Il faisait nuit à Poneyville. Le village était bien silencieux alors qu’une brise nocturne effleurait les feuilles des arbres environnants. Peu de bâtisses avaient encore leurs fenêtres d’allumées à mesure que les esprits s’assoupissaient pour rejoindre le royaume des rêves.

Le premier étage du Carrousel Boutique avait pour sa part ses lueurs bien actives. À l’intérieur, une licorne couleur ivoire s’affairait à la confection d’une robe sur sa machine à coudre. La finition de la robe était majestueuse, ses détails gracieux et audacieux.

Les sabots experts de Rarity faisaient toujours des merveilles. Elle qui avait ouvert des boutiques aux quatre coins d’Equestria, qui habillait les personnalités les plus prestigieuses, qui continuait de coudre elle-même ses nouvelles créations malgré le travail faramineux. Elle qui avait vu tant d’années s’écouler au fil de ses confections.

Son gramophone était allumé depuis plus d’une heure. La musique qu’il diffusait, au rythme feutré et jazzy, l’aidait à se concentrer sur sa couture, lui nécessitant une grande dextérité. Proche de l’appareil, son chat Opalescence était confortablement installé sur son coussin, s’assoupissant peu à peu.

La chanson se termina, et aucune autre ne vint ensuite. Le crissement du vinyle continua son cours, Rarity continua ses retouches. L’appareil reconnut qu’il en était arrivé à la fin du disque et le son s’interrompit.

Il n’y eut plus que le bruit de la machine à coudre et de la magie émanant de la corne de la licorne. Rarity continua un moment à coudre en silence, avançant lentement mais sûrement dans ses finitions. Si elle persévérait ainsi, elle devrait avoir terminé cette robe d’ici deux jours. Juste ce qu’il faut pour que la commande soit prête à temps.

Elle termina consciencieusement la couture qu’elle tissait puis arrêta sa magie, essuyant son front de son sabot et soufflant un peu de répit. Elle observa son travail, jugeant chaque détail pour éclaircir sa marche à suivre. Elle devrait sûrement retoucher ce motif en fleur, deux bouts de fils s’étaient détachés…

Rarity leva les yeux de sa robe. Elle observa la pièce. Sobrement illuminée, elle était remplie de mannequins sur lesquels étaient présentés les dernières pièces de sa collection actuelle. Des tissus de toutes sortes et du matériel de couture emplissaient les meubles. Tout était immobile, figé. Comme un tableau, à peine perturbé par les soufflements d’une Opal assoupie.

Il faisait nuit noire dehors, et tout était silencieux. Seul le Carrousel Boutique restait allumé dans le village dorénavant, tel un phare qu’on apercevait au loin.

On aurait pu dire que cette bâtisse était animée. Ça aurait été bien.

Un étalon serait venu dans sa salle pour voir son avancée et l’encourager d’un enlacement. Ça aurait été adorable.

Les légères respirations d’un poulain auraient pu se faire entendre depuis une chambre à côté. Ça aurait été merveilleux.

Mais les pièces de la maison étaient vides. Et son cœur aussi.

Son regard se reporta sur ses robes exposées. Beaucoup étaient destinées à de jeunes juments dans la fleur de l’âge. Elle avait porté ces genres de robes il fut un temps. De nombreux étalons l’avait désirée, de nombreuses juments l’avaient admirée. Mais, de mémoire certaine, jamais aucun d’entre eux ne l’avaient vraiment aimée.

Rarity avait parcouru Equestria de long en large avec ses amies. Elle avait rencontré de nombreuses personnes, poneys comme d’autres créatures, découvert différentes cultures. Et malgré cette vie riche en évènements, elle ne s’était jamais sentie suffisamment à l’aise pour débuter une relation. Grande romantique dans l’âme, elle connaissait pourtant des émois de par ses lectures ou les belles histoires réelles auxquelles elle assistait. Elle était certaine qu’elle rencontrerait un jour un étalon qui deviendrait l’élu de son cœur. Mais, toute affairée à ses activités, elle ne s’était point rendue compte de l’écoulement des années.

