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tome 1, Chapitre 3 « Lily » tome 1, Chapitre 3

Le parfum de Gray est un mélange de cèdre et de pamplemousse. Ceci n’est pas une information importante, mais étant actuellement en plein slow avec lui, mes sens n’ont rien d’autre à leur portée. Mes yeux arrivent à peine à voir par-dessus son épaule – et je porte des talons de huit centimètres. Je fais un peu moins d’un mètre soixante-dix, bordel. Je ne suis pas si petite que ça !

Il doit sentir que je suis frustrée parce qu’il appuie légèrement sur le bas de mon dos où repose sa main droite. Je lève les yeux vers son visage, prête à lui sortir une remarque sur sa taille de géant, mais m’arrête en voyant une ride d’inquiétude entre ses sourcils.

- Mal aux pieds ? Tu veux qu’on retourne s’asseoir ?

- Hein ?

- On a dansé deux slows, on a fait le taf. Tu portes tout ton poids sur la pointe de tes pieds depuis dix minutes… t’as mal aux pieds.

Alors… Oui, j’ai mal aux pieds, mais ce n’est pas pour ça que je me mets sur la pointe des pieds. C’est parce qu’il est grand, et que ça m’énerve. Mais je ne vais pas le lui dire. Égocentrique comme il est, il va prendre ça pour un compliment.

- Non, ça va… on peut attendre la fin de la chanson, dis-je dans un soupir.

- Je crois qu’il ne reste qu’un service de cafés, on pourra rentrer après. Désolé, je pense pas être capable de reprendre la route sans un booste de caféine.

Je secoue la tête pour lui indiquer que ce n’est pas grave. Je ne suis peut-être pas une habituée des soirées tardives – je n’aime pas sortir plus que ça, malgré ma nature sociable – mais je ne vais pas mourir d’aller me coucher après deux heures du matin. J’ai prévu de dormir jusqu’à dix-sept heures, demain, de toute façon.

Les dernières notes de Still Loving You de Scorpion se perdent dans la prochaine chanson, et Gray prend ma main pour nous diriger vers notre table. J’ai échangé avec tous les autres doctorants et leurs partenaires, quelques professeurs, et je sens que j’arrive au bout de ma batterie sociale. Il n’est pourtant pas simple d’arriver au bout, j’en ai en réserve. Heureusement, toutes les autres personnes à notre table semblent soit épuisées soit complètement bourrées, donc plus personne ne cherche à discuter. Juste lorsque nous nous asseyons, quelqu’un s’approche avec une cafetière italienne et nous propose une tasse. Je refuse tandis qu’une autre personne sert Gray.

D’un regard à la ronde, je vois que beaucoup des professeurs les plus âgés sont partis, il reste surtout les étudiants qui continuent de boire, de discuter et beaucoup se dirigent progressivement sur la piste de danse. L’orchestre de début de soirée à laisser place à un DJ qui entre doucement dans une séquence électro. Ce n’était pas une soirée si sophistiquée que ça, finalement... Malgré la règle étrange d’être obligatoirement accompagné de son conjoint. Cela dit, Gray m’a expliqué que le gala du département des langues et civilisations étrangères existait depuis tellement longtemps que beaucoup de règles obsolètes régissaient encore son organisation. Les membres du bureau le préparant les supprimaient au fur et à mesure des éditions, celle des partenaires n’avait pas encore eu droit à ce traitement. Ils l’avaient au moins élargie pour « partenaires » et non plus « conjointe ». Exclusivement au féminin, oui. Parce que les femmes ne pouvaient pas encore faire d’études supérieures à l’époque, et parce que les autres genres et sexualités « n’existaient pas ». Un autre temps.

Je laisse échapper un soupir de fatigue malgré moi, et sens la main de Gray venir se poser sur ma nuque et commencer à me masser. Je tourne la tête dans l’optique de le charrier pour son geste anormalement intime, mais il est en pleine discussion avec sa voisine de gauche. Une doctorante en langues et civilisations éthiopiennes, de mémoire. Bien que son attention soit tournée vers elle, son bras droit repose sur le dossier de ma chaise. Il fait ça de manière naturelle… un charmeur né, ce Rominet.

- Aïe, grimacé-je lorsqu’il appuie sur un point sensible.

- Désolé !

Gray se tourne vers moi et retire son bras. Je vois à son expression qu’il ne s’était lui-même pas rendu compte de ce qu’il faisait. Il termine sa tasse de café et se penche vers moi.

- On y va ?

Je réponds par l’affirmative et commence à ranger mon téléphone dans mon sac et à me lever, mais quelqu’un bloque ma chaise. Je me retrouve debout, en équilibre entre la table et Gray qui s’est lui aussi mis debout. Il m’empêche de tomber en m’attrapant par le bras. Derrière nous, un étudiant dont je n’ai pas retenu le nom nous sourit de toutes ses dents.

- Avant de partir !

Je ne comprends d’abord pas de quoi il parle, avant de remarquer son bras levé au-dessus de nos têtes. Au bout de sa main se balance une branche de gui touffu. Sérieusement ? Des sifflements et d’autres bruits franchement douteux et déplacés retentissent autour de nous. Sérieusement ?!

