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tome 1, Chapitre 1 « La Fronde » tome 1, Chapitre 1

♦ Le silence du laboratoire martien n’était interrompu que par le souffle régulier des ventilateurs de recyclage d’air. Le Dr Gabriel Rivera, le front barré de rides, fixait ses écrans, les yeux écarquillés. Les équations défilaient sur ses moniteurs, fruits d’une simulation théorique sur un graviton qu’il avait lancé la veille.

Il relut la dernière ligne de résultats une fois. Puis encore une fois, pour être sûr de n'avoir rien rêvé. Il se laissa finalement tomber contre le dossier de sa chaise, la gorge serrée.

– Non… c’est impossible… Laissa-t-il échapper, abasourdi .

Mais, la solution était là, obstinée et élégante. Les chiffres ne mentent pas : ses calculs montraient qu’en manipulant la densité d’un graviton, il devenait possible de générer un effondrement local de gravité. Un champ de supersymétrie, un repli de l’espace-temps. Théoriquement, du moins.

Son cœur battait si fort qu’il crut l’entendre résonner dans le silence du labo. Il recula, la chaise grinçant sur le sol métallique, et laissa échapper un rire sec, presque hystérique.

– Bordel de merde… 

Il relut encore les lignes de code, chaque terme des équations. Il avait toujours soutenu que la gravité n’était pas une limite, mais un levier. Et, maintenant, ses simulations le confirmaient : c’était possible. Peut-être pas demain, peut-être pas même de son vivant, mais possible.

– Je dois prévenir Iwang… 

Alors, il attrapa sa tablette, laissa en plan ses notes, et quitta le laboratoire à grandes enjambées. Les couloirs de la station étaient calmes, la nuit martienne filtrait par les minces hublots, une lueur froide et rassurante. Il n’avait pas le temps de s’arrêter, pas le temps de savourer le paysage.

Iwang, son collègue et ami, travaillait au centre d’astrophysique un peu plus loin dans la station. Rivera entra sans frapper, essoufflé, les yeux brillants.

– Iwang ! Il faut que tu viennes voir ça.

Son ami leva la tête, surpris.

– Gabriel ? Qu’est-ce qui se passe ? 

– Je crois… Je pense avoir trouvé une solution ! Tu sais ma théorie sur le graviton ? J’ai refait les modèles, retravaillé les équations… et j’ai obtenu une solution ! 

Iwang se redressa, fronçant les sourcils.

– Une solution ? Montre-moi.

Ils retournèrent dans le laboratoire. Rivera montra les formules, ligne après ligne, chaque étape de ses calculs. Il expliquait avec une fébrilité qui tremblait dans sa voix, ses mains dessinant des arcs et des boucles invisibles dans l’air.

– Regarde : si on arrive à isoler et chargé ce graviton, cela crée un repli. Pas une singularité, pas un trou noir, mais un repli de l’espace. Ça… ça pourrait être contenu, stabilisé !

Iwang lisait, silencieux. Les minutes passaient, chaque mot de Rivera tombant comme une goutte d’eau dans un étang. Finalement, il s’écarta de l’écran, se frottant le menton.

– Tu es sûr que ce n’est pas une erreur ?

– J’ai tout vérifié trois fois. Les marges d’erreur sont minimes. C’est cohérent, Iwang.

– Mais… 

– Il n'y a pas de “mais…” c’est un modèle cohérent ! Cela prouve que ce qu’on a toujours cru impossible est théoriquement faisable.

Iwang soupira, un sourire incrédule sur les lèvres.

– Gabriel, si c’est vrai… Tu viens de démontrer qu’on pourrait plier la gravité. Et générer un champ de supersymétrie local. 

Rivera hocha la tête, le regard fiévreux.

– Tu comprends ? Ce n’est pas seulement un rêve de physicien. Ce pourrait être un moteur, un moyen de transcender les limites de l’espace.

– Ou une arme, reprit-il, le regard glacial.

Un silence lourd tomba sur eux. Puis Iwang se mit à rire nerveusement.

– Putain, Gabriel. Si c’est vrai, on tient une information qui pourrait redéfinir toute la physique.

– Oui. Mais il faut qu’on en parle aux autres.

