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tome 1, Chapitre 1 « Lily » tome 1, Chapitre 1

- Je ressemble à une pomme de terre radioactive.

Je me tourne pour étudier ma tenue sous un autre angle, mais j’en arrive à la même conclusion. Il est hors de question que je porte ça à la soirée de gala de Gray.

- Je suis sûre que c’est pas si terrible, résonne la voix de Sylvia depuis l’ordinateur.

Je me décale de quelques pas pour apparaître dans le champ de la caméra.

- Au temps pour moi, on dirait qu’un champignon hallucinogène t’a vomi dessus. T’as trouvé ça où ?!

- Je crois que c’était un cadeau d’une de mes tantes, dis-je en retournant me planter devant mon armoire. J’avais jamais eu l’occasion de l’essayer. Oh, peut-être ça !

J’attrape une robe de style années cinquante noire à pois blancs, et retourne devant mon bureau. Les visages de Sylvia et Zoé se contorsionnent dans une expression pensive bien trop longtemps pour que ça soit bon signe.

- Ma chérie, t’as beau pas être très grande, je crois que tu rentres plus là-dedans depuis que t’as douze ans…

Un demi-tour vers le miroir et… effectivement. Pourquoi j’ai encore ça dans mon armoire ? Je balance la robe sur mon lit déjà surchargé d’une bonne dizaine de tenues qui, elles non plus ne vont pas, et grogne de frustration. J’ai une armoire et une commode remplie de vêtements et il n’y a rien qui soit mettable pour la soirée de gala qui commence dans... trois heures.

- Je pense que tu te prends la tête, ma chérie.

- Tu peux pas juste mettre un pantalon en toile et une chemise ? demande Sylvia.

- Robe pour les femmes et costume pour les hommes obligatoires, grogné-je.

- C’est débile.

On est bien d’accord là-dessus. C’est un évènement très mondain, très conservateur, très stricte… et c’est la raison pour laquelle je m’y rends en premier lieu, d’ailleurs. Non pas que j’apprécie ce genre de trucs, au contraire, mais j’ai passé un marché avec Gray. Je l’accompagne en tant que « petite amie » au gala de fêtes de fin d’année de son département, et il m’aide à réviser ce putain de cours que je n’ai pas réussi à passer l’année dernière et qui m’a fait redoubler mon année. On ne croirait pas comme ça, mais c’est un excellent deal. Gray, éternel tombeur qu’il est, n’avait pas de conquête à emmener à sa sauterie où il est obligatoire d’être accompagné ; et de mon côté, ça m’évite d’avoir à lui demander une faveur – qu’il se ferait un malin plaisir à me faire payer au centuple.

- J’arrive toujours pas à croire que t’aies accepté de te faire passer pour sa copine. Je me souviens encore de vos joutes de sarcasme au lycée… comme le temps passe, soupire Zoé.

- À ce point-là ?

- C’était comme une passion pour ces deux-là. Je crois pas les avoir déjà vu avoir une conversation normale. De nos jours non plus soit dit en passant. Comment ils vont se débrouiller pour faire croire à un département entier qu’ils sont en couple… J’aimerais trop être une petite souris pour voir le massacre.

Je ne les écoute que d’une oreille. Zoé a raison. Gray et moi, ça n’a pas toujours été une histoire d’amour. Ça ne l’est toujours pas, qu’on soit bien clair. Mais on a évolué, on a grandi… en tout cas, assez pour que nos anciennes piques ne portent plus aujourd’hui une méchanceté qui était sous-jacente à l’époque. Je pense qu’on se connaît depuis trop longtemps tous les deux pour vraiment se détester ou s’apprécier… On se supporte.

- Hé mais attendez ! J’ai la robe de demoiselle d’honneur de cet été !

Je m’aplatis ventre contre terre, et cherche à l’aveugle, bras tendus, sous mon lit. Tout au fond, j’attrape une large caisse. En l’ouvrant, des sacs de vêtements d’été sous vide s’entassent, et par-dessus, bien à plat : le sac de transport crème qui contient la robe la plus chère que j’ai jamais porté. J’accroche le sac à la poignée de la fenêtre et le dézippe. Ma cousine avait mis les moyens pour son mariage ; elle nous avait offert les robes de demoiselles d’honneur… et elles n’étaient pas données. Ses couleurs étaient le blanc, le bleu ciel et le lavande. J’avais écopé d’une très belle robe blanche au niveau du buste et du col bateau, qui se termine sur une jupe en voile violine.