- Vous êtes pas sérieux, là. Il est tard, Lil–

- Hey, oh ! Casse pas l’ambiance, Sylvester ! s’exclame Oliver, butant sur quasiment tous les mots. Vous avez passé la soirée à vous peloter, vous pouvez quand même bien nous faire profiter un peu du spectacle.

- Si je te passe discrètement une fourchette, murmure Gray à mon oreille, tu penses que tu peux l’atteindre d’ici ?

- Sans problème, mais je suis pas sûre qu’il vaille le coup de finir en prison.

- Hm. Dommage.

Les inquisitions commencent à fuser d’un peu tout le monde, le gui toujours au dessus de nos têtes. Même si on voulait s’enfuir, c’est impossible : on est coincés entre l’étudiant et la table. La mâchoire de Gray se tend à intervalles réguliers, un tic qu’il a depuis le lycée quand quelque chose l’agace. J’en suis assez souvent la raison, j’ai fini par le reconnaître. Je ferme les yeux, soupire et attrape délicatement les pans de sa veste bordeaux – qui s’accorde parfaitement avec ma robe, soit dit en passant. On aurait voulu le faire exprès, on n’aurait pas réussi.

- Gray.

Le ton de ma voix lui fait tourner la tête pour me regarder. Je me mets sur la pointe des pieds, rapprochant mon visage du sien, et je hoche imperceptiblement la tête. Ses sourcils se froncent un millième de secondes, avant qu’il ne comprenne. Je m’arrête juste assez près pour lui laisser le choix : se démerder pour faire croire à un baiser ou–

Avec hésitation, un peu maladroitement, ses lèvres se posent sur les miennes. Je ferme les yeux, et commence à compter dans ma tête. Pas plus de cinq secondes. Mais je n’ai pas le temps d’arriver jusqu’à trois, avant que le parfum de pamplemousse et le goût de café ne disparaissent. Le bras de Gray se retrouve sur mes épaules, et il me rapproche de son torse. Je ne vois rien d’autre que sa chemise blanche – et son torse, puisqu’il a bien évidemment ouvert quelques boutons. J’entends à peine les remarques plus que graveleuses de ceux qui nous entourent.

- Vous êtes vraiment tous immondes. Essayez de pas vous tuer en rentrant ! leur crie-t-il alors qu’on se dirige vers la sortie, avant de marmonner : Même si ça serait pas une grande perte…

Une fois dans le hall d’entrée de l’hôtel, nous récupérons nos manteaux à la consigne. Gray se tourne vers moi, une grimace confuse déforme ses traits.

- Fais pas cette tête, j’vais faire des cauchemars.

- Très drôle, Titi. Je suis désolé pour… dit-il en balançant sa main en direction de la salle de réception.

- On aurait dû s’en douter… C’est Noël, il y a du gui partout.

- C’est pas une excuse, ils nous ont mis au pied du mur et–

- Gray. C’est pas grave. Tu crois franchement que j’aurais engagé le baiser si ça me posait vraiment problème ?

Gray reste silencieux quelques secondes, me fixant. On dirait qu’il me scrute pour essayer de déceler une gêne que la situation aurait pu générer. Je ne suis pas du genre à donner de l’importance à quelque chose qui n’a pas matière à l’être. Aussi intime ce quelque chose puisse-t-il être. Finalement, son expression change pour reprendre son habituel air charmeur qui, à cette heure-ci, me donne juste envie de le frapper.

- En tout cas, s’il te sied un jour l’envie de réitérer l’expérience, je suis à ton servi–

Je ne le laisse pas finir et frappe son épaule de toute mes forces avec mon sac à main. Ça n’a, évidemment, pour conséquence que de le faire rire. Bordel c’qu’il est chiant.

Le trajet du retour se passe dans un semi-silence. Gray a allumé la radio pour éviter de piquer du nez. Pour ma part, je dois m’endormir à plusieurs moments, parce que le temps passe très rapidement. Je me retrouve bientôt devant la porte de mon immeuble où Gray m’a raccompagnée. Ici aussi, il a neigé. La porte vitrée m’accueille donc avec un mot du concierge insurgeant les locataires de ne pas salir le hall.

- Lily.

- Mh ?

- Merci. Tu m’as vraiment rendu un énorme service en m’accompagnant ce soir.

- Je t’en prie. Mais t’as pas oublié que je le fais pas gratos, hein ? Tu dois m’aider à passer mon cours de fiscalité des entreprises, maintenant ! Et si je l’ai pas en fin d’année, tu auras une dette envers moi, OK ?

- OK, OK, soupire-t-il dans un sourire, secouant doucement la tête. Bonne nuit, Titi. Merci…

- Bonne nuit, Rominet ! lui lancé-je dans un clin d’œil avant de m’engouffrer dans mon hall d’immeuble, puis jetant un œil en arrière pour le voir rejoindre sa voiture.


Texte publié par mad.autrice, 16 juin 2025 à 17h43
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