Des années fugaces, rapides. Les saisons passaient et aucun changement ne se profilaient. À un moment donné, Rarity s’efforça à voir du monde, à sortir de son cadre habituel. Elle allait voir des groupes de créatures qui s’intéressaient à ses passions pour la création, la culture ou la lecture. Elle avait rencontré de très belles personnes. Elle n’avait pas rencontré l’amour.

Elle repensait à ses plus proches amies. Elles étaient toutes en couple à part la régente actuelle du royaume, Twilight. Elle se rappela de son passage plus tôt dans l’après-midi chez Pinkie et Cheese Sandwich. Leur enfant, Lil Cheese, gambadait autour d’eux tandis qu’ils discutaient. Rarity était heureuse pour Pinkie, mais il était vrai qu’elle aurait souhaité connaître son bonheur.

Avait-elle manqué des occasions ? Son étalon se cachait-il toujours quelque part après toutes ces années ?

Ou était-ce elle qui ne savait pas comment aimer ?

La licorne blanche avait pourtant le cœur sur le sabot. Elle chérissait ses proches du mieux qu’elle le pouvait, pensait à eux par de charmantes attentions. Il est vrai que sa relation avec sa petite sœur n’avait jamais été un long fleuve tranquille, mais elles avaient toujours fini par faire attention à l’une comme à l’autre. Rarity se rappelait avec nostalgie des longues périodes où elle logeait sa sœur chez elle à Poneyville. Encore certaines fois, Sweetie Belle venait lui rendre visite pour venir aux nouvelles. Parfois même, elle venait accompagnée de son compagnon.

Au moins, Opal était toujours là, elle. Son chat avait également vieilli, mais sa présence avait toujours été réconfortante. Était-elle pour autant devenue une vieille jument à chats ? Ça faisait déjà belle lurette que Rarity détestait cette expression.

La licorne lança un regard vers quelques lettres rangées dans une des étagères. Elles étaient assez vieilles, toutes écrites par des admirateurs lors du Hearts & Hooves Day. Elle ne regrettait pas de n’avoir succombé à leurs avances. Beaucoup ne la connaissaient pas vraiment pour qui elle était.

Et puis, il y avait eu Spike. Là aussi, rien de vraiment probant. Son attrait passé pour elle n’avait été qu’un amour d’enfance, une illusion. Il avait fini par le comprendre. Il restait néanmoins un ami admirable.

Regardant par la fenêtre, Rarity essuya négligemment le début d’une larme au coin de l’œil. Avait-elle vraiment fait tout ce qu’elle avait pu ? Protégeait-elle trop son cœur, effrayée de s’engager dans une relation qui pourrait le briser ? Était-elle véritablement désirable autre que pour son apparence et pouvait-on l’aimer ? Pouvait-elle aimer ?

Son amour était-il suffisant ?

Rarity s’avança devant la robe qu’elle confectionnait. Avec du recul, la création était belle. Elle venait de son imaginaire, de son être, de son cœur. Elle y dédiait toute sa passion. Et elle souhaitait partager un peu de cette passion avec un être cher. Quelqu’un qui serait présent pour elle, qu’elle pourrait chérir et apprécier.

Poussant un soupir, sa corne s’illumina et la machine à coudre se réanima. Elle se remit à sa tâche tout en réfléchissant à ce qu’elle pouvait faire dans le temps présent. Demain, elle irait de nouveau à un de ses groupes d’activités culturelles. Elle avait déjà bien avancé sur ses créations après tout.

Et puis, elle avait toujours sa famille et ses amis. Et même ses meilleurs clients et élèves de l’école de l’amitié. Il n’y avait peut-être jamais eu personne dans sa vie, mais elle n’était pas si seule en réalité.

Au final, même si la solitude entre ses murs lui pesait, Rarity savait qu’elle ne devait pas baisser les pattes. Même après toutes ces années et le manque de sentiments. Même si toujours rien ne s’était produit. Il fallait encore y croire. Qu’un jour, elle tomberait sur celui qui la mettrait en confiance. Suffisamment pour qu’ils partagent leurs cœurs à deux. Et que de deux cœurs vides naisse une belle histoire remplie de passion.