Délicatement, je la sors du sac et l’enfile. C’est un miracle : elle me va toujours. Elle a été faite spécialement sur mes mesures de l’été dernier… et j’ai peut-être un peu abusé sur la raclette cet hiver. Je tournoie devant le miroir, puis vais me planter devant la caméra de mon ordinateur.

- Alors ? Pas trop mariage ?

- Magnifique !

- Splendide. Gray va peut-être tomber amoureux, en fait.

- N’importe quoi… Je pars là-dessus, vous pensez ?

- Cent pour cent, acquiesce Sylvia.

- T’as pas vraiment d’autres choix, ma chérie. Je pense que toutes tes robes s’entassent sur ton lit. Et t’as plus qu’heure et demie pour finir de te préparer.

- C’était pas à vingt heures ?

- Il y a quarante minutes de route, précisé-je. Gray vient me chercher à sept heures et quart… Merde, je mets quelles chaussures ?!

Je passe mes mains sur mon visage, la frustration me noue l’estomac. Je ne suis pas comme ça, d’habitude. Je m’épanouis dans l’urgence, moi. C’est quand on me donne des objectifs trop lointains que j’angoisse. Là, tout devrait couler de source… Bon, il est possible que la situation soit trop exceptionnelle et instable, et que ça soit ça qui me fasse perdre pieds. Après tout, je ne suis pas à l’abri que Gray m’annonce que je doive me changer en moins de trente secondes s’il s’avère que ma tenue ne convient pas à la soirée. Il y aura beaucoup de personnes de nationalité étrangères, je ne voudrais pas offenser qui que ce soit… Pourquoi faut-il qu’il étudie les langues et civilisations étrangères, lui, aussi !

- OK. Les filles, je vous aime et tout ça, mais il faut que je me concentre et si je vous parle… je vais pas y arriver.

- Pas de soucis, ma chérie.

- Il faut qu’on te laisse aussi, de toute façon. Ma mère va bientôt rentrer des courses, précise Zoé.

- Si tu as besoin d’aide, tu nous envoies un message, d’accord ?

- Merci les filles, bonjour à ta maman Zozo. Passez de belles fêtes, on se retrouve en janvier !

Je coupe la connexion et vérifie l’heure.

17:45. Mes cheveux sont déjà lavés, je n’ai qu’à les styliser, ça devrait me prendre un quart d’heure, sauf s’ils ne sont pas coopératifs. S’il le faut, je sortirais le lisseur, ils ne sont plus à quelques brûlures près.

18:00. Maquillage… ce n’est pas ma tasse de thé, donc il faut plutôt que je compte vingt minutes, voire une demi-heure. J’aimerais pouvoir dire que je n’ai besoin que d’un coup de mascara et de gloss, mais je n’ai dormi que 6 heures ces trois derniers jours à cause de changements de planning à l’agence où je travaille. J’ai donc besoin d’un ravalement de façade complet pour ne pas qu’on pense que je me suis enfuie du Cri de Munch.

18:30. Il me faudra au moins quinze minutes pour me décider sur les chaussures, parce que soyons honnêtes deux minutes : j’ai un problème d’achat compulsif d’escarpins, bottines et toutes leurs petites et grandes sœurs.

19:00. Juste le temps de fourrer le nécessaire dans l’unique véritable sac à main que je possède, et de descendre les sept étages sans ascenseur pour retrouver Gray sur le parking de l’immeuble.

Lorsque je passe la lourde porte de mon immeuble, le froid de décembre me fouette en plein visage. Je croise les bras instinctivement avant de remonter le col de mon manteau. J’ai oublié de prendre une écharpe. Tant pis, je remonte pas juste pour ça, surtout que j’ai déjà mal aux pieds dans mes bottines – que j’ai choisi couleur chair, soit dit en passant. Je scanne le parking du regard, à la recherche de la voiture de Gray. Attendez, il a quoi comme voiture, en fait ? En a-t-il même une ? Je suis presque sûre qu’il va à l’université en métro. Je sors mon téléphone de mon sac. Il est l’heure. Aucun message de sa part. S’il me plante, je le tue.

Alors que je baisse les yeux une nouvelle fois sur l’écran de mon téléphone, une voiture s’arrête juste devant moi. La portière du petit SUV blanc s’ouvre sur le visage taquin de Gray. Je ne le laisse pas me dire quoi que ce soit et m’engouffre dans l’habitacle. Je soupire, sentant dans mon dos la chaleur d’un fauteuil chauffant.

- T’as attendu longtemps ? T’as l’air frigorifié.

- Non, il fait juste moins huit mille ! T’as une sacré voiture, toi…

- C’est celle de mon père. Ceinture ?

