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tome 1, Chapitre 1 « Chapitre 1 : La chute » tome 1, Chapitre 1

Ainsi donc le sort était jeté.

Le regard fixé dans le vide, la bouche entre-ouverte, Aria était incapable de réaliser ce que son père, le Maréchal, venait d’annoncer à l’assemblée présente dans la salle du Jugement. “Ce n’était pas censé se terminer ainsi” songea-t-elle alors que ses mains tremblaient comme des feuilles contre ses genoux, et que les murmures autour commençaient à se transformer en indignations, insultes et autres injures que ces oreilles avaient décidé d’ignorer. “Traîtresse !” “Elle mérite la mort !” tant de commentaires abjects alors qu’il y a quelques minutes à peine, le Maréchal rendit le verdict dans un silence palpable:

“Aria Vanthorn, la Cour Suprême du Royaume de Lysdor ainsi que le Roi Elias Ier du nom vous reconnaît coupable du meurtre de feu sa Majesté le Prince Héritier Adrian…Et vous condamne ainsi à …l’exil.”

Malgré son ton solennel, l’émotion était bien trop forte pour ce père éploré qui venait d’être forcé à annoncer publiquement la sentence de sa fille aînée. Sa voix pourtant ferme avait laissé trahir quelques soubresauts à “coupable” et “exile”. Il aurait préféré que tout cela ne soit qu’un mensonge, de crier que sa fille était innocente et qu’il préfèrerait mille fois prendre sa place pour ne pas voir ses beaux yeux verts s’embuer de larmes. Mais Aria ne pleura pas. C’était comme si elle avait accepté ce châtiment dont elle n’était pas responsable. Car oui, malgré sa ferveur et son insistance à nier autant de fois qu’il le fallait, Aria savait déjà au fond d’elle-même qu’elle n'échapperait pas à cette exécution publique.

Le brouhaha se transforma en un lointain bourdonnement tandis que deux gardes royaux l’escortèrent en dehors de la salle principale.

Comment en était-elle arrivée là ? Comment cette jeune femme élancée et gracieuse, promise à cet homme couronné était passée de future reine à la meurtrière de ce dernier ? Beaucoup avaient déjà pris la peine de faire couler de l’encre dans les journaux de rues, dans les salons clos, et même jusqu’aux États voisins. Le premier journal à avoir enfoncé le clou était “Le Lys d’Or”, pourtant réputé pour ses sources et pour la qualité d’écriture. Si Le Lys d’Or le disait…C’est que ça devait être vrai. Cependant les faits restaient bel et bien réels: le Prince Héritier était mort. Adrian était destiné à succéder à son père le Roi Elias Ier, ce dernier avait abdiqué avec joie au profit de son fils aîné, jugeant qu’il était temps pour lui de reprendre les rênes de ce Royaume dont il était devenu las de gouverner. Par la même occasion, il avait été convenu de trouver une épouse convenable à cette future tête couronnée.Le Maréchal, chef des armées du Royaume de Lysdor, était aussi le père d’Aria et d’une autre fille cadette: Juliana dite Julia. Le Roi Elias Ier nourrissait pour le Maréchal une admiration égale à celle que ce dernier lui portait, instaurant une confiance mutuelle entre les deux hommes. Bien qu’il n’était pas dans la confidence du Roi, il ne fut guère étonné quand sa fille aînée fut choisie pour cette voie royale. Peut-être qu’il n’était pas surpris, mais il n’en restait pas moins très fier et heureux.

La lettre scellée d’un cachet royal bleu était arrivée il y a six mois déjà au Manoir Vanthorn pour annoncer cet avènement qui, aux yeux des dirigeants voisins n’était peut-être pas si important, mais pour Lysdor, c’était l’annonce d’un nouveau chapitre. “Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.” Mais si tout était aussi rose et heureux que les contes de fées, alors la réalité en était toute autre. Aria en avait conscience lorsqu’elle rencontra officiellement le Prince Adrian pour la première fois.