Quelques mois plus tard, ils se retrouvèrent dans un petit restaurant de la zone verte, au cœur de la capitale terrienne. Un lieu chaleureux, tout en bois recyclé, où les serveurs évoluaient avec une discrétion presque irréelle. À leur table, plusieurs collègues et amis.

Il y avait Eda, une très jeune, mais également très brillante mathématicienne. Malik Sorello, un ancien ingénieur spécialisé en structures orbitales et plus vieux amis communs des deux chercheurs également présents. En revanche, celle qui était la plus attendue pour cette présentation était Leena, une astrophysicienne, dont les travaux sur les ondes gravitationnelles faisaient déjà autorité. Tous portaient la marque de la curiosité et de la prudence, des esprits affûtés par des années de recherches et de débats.

Rivera exposa ses calculs, la voix basse et passionnée. Iwang complétait, plus posé, s’assurant de chaque terme, chaque démonstration.

– C’est une solution purement théorique, disait Rivera. Cependant, elle est mathématiquement stable. Les contraintes de champ sont respectées, et les simulations donnent à chaque essai le même résultat. 

Leena fronça les sourcils.

– Mais ça ne reste qu’un modèle, Gabriel. Tu n’as aucune preuve expérimentale… 

– Je sais. Répondit Rivera. Toutefois, c'est un premier pas. Si c’est faisable dans un modèle, on peut chercher les conditions pour le réaliser un jour. 

La jeune mathématicienne intervint, ses yeux pétillants d’excitation.

– Ces équations… elles pourraient être adaptées pour un champ de confinement.

Leena repris juste après,

– En effet, c’est encore lointain, mais si on stabilise l’énergie gravitationnelle, et qu'on la dirige dans une direction précise, on pourrait peut-être… 

Le vieil ingénieur, jusque-là silencieux, posa son verre.

– Si c'est possible, dit-il gravement, on pourrait en faire un propulseur. Ou plutôt une sorte de… fronde gravitationnelle. 

Rivera resta immobile, les mots résonnants dans son esprit.

– Une fronde… répéta-t-il.  Oui… une fronde gravitationnelle. 

– Il faut présenter ça au Conseil, dit Sorello. Si tes calculs sont sans erreurs, tu viens de poser la première pierre d’une révolution. 

– Ils le sont. Affirma d'un ton clair Rivera, ne laissant aucune place au doute.

Le reste de la soirée fut un tourbillon de discussions et de débats. Certains craignaient les risques, la démesure d’un tel projet. Mais, tous savaient qu’une porte venait de s’ouvrir.

Rivera rentra seul, cette nuit-là. Il traversa les avenues éclairées de la capitale, le regard levé vers le ciel sombre.

Une fronde gravitationnelle… Son esprit était en feu.

Les jours qui suivirent furent un tourbillon de calculs, de débats et de nuits blanches. Le laboratoire, qu’ils avaient tous réaménagé pour l’occasion, était devenu leur monde : un espace saturé de notes, d’écrans clignotants et de tasses de café tiède.

Ils dormaient là, sur des lits de fortune, se relayaient pour les rares heures de repos qu’ils s'octroyaient.

– Regardez ces termes croisés, murmura Eda.

Ses doigts tremblaient légèrement en griffonnant sur le tableau qu’ils avaient dressé dans un coin du labo. Si on ne les neutralise pas, la simulation s’effondre. Ça s'auto annule, tout s’écroule.

– Oui, dit Malik d’une voix pâteuse, décollant à peine les yeux de son terminal.  Mais la structure que tu proposes… elle n’est pas viable avec les matériaux qu’on maîtrise. Même avec les composites qu’on a, ça ne tiendrait pas. 

– Il faudrait la redimensionner,changer complètement le matériau, ou bien... Ajouta-t-il en tapant furieusement sur son clavier.

– Ou bien la placer plus loin, compléta Leena, assise en tailleur sur une caisse de transport, la tablette sur ses genoux. Hors de toute interférence gravitationnelle. Mars elle-même perturberait trop les lignes de champ. 

Eda soupira, haussant les épaules.

– Alors, on déplace le problème ? Où pourrait-elle être construite ? Dans l’espace profond, après la ceinture de Kepler ? C'est bien trop loin !