Je pose mon sac sur mes genoux et attache la ceinture de sécurité, puis Gray démarre. Il porte son manteau noir, je ne peux donc pas voir quel genre de costume il a mis. Dommage. J’espère qu’on ne sera pas trop dépareillé, sinon ça va faire tâche. Enfin, bref. Je ne devrais pas m’inquiéter des fringues, mais plutôt…

- Bon, Rominet, commencé-je voyant sa mâchoire tiqué à l’entente de ce surnom qu’il traîne depuis maintenant six ans et que je ne laisserais jamais disparaître.

- Quoi, Titi ?

Un sourcil relevé au-dessus de ses yeux moqueurs, il me lance un rapide regard avant de se concentrer de nouveau sur la route. Oui, bon. Si son surnom depuis le lycée est effectivement Rominet du fait de son nom de famille – Sylvester, comme le chat dans le dessin animé, le mien est Titi. Non seulement parce que la similarité avec mon propre prénom est assez flagrante, mais surtout parce que la majorité de l’école nous identifiait à ses personnages à cause de notre relation de l’époque… pour le moins chaotique. Lui comme moi n’aimons pas spécialement ces surnoms, mais lui comme moi ne sommes pas prêt à arrêter de nous en servir – dans l’unique objectif d’agacer l’autre.

- C’est quoi notre histoire, ce soir ? demandé-je finalement. J’espère qu’on n’aura pas un questionnaire à remplir, parce que je sais pas combien de grains de beauté tu as. Et j’ai pas vraiment envie de savoir.

- On ne va pas s’inventer une vie parfaite, t’inquiètes pas. Je connais tes limites de jeu d’actrice ; j’ai encore en mémoire la pièce de théâtre de dernière année.

Je lui lance un regard noir en signe d’avertissement, et il ne s’étend pas sur le sujet – très sensible pour moi.

- La seule chose à retenir est que nous sommes ensemble depuis un an, et que nous envisageons d’emménager ensemble. Je ne me suis pas vraiment étendu sur le sujet, comme je ne savais pas si tu accepterais,

- Donc pour notre rencontre adorable, on reste sur la vérité ? La confrontation en deuxième année au lycée, pendant le cours d’EPS ? Celle où je t’ai laminé à la balle au prisonnier.

- Alors j’étais malade ce jour-là, c’est l’unique raison pour laquelle tu as gagné, OK ?

- Bien sûr, bien sûr. Si ça peut te faire plaisir…

Gray soupire et tourne de nouveau son visage vers moi. Je crois qu’il s’est maquillé, il a l’air de porter du fond de teint et un peu de crayon autour des yeux. Je pense que si ça avait été n’importe quel autre mec de notre âge, j’aurais été surprise, mais pas venant de lui. Il n’a jamais vraiment fait « comme les autres » et vit au fil de ses envies et de ses découvertes. Et puis, c’est pas comme si ça ne lui allait pas. Il est déjà très beau – je ne suis pas de mauvaise foi non plus, je peux reconnaître qu’il est séduisant – mais le maquillage met en avant sa peau blanche et ses traits asiatiques.

Gray est né en Chine, il a été adopté par les Sylvester quand il était bébé. Je crois que c’est pour se rapprocher de ses origines ethniques qu’il s’est lancé dans un doctorat en langue et littérature chinoises. Lui et moi avons une relation aux études très différente ; il se lance dans quelque chose de long et fastidieux, tandis que moi je veux absolument finir ce master en gestion le plus vite possible !

- Il n’y a pas de raison qu’on nous demande trop de choses de toute façon, continue-t-il. Je veux surtout faire bonne impression auprès de mon directeur de thèse… Il est plutôt conservateur ; et venir avec quelqu’un que je ne connais pas, c’est trop dangereux.

- T’es en train de dire que tu m’as demandé à moi parce que tu penses que je te ferais pas honte ? Je ne pensais pas que tu me tenais autant en estime, Rominet !

- S’il te plaît, ne m’appelle pas comme ça devant eux, Lily… gémit-il. Et sache que je te fais confiance… pour une raison qui m’est inconnue, très franchement.

- On a un deal, t’inquiètes pas. Je serais la parfaite petite amie souriante, polie et amoureuse… Même si le concept m’échappe complètement quand il s’agit de toi.

Je le vois lever les yeux au ciel, et esquisse un sourire avant de porter mon attention sur la route éclairée par les phares de la voiture. Un silence agréable s’installe entre nous pour le reste du trajet.


Texte publié par mad.autrice, 3 juin 2025 à 22h25
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