C’était une semaine après avoir reçu la lettre royale, au château, en présence de sa Majesté le Roi Elias Ier, son premier ministre, le Prince Adrian évidemment et son frère cadet, le Prince Lucas. La famille Vanthorn était conviée également hormis Aria, ce qui avait enchanté Julia à l’idée de rencontrer ses Altesses royales et sa Majesté. Celle-ci était passionnée par les dernières tendances dans le royaume et ne manquait pas de montrer un intérêt certain pour ce que l’on appelait les Salons de Dames. Lorsque les jeunes femmes de bonnes familles avaient atteint l’âge de dix-sept ans, il était de coutume de donner un bal pour leur entrée en société. Ainsi donc, les Salons de Dames n’étaient ni plus ni moins qu’une invitation dans l’après-midi entre jeunes femmes ayant déjà fait leur bal de novices afin de déguster des collations et de prendre le thé pour s’échanger les derniers ragots de la capitale, Aurélis. Aria n’avait jamais été à l’aise avec ces invitations où elle se forçait à faire semblant d’écouter et de s’intéresser à ce que telle fille faisait, qui allait se marier ou quel autre scandale aurait fait frémir n’importe qui d’autre. Elle y avait mis un terme après deux ou trois tentatives. Ce qui apparaissait aux yeux des autres comme une fracture nette, faisant d’Aria une “marginale”. Elle préférait mille fois rester au Manoir Vanthorn afin d’y lire les derniers travaux publiés par des savants ou les romans de la bibliothèque de son père. Oh, elle savait bien qu’elle serait catégorisée et même rabaissée auprès des autres, mais elle n’en avait cure.

C’est certainement pour ces quelques raisons qu’Aria avait su captiver l’attention de sa Majesté. Le regard bienveillant de ce monarque prêt à rendre sa couronne frétillait d’enthousiasme lorsque Aria fit sa révérence.

“Votre Majesté, vos Altesses Royales” avait-elle soufflé en gardant la tête basse.

“Ah ! Cette petite est si bien éduquée !” s’était exclamé le Roi visiblement satisfait de voir que le protocole royal n’était pas inconnu à sa future belle-fille.

Aria aurait juré avoir piqué un fard. Néanmoins lorsque le Roi lui permit de relever la tête et qu’elle croisa le regard clair de son futur mari, elle était prête à se dire que ce mariage arrangé pouvait peut-être fonctionner. Aria était une romantique dans l’âme. Malgré son désintérêt pour les potins, elle adorait se perdre dans des romans à l’eau de rose, les poèmes suivants les flèches de l’Amour. Peut-être était-ce de la naïveté, mais elle n’en était pas moins sotte et savait pertinemment que ce mariage n’était pas un mariage d’Amour, mais un mariage par dépit.

Pour sa part, le Prince Adrian ne montrait aucunement plus d’intérêt au Mariage qu’Aria en avait. Il était très fidèle aux principes royaux et s’était préparé toute sa vie à succéder à son père, vivant ou mort, mais le mariage était le cadet de ses soucis. Bien sûr, il aimait regarder les courbes des femmes, se complaisant à les voir glousser en le voyant. Lorsqu’il détailla sa future épouse, il la trouva plutôt plaisante à regarder. Elle était loin d’être aussi belle que la déesse Pherséia, mais son joli teint clair, ses yeux verts émeraude et son visage ovale étaient loin d’être considérés comme laids. De plus…Ses courbes n’étaient pas non plus si plates. Disons qu’elle était largement suffisante pour qu’il la considère comme jolie.

“Mademoiselle.” salua Adrian poliment en inclinant sa tête en retour, son frère cadet le copiant immédiatement sans piper mot.

Tandis que les deux pères échangeaient de bonnes paroles avec entrain, les deux futurs époux essayaient de trouver les bons mots pour démarrer une conversation. Julia qui également était présente dans sa toute nouvelle robe couleur saumon, s’évertuait à meubler la conversation avec le Prince Adrian et vaguement avec le second Prince qui dû se sentir vexé car il lui répondit sèchement à l’une de ses paroles pour ensuite l’ignorer ouvertement.