L’ingénieur esquissa un sourire amer.

– C’est ça ou accepter que ça ne marche pas. Tu as dit toi-même qu'à la moindre variation de gravité fait sur nos tests, l’équilibre s’effondre. 

Leena se pencha en avant.  

– Si on la place au-delà de l’influence directe d’une planète, on pourrait obtenir un environnement presque neutre. Le seul endroit possible, ce serait…

Elle fit une grimace, en réfléchissant.

– Entre Saturne et Uranus peut-être. Là bas la gravité est plus stable.

– Une mégastructure… dans l’espace interplanétaire ? S’écria Eda.  C'est mieux, mais ça nous dépasse complètement !

– Peut-être, dit Malik, ses doigts continuant de frapper le clavier.  Pourtant, c'est la seule solution si on veut maintenir la stabilité du champ de supersymétrie. 

Le silence retomba un instant. On entendait seulement le ronronnement des serveurs et des ventilateurs.

Rivera, qui avait observé, intervint à son tour, la voix grave.

– Ça ne nous dépasse pas. Ça nous oblige à penser plus grand. La fronde stellaire… si elle est possible, elle doit être parfaite.

Les mois passaient, et les marges d’erreur s’affinaient, les modèles se stabilisaient. La fronde stellaire, ce mot qu’ils chuchotaient du bout des lèvres, prenait forme dans leurs esprits enfiévré. Gabriel la voyait déjà : une structure gigantesque ou le graviton projetterait l’humanité vers des étoiles encore invisibles.

Parfois, quand les autres dormaient, il restait seul, assis dans un coin du laboratoire, ses coudes appuyés sur ses genoux, le regard perdu dans les lignes de ses carnets. Ses doigts traçaient encore et encore des équations, des hypothèses qu’il n’osait pas encore partager. Il y avait des nuits où il doutait. Où l’ampleur de ce qu’ils tentaient de bâtir lui paraissait insurmontable.

Mais chaque fois, au petit matin, il retrouvait la force dans les regards de ses collègues, dans l’acharnement qu’ils mettaient à chaque ligne de code, chaque test, chaque courbe d’équation.

Et ainsi, après des semaines de calculs et de nuits blanches, vint le moment pour l’équipe de franchir la barrière la plus intimidante : obtenir une audience auprès du Conseil de la Terrian Commonwealth.

C’était un passage obligé, et tout sauf simple. Depuis la Grande Guerre qui avait mené à l’unification planétaire, le gouvernement mondial s’était doté d’une structure administrative lourde, complexe, pour éviter que des projets dangereux ou trop ambitieux ne viennent pas troubler la fragile paix instaurée.

Rivera et ses collègues savaient que leurs équations n’étaient pas seulement une curiosité scientifique. La fronde stellaire, même sous sa forme théorique, pouvait être perçue comme une arme, une menace, ou au mieux, un risque colossal.

Alors, ils mirent au point un dossier méticuleux de presque 90 pages. Résumant : la logique mathématique de la fronde et la façon dont le champ de supersymétrie localisé pourrait être créé. Des annexes techniques  comme des modèles énergétiques, contraintes des matériaux, risques d’instabilité. Ensuite, surtout, un engagement clair sur l’usage pacifique du projet, qui était devenu obligatoire depuis les réformes imposées après la guerre.

Leena, dont les parents avaient participé aux premières négociations de paix, les aida à trouver le ton juste. Pas trop alarmiste, pas trop utopique non plus.

Malik et Eda peaufinèrent les projections, anticipant les questions de la commission.

Les jours d’attente furent interminables. Chaque heure passée à actualiser leurs messages semblait une éternité. Rivera se souvenait de ces veilles solitaires, à relire encore et encore les paragraphes qu’ils avaient soumis, à se demander s’il avait employé le bon mot, la bonne nuance.

Finalement, la réponse arriva.

“Votre demande a été jugée recevable. Une audience sera organisée le 15 Février 2072 pour une présentation préliminaire au Conseil, sous la supervision de la commission scientifique et de la commission éthique.”

Le premier obstacle était derrière eux. Le Conseil les écouterait l’année prochaine.

