa "mort" et de sa résurrection artificielle.
"Sir Kaelan," répondit Alaric, son regard balayant Kaelan de la tête aux pieds avec une inquiétude à peine voilée. "J'ai reçu votre message... J'avoue que la nouvelle de votre accident m'a profondément troublé. Et votre... rétablissement est pour le moins... surprenant. Comment est-ce possible ?"
Kaelan s'assit face à lui, le regard lourd de ce qu'il devait révéler. La puanteur de la sueur et de l'hydromel dans la taverne semblait amplifiée, presque insupportable à ses sens aiguisés. Il baissa la voix, son regard ne quittant pas celui d'Alaric, cherchant une compréhension qui pouvait ne jamais venir.
"Alaric," commença-t-il, un nom qu'il prononça avec une intimité inhabituelle, "ce n'est pas un miracle comme les prêtres l'entendent. Ce qui m'est arrivé dans la Forêt Maudite... et ce qui m'est arrivé hier... C'est bien plus ancien que le temps des hommes. Bien plus terrifiant. Je... je ne suis plus un homme comme les autres." Il marqua une pause, les mots pesant lourdement dans l'air. "Je suis mort, Alaric. Et je suis revenu. Et je pense... je pense que je ne mourrai plus jamais."
Le silence s'abattit sur leur petite table, le vacarme de la taverne semblant s'évanouir. Le regard d'Alaric était intense, un mélange de stupéfaction et d'une curiosité presque douloureuse. Kaelan attendait la peur, le dégoût, l'horreur. Il attendait le jugement.
Le Poids du Secret Partagé
Le brouhaha de la taverne reprit ses droits, mais pour Kaelan et Alaric, le monde extérieur s'était éteint. Le Prince de Vandoria écouta, son visage habituellement serein traversé par une succession d'émotions : incrédulité, puis une lueur de fascination, et enfin, une profonde gravité. Il ne réagit pas avec la peur panique que Kaelan avait anticipée, pas le dégoût religieux, mais une sorte de reconnaissance silencieuse, comme si une pièce du puzzle s'était enfin emboîtée.
"Immortalité," souffla Alaric, le mot lourd de sens, presque une incantation. Son regard sonda Kaelan, non pas avec suspicion, mais avec une curiosité intense, celle d'un esprit qui cherche à comprendre l'incompréhensible. "Un fardeau plus lourd que n'importe quelle couronne, je l'imagine."
Kaelan hocha lentement la tête. "C'est une prison, Alaric. Une prison de chair et d'esprit. Je ne sens plus la fatigue, la faim, la soif ne me tourmente plus comme avant. Et la douleur... elle vient, puis elle s'évanouit comme un mauvais souvenir. Mais cette solitude... ce sentiment d'être à jamais déconnecté de tout ce qui est humain, c'est l'horreur la plus pure." Il lui expliqua ensuite la façade qu'il devait maintenir. "Je leur ai dit que c'était un miracle divin. La grâce de Dieu. Dans ce monde, nous n'avons pas le choix. C'est ça ou le bûcher."
Alaric acquiesça, son regard sombre. Ils étaient tous deux des esprits éclairés, des hommes qui, au fond d'eux-mêmes, ne croyaient guère aux dogmes et aux superstitions religieuses qui régissaient la vie quotidienne de leur époque. Ils respectaient la puissance de l'Église, comprenaient la nécessité des croyances pour maintenir l'ordre et apaiser les foules, mais ils n'étaient pas dupes de l'hypocrisie des prêtres, de leur soif de pouvoir déguisée en dévotion. Ils avaient, chacun à leur manière, appris à déjouer les tours de l'Inquisition, cette force insidieuse qui veillait sur l'orthodoxie avec une cruauté implacable. Pour Kaelan, la simulation était devenue une seconde nature ; pour Alaric, la diplomatie et l'érudition étaient ses boucliers.
"C'est la seule voie," affirma Alaric, la voix basse. "Dans un monde où la moindre singularité est un signe de damnation, la prudence est notre seul salut." Il réfléchit un instant, ses doigts tambourinant doucement sur la table. "Vous dites ne pas pouvoir expliquer ce qui vous arrive. Mais peut-être que d'autres, avant vous, ont vécu une telle chose."
Les yeux de Kaelan, habituellement si sombres, s'éclaircirent d'une lueur d'espoir fragile. "Que voulez-vous dire ?"
Alaric se pencha en avant, un secret dans le ton de sa voix. "Dans la Grande Bibliothèque, il y a un recueil. Un volume très ancien, dissimulé parmi d'autres parchemins obscurs. Il parle de mythes, de légendes oubliées. Une rumeur persistante, presque un murmure, évoquait une aventure similaire à la vôtre, une forme d'immortalité accordée par des forces primordiales, liées à des lieux de puissances anciens, comme des forêts... maudites."
Kaelan sentit un frisson parcourir sa nouvelle chair. La Forêt Maudite. L'éclair. C'était trop proche pour être une simple coïncidence.
"Je ne peux vous promettre de réponses," continua Alaric, "mais nous pouvons chercher. Si quelqu'un d'autre a marché sur cette voie, les échos pourraient être inscrits dans ces pages."
Un rare sourire étira les lèvres de Kaelan, un sourire qui n'avait rien de la tristesse ni de la résignation. C'était une lueur d'espoir, la première depuis l'éclair dans la forêt.
Ils vidèrent leurs chopes, le silence lourd de la gravité de leur découverte et de la promesse d'une quête commune. Alaric régla leur modeste compte d'un geste de la main. Puis, sous les regards indifférents des clients du "Chaudron Fumant", ils sortirent. Dehors, les chevaux attendaient. Ils montèrent en selle et ils chevauchèrent la prairie en direction de la Grande Bibliothèque, vers les secrets que les siècles avaient enfouis, et peut-être, vers une compréhension de la terrible malédiction de Kaelan.

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