Le Maréchal s’en rendit compte et trouva un prétexte pour garder sa fille cadette près de lui alors qu’Adrian proposa à Aria une promenade dans les jardins royaux. Proposition qu’Aria accepta rapidement, se sentant déjà embarrassée par ce que sa sœur venait de faire devant la famille royale au complet ! Maintenant qu’ils étaient seuls, marchant dans les allées nettement dessinées et parmis les arbustes fraîchement taillés, Adrian ouvrit la bouche:

“Maintenant que nous sommes seuls, je pense pouvoir vous parler avec franchise…” commença-t-il avec prudence en regardant sa promise. “Je pense que ni vous ni moi n'avons vraiment envie de prétendre que nous sommes heureux de ce mariage.”

“Il est vrai qu’il serait difficile de prétendre que nous sommes éperdument amoureux” confirma Aria en plongeant son regard dans celui d’Adrian. “Néanmoins…je ne pense pas que cela soit une mauvaise chose. Vous pouvez très bien gouverner, vous occuper des affaires d’Etats…Quant à moi, je pense pouvoir m’adapter à ce que la position de reine incombe.”

Il était bien sûr question d’accomplir son but premier: offrir une descendance au Roi et pour le royaume, un héritier. Adrian semblait agréablement surpris par sa résignation et son honnêteté.

“Dans ce cas, vous ne m’en voudrez pas si je ne serai pas le mari que vous espériez ? Rassurez-vous, je n’ai pas d’amante ni l’intention d’en avoir une dans un avenir proche. Sachez que malgré tout, je vous trouve…Intéressante.” finit-il par articuler tout en déportant son regard sur le massif de pivoines à sa droite, comme gêné de parler de sa vie privée. “Disons que je m’attendais à ce que vous soyez comme votre soeur.”

Aria ne put s’empêcher de grimacer à la mention de Julia et soupira.

“Nous sommes peut-être du même sang, mais ma soeur et moi sommes parfaitement différentes. Elle aime le faste de la société, briller dans les Salons…Alors que je préfère largement le silence de ma chambre et la compagnie des bouquins.” confessa-t-elle sans une once d'exagération bien que sa main crispée sur sa robe laissait sous-entendre son malaise par rapport aux différences avec sa sœur, voire même du regret ? “Peut-être auriez-vous préféré une épouse comme ma soeur ?” s’enquit-elle avec prudence.

“Pas le moins du monde” répondit Adrian sans hésitation. “Par obligations je suis tenu d’assister à je ne sais combien de manifestations sociales et je peux vous dire que des femmes comme votre soeur, j’en ai croisé peut-être deux-mille…C’est d’un… ennui.”

Les deux finirent par échapper un petit rire complice. Définitivement, Aria ne s’attendait pas à entendre le mot “ennui” de la bouche de son futur époux tout comme Adrian ne pensait peut-être pas à se montrer si direct avec une femme qu’il venait à peine de rencontrer dans l’optique de la marier et d’en faire la reine.

“Dans ce cas…qu’attendez-vous de votre épouse ?” demanda Aria d’un ton curieux après avoir regagné son sérieux.

“En toute franchise, je ne saurais vous dire exactement… Mais ce que je sais, c’est que je ne suis pas demandeur de votre temps, ni de votre affection en dehors de nos futures apparitions publiques. En échange je ne vous demanderai pas non plus de venir dans vos appartements tous les soirs.”

Aria se racla la gorge alors qu’Adrian détourna encore son regard, visiblement aussi gêné d’aborder cette délicate obligation ou plutôt devoir. La question d’être honorée par son futur époux restait un sujet plutôt intime et gênant à aborder de la sorte, comme une espèce de contrat tacite que les deux ne ramèneraient jamais sur la table après cette conversation. Mais elle se sentit rassurée de constater qu’il n’était pas désireux de le faire ardemment au point de l’épuiser jusqu’à pouvoir affirmer qu’elle serait enceinte d’un potentiel héritier. Les deux fiancés continuèrent leur balade jusqu’à revenir au château, l’air plus léger et plus palpable sur leur visage. Cette vision n’échappa à personne dans leur entourage et le Roi Elias avait bon espoir de croire que ce mariage pourrait durer dans le temps et traverser les âges comme le sien avec sa défunte Reine Lucyle. Lui aussi se rémora la première fois qu’il eut rencontré son épouse et contrairement à son fils, Elias n’avait pas du tout aimé sa femme. Il l’avait même qualifiée de “laideron” mais il était encore bien trop immature pour reconnaître à quel point la future mère de ses enfants était pourtant aussi belle que ses contemporains la décriraient maintenant.