♦ Le jour tant redouté Dr Gabriel Rivera s’avança vers le grand podium du conseil de la Terrian Commonwealth. Une salle majestueuse, baignée par une lumière douce filtrée à travers un dôme de verre teinté, où un silence oppressant enveloppait l’assemblée. Le sol, un assemblage élégant de pierre lisse et de céramique blanche, dessinait des spirales géométriques qui semblaient guider les pas vers le centre. Des panneaux de mousse végétale et de lianes ornementales encadraient la pièce.

Entre ces murs de verdure, des fresques lumineuses, réalisées en reliefs métalliques et projections dynamiques, racontaient l’histoire de l’humanité.

On y voyait d’abord les premières civilisations, des scènes de chasseurs nomades gravées en filigrane sur l’acier poli. Puis, dans un jeu de lumière changeante, les fresques glissaient vers les grandes cités portuaires, les ponts de fer de la révolution industrielle, et les cosmonautes de l’ère spatiale.

Un panneau central, baigné d’un halo bleuté, représentait la signature du Traité d’Unification, de nombreuses mains se joignant, une Terre vue de l’espace surplombant la scène.

C’était un rappel constant que la paix mondiale avait été chèrement acquise et que la curiosité ansi que la solidarité avaient forgé un nouveau destin pour l’humanité.

Plus loin, la fresque s’achevait par la conquête martienne : des silhouettes en combinaison, plantant le drapeau de la Terrian Commonwealth sur la poussière rouge, les visages tournés vers un horizon encore inconnu.

Au centre de la salle, un large podium circulaire en verre renforcé semblait flotter au-dessus du sol. Autour, les bancs des conseillers étaient disposés en éventail, leurs tablettes de verre irisé captant les reflets des fresques.

Rivera, debout au seuil de la salle, sentit la puissance de ces images. Elles n’étaient pas seulement des décorations. Elles étaient un serment : celui de poursuivre l’exploration, mais sans jamais oublier les leçons du passé.

Il inspira profondément, effleurant du regard le panneau de l’unification, puis avança vers le podium, le cœur battant à tout rompre.

– Mesdames et messieurs, membres éminents du Conseil, commença-t-il d’une voix assurée, qui résonna à l’intérieur de la majestueuse structure de verre.

– Je vous remercie de me donner l’opportunité de présenter le fruit de nos recherches. Mon équipe et moi croyons avoir découvert un moyen de propulsion qui pourrait révolutionner les voyages spatiaux, au-delà de tout ce que nous avons jamais osé imaginer.

Des murmures parcoururent l’assemblée. Les dignitaires, leurs visages à demi dissimulés derrière les reflets de leurs tablettes, se penchèrent pour mieux l’entendre, soudain captivés.

– Nous l’avons baptisée la Fronde Stellaire, poursuivit-il, ses yeux brillant d’une illumination à peine maîtrisée.

– Cette technologie permettrait à nos vaisseaux de franchir d’un seul bond les abîmes de l’espace, en utilisant la force de la supergravité elle-même. Elle ouvrirait des routes vers des systèmes stellaires aujourd’hui hors de portée.

Il fit un signe de la main, et les écrans intégrés au pupitre affichèrent des équations complexes se mêlaient à des schémas de modules et d’anneaux de compression gravitationnelle.

– Ensemble, nous avons travaillé sur la maîtrise de la densité gravitationnelle du graviton. En le stabilisant dans un champ de supersymétrie local, nous avons compris comment façonner un tunnel vers n’importe quelle destination.

Un conseiller, un homme grand aux tempes grisonnantes, l’interrompit d’une voix ferme.

– Dr Rivera, pouvez-vous nous expliquer, en des termes compréhensible par tous dans cette salle, ce qu’est ce… champ de supersymétrie localisé ?

Rivera hocha la tête, reprenant son souffle.

– Bien sûr. Imaginez que les forces qui gouvernent les particules sont comme les instruments d’un orchestre. Dans des conditions normales, la gravité joue une partition, l’électromagnétisme une autre. Mais la supersymétrie, c’est un langage commun à tous ces instruments. Nous avons travaillé à créer un environnement où ces forces deviennent synchrones.

Il fit une pause, choisissant soigneusement ses mots.

– Dans la théorie de la supergravité, on considère que la gravité peut se comporter comme les autres forces, si on la contraint dans un état spécial : un champ de supersymétrie localisé.

