Polis était un monde à part dans la galaxie, une planète essentiellement artificielle et assourdissante.
Pour Recko c’était une planque efficace pour disparaître et protéger ses enfants. Un endroit où il suffisait de changer de nom pour devenir un fantôme.
Passer la douane du spatioport orbital avait nécessité de graisser la patte d’un officier concilien peu recommandable, mais les cids récupérés feraient l’affaire.
S’il n’avait pas été forcé de fuir Kohbor VII avant l’embrasement de la colonie, il n’aurait jamais voulu mettre les pieds sur la planète-capitale de l’espace concilien. Un endroit où le meilleur de la modernité côtoyait le pire de la société supposée civilisée.
Le transport spatial se posa sans encombre sur la plateforme du cadran nord bêta de Polis sous les yeux émerveillés de Yantot.
Ils n’avaient pas de bagage, seulement un sac avec quelques affaires.
Depuis des semaines, Recko avait activé ses réseaux pour leur garantir un point de chute sûr. Au sortir du transport urbain, ils se retrouvèrent dans le flot des voyageurs. Un bruit assourdissant emplissait les couloirs tentaculaires de la zone de transit menant inévitablement au dernier point de contrôle.
La file s’allongea rapidement et les enfants perdaient un peu patience en attendant le tour de leur père. La liberté avait un prix.
« On est bientôt arrivés ? s’enquit le petit Yantot accroché à la main de sa grande sœur.
— Papa a dit qu’on allait bientôt voir notre nouvelle maison, dit-elle magnanime.
— J’aime pas, ça sent mauvais ici. »
Le garçonnet n’avait aucun filtre et ses grands yeux bleus inquiets traquaient le moindre geste suspect dans la foule autour d’eux.
Recko se baissa pour se mettre à sa hauteur et lui fit un grand sourire.
« Je te promets que ce soir tu dormiras dans ton lit mon grand.
— Hmph… »
Polis était un enchevêtrement de super-niveaux surpeuplés empilés les uns sur les autres. Plus on s’enfonçait dans les entrailles de la planète, plus la vie y était difficile et dangereuse. Le ventre, comme il était appelé par les habitants des niveaux inférieurs, dévorait tout, même les moins fréquentables des individus. Surtout ceux-là en réalité.
« Suivant ! » ordonna le garde antraes depuis son poste à l’abri derrière une vitre blindée.
Recko tendit les documents falsifiés par le spatien au représentant de l’autorité concilienne puis scruta son regard neutre. L’agent de contrôle avait notablement compris que les documents étaient des faux, mais il n’opposa aucune résistance et les rendit après les avoir scannés et validés.
« Bienvenue sur Polis. Suivant ! »
Ils contournèrent la barrière et se retrouvèrent dans un large hall d’orientation. La foule se pressait d’un bout à l’autre, cosmopolite et centrée sur elle-même. Tout les oppressait, mais ils n’avaient plus le choix désormais.
Les trains verticaux constituaient le meilleur moyen de rallier leur destination et leur réserve de crédit ne leur permettrait de toute façon pas de commander une voiture particulière. Recko remonta le sac sur ses épaules et posa une main sereine sur l’épaule de sa fille pour lui indiquer la direction.
Le monorail quitta la station de surface pour desservir les vingt premiers super-niveaux. Les machines autonomes descendaient en douceur le long d’un pilier de support pour rejoindre le ventre. Après une longue descente d’une heure, ils débarquèrent au terminus dans le quartier ouvrier de Zorba-41.
Recko savait combien cette nouvelle vie allait être difficile, mais il restait persuadé que c’était la seule décision acceptable pour leur garantir un avenir meilleur.
Les premiers jours durent un tourbillon. Trouver à manger, éviter les ennuis, ne pas attirer l’attention. Puis les choses s’organisèrent, Recko décrocha un poste d’ouvrier dans une chaine de recyclage du secteur. Un boulot infâme pour lequel ses talents d’ingénieur étaient mis à rude épreuve. Après quelques rotations, les enfants prirent l’habitude de rester étudier les holos éducatifs diffusés par gratuitement par le Conseil aux familles des profondeurs.
Yantot ne demandait plus s’ils allaient bientôt changer de maison.
Ce soir-là, comme à son habitude, Recko quittait l’usine de retraitement des déchets organiques pour rejoindre Zorba-41 en longeant l’allée centrale numéro 12, un itinéraire qu’il connaissait par cœur. Il allait rejoindre l’avenue principale quand une silhouette se détacha dans l’ombre.
« Recko Zakryn ? »
Il s’arrêta net. Son pouce effleura la garde de la lame à sa ceinture, un réflexe instinctif.
L’homme était seul. Grand, sec, la peau sombre comme du charbon, les yeux modifiés. Un anneau luminescent pulsait dans ses iris d’une couleur bleutée. Des implants sans doute, mais probablement de la came de contrebande impossible à identifier.
« T’as pas perdu tes réflexes on dirait. Détends-toi, je ne suis pas là pour régler des comptes. »
Recko ne répondit pas. Il observa l’homme et nota la combinaison noire sans trace d’usure, les gants trop propres et l’absence d’identification dans l’uniforme.
« Qui t’envoie ?
— Appelle-moi Koris. Je bosse pour des gens qui savent reconnaître un homme utile quand ils en croisent un. On m’a dit que tu cherchais mieux que le salaire d’ouvrier.
— Peut-être, et alors ? »
Koris eut un petit hochement de tête.
« Il parait que tu as un vaisseau non enregistré, un ancien modèle, customisé. Mon client a besoin d’un transport rapide et fiable pour récupérer quelque chose… Des disques de données. Rien de dangereux. À moins que tu sois du genre nerveux.
— Mon vaisseau n’est pas ici. Et je peux pas passer la douane sans finir en cellule.
— Pour la douane, t’en fais pas, on a des passeurs avec plus d’un tour dans leur manche. Pour le vaisseau en revanche, faudra te débrouiller pour le récupérer. »
Il marqua une pause. Recko ne relâcha pas sa garde, mais il n’avait aucune envie de dégainer son arme. Pas encore du moins.
« Et si je refuse ? »
Koris haussa les épaules.
« T’as deux mômes, un loyer à payer. Peut-être même des dettes qui t’ont poussé à venir te terrer ici… T’es libre de refuser, mais à ta place je réfléchirais. Vite. Dans une heure, le Talon au quartier ouvrier. Demande Koris. »
Il tourna les talons sans attendre de réponse.
Recko resta figé un instant. Dans l’air, l’odeur des conduits d’évacuations et des néons chauffés à l’ozone. Il aurait pu l’ignorer, mais il avait raison : cette vie était subie et il aspirait à mieux pour ses enfants. Mieux que ce boulot de merde à l’usine.
Peut-être que devenir mercenaire, finalement, ce ne serait pas pire que crever sur la chaine de recyclage.
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