C’est lors de cet entretien que la date du mariage avait été fixée, et que les préparatifs commençaient en bon train. En tant que future reine, Aria avait d’ores et déjà quelques responsabilités à assumer notamment un gala en l’honneur du futur Roi Adrian. Dans les invités se trouvaient d’autres têtes couronnées, bien évidemment, mais parmi eux se trouvait un homme particulier. Cet homme n’était autre que l’Empereur de Geloria, l’Empire voisin de Lysdor, à la fois un allié précieux comme un bourreau avec une épée de Damoclès. L’Empereur Orel III était tout sauf un tyran, mais son territoire ne laissait guère de choix pour la diplomatie, hormis exercer une pression importante sur les accords établis avec le Royaume de Lysdor mais aussi son ancienne colonie, le Grand Duché de Zakar. Lysdor ne disposant aucunement d’un accès au littoral dont Geloria était l’intégrale dominante, ce petit royaume ne pouvait se contenter des poissons d’eau douce des quelques lacs qui coloraient ce petit bout de terre comparé à la colossale Geloria. Il était donc primordial de conserver cette paix si précieuse pour le bien de tout un royaume qui n’avait qu’en contrepartie du bétail, de la laine et du bois précieux comme monnaie d’échange.

Placardé de ses insignes impériaux et militaires, Orel III se présenta à l’entrée de la Grande Salle de bal avec son bras droit et meilleur ami, Darian Varos. Immédiatement, les regards se tournèrent vers eux, mais il était incontestable que c’était Orel qui suscitait tant de réactions. Des murmures commencèrent à se répandre. Les femmes derrière leur éventail semblaient chuchoter à leur voisine, puis gloussaient alors que les hommes présents arboraient un air solennel…et tendu? L’Empereur était plutôt grand, et sa corpulence ne laissait personne indifférent de par sa carrure droite, ses épaules carrées et visiblement taillées par les entraînements au combat dont sa nation était le plus fier. Ses cheveux sombres, marrons presque noirs de jais étaient soigneusement coiffés et tirés en arrière dont une seule mèche rebelle tombait délicatement sur son front entre ses deux yeux d’acier. Si Adrian n’était pas réputé être un homme à femmes…les rumeurs sur l’Empereur célibataire de Geloria étaient toutes plus sulfureuses les unes que les autres. Certains affirmaient qu’il se délectait de la présence de plusieurs femmes, parfois seule, ou même à plusieurs. D’autres laissaient courir des bruits sur son orientation sexuelle, insinuant que l’Empereur aimait les hommes et qu’il se laissait volontiers aller aux plaisirs de la chair sans vergogne en invitant des hommes de tout âge. Bien évidemment, ces rumeurs allaient et venaient au fil des saisons, traversant les frontières et les montagnes jusqu’à atteindre Aurélis et les Salons de Dames. Le principal intéressé ne s’était jamais expliqué ni justifié. A quoi bon lorsque l’on est l’Empereur ? Après tout, il était la personne avec qui on était censé lui rendre des comptes et lui n’en avait pas à rendre sur sa vie personnelle, même pas auprès de sa mère l’Impératrice Mère Amarielle.

Lorsque Aria posa les yeux sur cet homme dont elle n’avait entendu que le nom mais jamais n’avait caressé l’espoir de le rencontrer, elle ressentit une espèce de fascination qu’elle n’avait pas ressenti lors de sa rencontre avec Adrian malgré leur récente bonne entente. Leurs regards se croisèrent parmi la foule, et Orel III, de sa démarche sûre et charismatique traversa la foule pour arriver devant Aria et lui offrir une révérence accompagnée d’un baise-main.