Une conseillère, le front plissé, s’avança.

– Et comment crée-t-on un tel champ ?

– C’est là que réside l’originalité de nos recherches, répondit Rivera, la voix vibrante. Nous manipulons un graviton, la particule hypothétique qui transmet la gravité, et le confinons à l’aide de structures de confinement avancées sur lesquelles il faudra encore travailler. Cela nous permetrait de plier l’espace localement, sans le creuser comme un trou noir, mais en le repliant. Dans ce champ, la gravité et les autres forces deviennent synchrones, créant une zone où l’espace lui-même peut être remodelé.

Le conseiller fronça les sourcils.

– Synchrones ?

– Oui. La gravité cesse d’être un obstacle. Elle devient un levier.

Apercevant leur confusion, il continua.

– Imaginez un lance-pierre : la gravité est l’élastique. Le champ de supersymétrie est la main qui le tend. En libérant la tension, on envoie la pierre; ou dans notre cas, un vaisseau. Et cela, bien au-delà de ce que la gravité permettrait normalement.

Un murmure parcourut la salle, mélange de fascination et de prudence. Il reprit d’un ton plus assuré.

– Concrètement, la fronde stellaire ne fait pas voyager plus vite que la lumière. Elle réduit la distance en repliant l’espace autour de l’objet. Comme un raccourci créé par la gravité elle-même. Et pour cela, nous avons compris que nous devrions construire la structure dans un environement quasi parfait, loin de toutes sources qui pourraient perturber l’effet.

Il traça un arc sur l’un des schémas projetés, désignant une orbite entre Saturne et Uranus.

– Si nous trouvons cet endroit, poursuivit-il, la voix pleine d’une ferveur vibrante, nous pourrons imaginer un avenir où nos vaisseaux atteindront des mondes lointains. Des planètes nouvelles et des ressources qui façonneront l’avenir même de l’humanité !

Un silence pesant s’abattit. Certains conseillers se penchaient, fascinés. D’autres échangeaient des regards, fronçant les sourcils.

La présidente du Conseil, une femme aux cheveux argentés relevés en un chignon impeccable, le fixa de ses yeux vifs.

– Dr Rivera, votre passion est évidente. Mais il nous faut mesurer les risques. La Terrian Commonwealth ne peut se permettre de soutenir un projet aussi colossal s’il est voué à l’échec.

Rivera hocha la tête, posant ses mains à plat sur le pupitre. Il parla non seulement pour lui, mais pour tous ceux qui avaient partagé ses nuits blanches.

– Je comprends vos craintes. Mais regardez autour de vous : dans moins d’un siècle, la Terre sera au bord de la saturation. Les grandes villes débordent déjà, et les écosystèmes sont sous tension permanente. Nous avons colonisé Mars, et c’est devenu notre capital scientifique. Un jour, Mars aussi ne suffira plus. Nous devons penser au-delà de nos frontières, pour assurer la pérennité de notre espèce.

Il marqua une pause, son regard brûlant d’une conviction inébranlable.

– La fronde stellaire n’est pas seulement un projet. C’est un bond en avant qui pourrait unir notre espèce comme jamais auparavant, et nous offrir un avenir là où la Terre et Mars n’en auront plus à nous donner !

Des applaudissements éclatèrent après les paroles de Rivera.

Puis un conseiller à la barbe poivre et sel, penché sur ses notes, leva la main.

– Dr Rivera, à quoi ressemblerait exactement cette mégastructure ? Et comment garantir qu’elle ne sera pas affectée par les fluctuations gravitationnelles ?

Rivera hocha la tête, son regard se faisant plus technique.

– Mon collègue et ami, Malik Sorello, a travaillé sur ce point. Il estime que pour ne pas perturber le champ de supersymétrie, la structure devra mesurer au minimum trois fois la taille maximale des vaisseaux qui y pénétreront. Voici la projection qu’il a calculée .

Il fit un signe, et un écran derrière lui s’illumina. Les formes complexes de la structure prenaient vie : un assemblage monumental d’anneaux et de modules, agencés en une étoile métallique aux bras massifs.

Il montra des modules, des bras télescopiques et d’autres éléments de la structure.

– Les modules de contrôle seraient intégrés aux parois, formant un champ parfaitement symétrique et isolé. C’est colossal. Mais c’est le seul moyen de garantir que le champ de supersymétrie reste stable, sans être perturbé par les masses extérieures ou les moindres variations gravitationnelles.

Une autre conseillere, captivé par les images, demanda avec curiosité :

– Et à combien de temps estimeriez-vous la construction d’un tel projet ?

Rivera soupira légèrement.

– Cela dépendra de l’effort collectif que nous déciderons d’y consacrer. Plus nous engagerons de ressources, plus vite la structure pourra prendre forme. Mais dans tous les cas… il faut être honnête : l’investissement matériel sera colossal, tout comme les bénéfices que cela apportera.

Il laissa ses yeux parcourir la salle, puis reprit d’une voix plus grave.

– Même avec un soutien sans faille, la construction s’étalera sur des décennies. Nous ne verrons probablement pas la fronde stellaire de notre vivant. Mais si nous commençons aujourd’hui, ce sont nos enfants, ou leurs enfants, qui pourront franchir ces nouveaux horizons.

Un murmure traversa l’assemblée : de l’admiration, mais aussi une prise de conscience des sacrifices que cela impliquerait.

La présidente du Conseil reposa ses mains sur son siège, ses yeux sombres fixés sur Rivera.

– Vous parlez d’une œuvre pour les générations futures, Dr Rivera. Êtes-vous prêt à défendre ce projet, malgré les critiques ?

Rivera se redressa, la voix ferme.

– Oui. Parce que je ne suis pas seul. Ce rêve, c’est celui de toute mon équipe. De tous ceux qui croient qu’au-delà de Mars, au-delà de la Terre, il existe un destin à bâtir pour l’humanité.

Le silence qui suivit sembla durer une éternité. Les conseillers, chacun plongé dans ses pensées, observaient les images de la fronde stellaire, les chiffres et les courbes de stabilité qui défilaient lentement sur les écrans. Ils comprenaient que ce n’était plus seulement une théorie ou une spéculation : c’était un plan, aussi fou qu’audacieux.

Rivera resta immobile, le regard fixé sur le Conseil. Il sentait la fatigue dans ses membres, le poids des nuits passées à vérifier, à recalculer, à recommencer sans fin. Mais il tenait bon. Il savait qu’il portait là un rêve collectif, et que même si les doutes subsistaient, il ne devait pas faiblir.

La présidente du Conseil se leva à nouveau, son regard parcourant l’assemblée.

– Avant de clore cette audience, j’appelle les membres du Conseil à se prononcer sur la suite à donner à ce projet. Le vote aura lieu à main levée. Ceux qui soutiennent la poursuite des recherches et le lancement d’une étude de faisabilité, levez la main.

Rivera, resté en retrait, retint son souffle. Il vit les premiers bras se lever, hésitants, puis d’autres, plus fermes.

Les voix contraires se comptèrent en silence. Il y avait des visages fermés, des regards sceptiques.

La présidente du Conseil hocha la tête, notant le résultat sur son terminal.

– La motion est adoptée. En ce Lundi 15 Février 2072, le projet de la “Fronde Stellaire” entre dans sa phase préliminaire. Sachez que ce que vous proposez dépasse tout ce que nous avons entrepris depuis la création de la Terrian Commonwealth. Il y aura des voix pour s’y opposer, et d’autres pour le soutenir. Si vous persistez, ce projet pourra changer à jamais notre rapport à l’univers.

Elle leva la main, et la séance fut levée. Les conseillers se dispersèrent lentement, leurs voix basses résonnant sous la coupole de verre. Rivera, toujours immobile, sentit son cœur battre plus fort que jamais.

Un membre s’approcha du centre.

– Dr Rivera, votre équipe sera convoquée par le Bureau de Coordination Scientifique et Technologique pour les prochaines étapes. D’ici là, continuez de travailler, et préparez-vous à défendre chaque chiffre.

Rivera inspira profondément, sentant une bouffée d’émotion envahir sa poitrine. Dehors, l’inconnu patientait, immense et plein de promesses.


Texte publié par Rainette, 16 juin 2025 à 19h42
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