“Mademoiselle…Vous devez être la future Reine Aria ? Je tenais à vous féliciter personnellement pour ce mariage” dit-il de sa voix grave et suave, ses yeux aciers ne quittant jamais Aria alors qu’il se redressa avec lenteur, sa main gardant celle d’Aria dans la sienne.

Aria déglutit discrètement, son cœur semblait s’affoler dans un rythme démesuré à la hauteur des battements dans sa poitrine. Comment cela se faisait-il que cet homme provoquait de telles réactions chez elle ? Se ressaisissant enfin, Aria esquisse un sourire poli et répond:

“Votre Majesté Impériale…Je vous remercie de vous être personnellement déplacé depuis Théris pour célébrer l’avènement du Prince Adrian”

Orel III sourit simplement en retour, mais Aria ne pouvait pas mettre le doigt sur ce rictus qui avait quelque chose en plus. Comme une énigme dont la solution n’était pas à sa portée en cet instant.

“Je vous en prie, Lysdor est un allié précieux” ajouta-t-il alors que ses prunelles ne quittaient pas le visage d’Aria. “J’ai entendu dire que votre père est le Maréchal ? Dans ce cas, cela ne m’étonne guère que vous soyez la prétendante choisie pour le Prince Adrian.”

“Vous me flattez…” répondit Aria en essayant de ne pas trahir son embarras avec ses rougeurs. Le Prince Adrian surgit de la foule, trouvant Aria avec l’Empereur. Il salua Orel d’une poignée de main ferme avant de sourire promptement.

“Ah, votre Majesté Impériale. Je suis ravi d’enfin pouvoir vous rencontrer officiellement…De futur Roi à Empereur” dit-il peut être d’un ton plus maladroit, ce qui fit rire Orel III.

“Je vous en prie, ce n’est pas tous les jours que le Royaume de Lysdor célèbre un futur roi successeur d’un autre roi ayant abdiqué. De plus…Je ne pouvais pas non plus manquer de rencontrer votre future épouse. Je suis certain qu’elle fera une très bonne reine.”

Si ce compliment était tout à fait cordial et dénué de toute ambiguïté, Aria se sentit extrêmement troublée de par ses paroles, mais visiblement Adrian ne sembla pas s’en soucier. Les deux hommes échangèrent encore quelques formalités tandis qu'Aria était perdue dans ses pensées qui ne cessaient de tourbillonner en boucle , repassant chaque syllabe dans son cerveau.

Ce fut la seule fois où Aria eut l'occasion de briller en société, où son nom n’était pas scandé pour quelque chose qu’elle n’avait pas commis. Tout s’était passé si vite, et pourtant Aria ne pouvait s’empêcher de repenser aux moments passés avec Adrian, essayant de trouver la faille et surtout à quel moment le fautif aurait pu commettre ce crime de lèse-majesté. C’est dans sa chambre, gardée par des gardes royaux et recluse en attendant le verdict qu’elle inspectait, se remémorait de chaque personne qui avait approché Adrian les derniers jours avant qu’un valet ne retrouve son corps inerte dans sa chambre. Le Prince Adrian avait été empoisonné. La nouvelle s’était répandue telle une traînée de poudre, ou plutôt comme un nuage de cendres ardentes déferlant dans chaque rue d’Aurélis jusqu’aux tréfonds du Continent.

Mis à part Aria elle-même, son père le Maréchal, le Roi Elias Ier, son frère Lucas et Juliana, peu de personnes du cercle intime du Prince ne l'avaient approché…Du moins en public. Durant les seules visites qui lui étaient autorisées lors de sa “mise en détention”, le Maréchal avait vaguement évoqué à sa fille à quel point le palais était en ébullition. Chaque valet, chaque servante, n’importe qui travaillant au château étaient interrogés, tout comme les autres membres de leur famille respective, mais aucun d’entre eux n’avait de mobile apparent pour justifier un tel acte abominable. C’est pourquoi Aria était la suspecte idéale aux yeux de tous.. Après tout…Elle était la future épouse, la femme avide de pouvoir de son royal mari, prête à tout pour obtenir ne serait-ce qu’une bribe de contrôle sur ce royaume.

Aria était toute aussi secouée que le reste de la famille. Il était évident que malgré ses réponses répétées, chaque défense qu’elle avançait à chaque interrogatoire n'avait aucun effet. Sa culpabilité était déjà évidente aux yeux de tous. Elle s’en rendit bien compte lorsque ses yeux fatigués scrutaient les magistrats, les badaux dans la salle du Jugement…Ils la regardaient tous comme si elle était un monstre. Alors Aria elle-même finit par croire qu’elle en était un.

En dehors des regards indiscrets, le Maréchal rejoignit sa fille, chamboulé et dévasté par la sentence qu’il avait lui-même annoncée quelques minutes plus tôt. Mais le temps pressait et visiblement, il n’avait pas le temps de tergiverser.

“Aria, écoute moi attentivement. Je sais que tu dois être chamboulée, mais j’ai fait en sorte que tu sois bien traitée. Le Roi Elias Ier était prêt à te faire exécuter, je le lui en ai dissuadé.”

Trop d’informations se bousculèrent dans la tête d’Aria. Mais elle réalisa qu’elle venait d’échapper à la mort grâce à son père ! Mais à quel prix ? Qu’avait-il pu lui dire pour que le Roi ne change d’avis ? Aria était sur le point de lui poser toute sorte de questions lorsqu’il l’en empêcha et la prit par les épaules, ses yeux portants des signes de fatigue alors que son regard n’était rien d’autre qu’un triste mélange de désespoir et d’amour.

“Tu seras exilée demain à l’aube. Oh ma chérie…Il y a tant de choses que je voudrais encore te dire, mais sache que je ferai tout pour trouver le réel coupable et rétablir la vérité.”

Les yeux d’Aria s’embuèrent de larmes. Non seulement parce qu’elle ressentit un profond soulagement de savoir que son père croyait en son innocence, mais aussi parce qu’elle savait que c’était la dernière fois qu’elle le verrait…Cet homme si bon et fort qu’elle admirait depuis sa tendre enfance semblait maintenant être devenu si frêle et vulnérable. Depuis quand n’avait-elle pas regardé son père avec autant d’intensité ? Jusqu’à quand n’avait-elle pas remarqué ses cheveux grisonnant et sa moustache se teinter de blanc ? Le cœur d’Aria se serra douloureusement à l’idée de devoir se séparer de son père et de ne peut-être plus jamais le voir. Elle n’en avait pas envie ! Elle préférait garder en mémoire ce sourire espiègle avec cette moustache qui frétillait à chaque fois que ses yeux s’illuminaient lorsqu’il était heureux.

Le Maréchal exerca une pression sur son épaule, comme si ce n’était que ce geste qu’il ne pouvait faire pour la réconforter. Aria avait elle aussi tant de choses à lui dire, mais les mots moururent dans sa gorge serrée par des sanglots menaçants. Dans un dernier élan, Aria le prit dans ses bras, le serrant de toutes ses forces…en silence. Tous deux avaient conscience que cet instant était le dernier qu’ils pouvaient partager.

Le lendemain, peu avant l’aube, Aria était en chemin en dehors de la capitale, dirigée dans un modeste carrosse vêtue d’une simple capuche qui dissimulait son visage. Escortée par des gardes déguisés en citoyens, c’est dans un silence pesant qu’elle regardait défiler sous ses yeux ce paysage si familier qu’était son foyer, sa patrie…On lui avait expliquée qu’elle serait abandonnée au Nord de la frontière entre Geloria et Lysdor, dans une zone où la Nature dominait plus que l’Homme ne domptait les montagnes et les plaines. Avec elle, seul un maigre sac contenant quelques affaires, et un petit portrait de famille. Si la déchéance avait une allure, c’était bien celle d’Aria qui devait lui ressembler. Elle n’avait pas encore réfléchi à quoi faire, comment faire pour survivre et se reconstruire ? Se venger n’était même pas une pensée. A quoi bon ? Contre qui ? Elle n’en avait strictement aucune idée. La seule question qui l’obsédait encore était: Qui avait tué le Prince Adrian ?


Texte publié par Seohyunnim, 10 juin 2025 à 23h57
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