Saloperie de Jardin et sa mascarade de commémoration. Vingt-sept ans que j’attends de savoir quelle fleur va venir rendre mon existence encore plus pourrie. Quelle farce pathétique. J’observe tout ceux nés presque en même temps que moi et je nous trouve tous cons d’attendre notre destin au lieu de le vivre.
À l’écart avec moi, Erwen arbore son sourire narquois habituel. Le seule idiot capable de me supporter depuis l’enfance.
— Fait trop chaud, c’est quand qu’on peut retirer nos chemises là ?
— Calme-toi, vieux. Tu es stressé ou quoi ?
— Non, j’en ai juste marre d’être là.
Un sourire en coin étire ses lèvres alors qu’il secoue la tête devant mon manque de patience. Je secoue ma chemise, ouvre un bouton supplémentaire et inspire profondément.
Un parfum floral attire mon attention et je vois la Sangsue rire au bras de sa meilleure amie. Je me souviens de la Sangsue près de la fontaine, de la panique qui a élu domicile dans son regard sombre. Celle considérée comme une erreur de la nature et pourtant tolérée grâce à son implication dans le Jardin va sûrement encore être bénie des dieux. Voir son rêve de devenir une griffue se réaliser et que tout le monde fasse enfin l’impasse sur sa différence. Ironique, vu son sale caractère et ses poings faciles. Une fleur qui lui irait comme un gant.
Byra avance sur l’estrade et soudain le silence règne. Seul les torches en feu crépitant osent briser le silence de la nuit.
— Enfant de Séviah, bienvenue à la cérémonie de l’Éclosion. Ce soir, les plantes se lieront à vos âmes pour vous complétez et libérez votre plein potentiel.
Son regard se pose sur la Sangsue et j’aperçois la tendresse dont cette femme est pourvue pour la première fois.
— Je sais que vous attendez tous ce jour avec impatience et j’espère que la sève de votre essence se déploiera, solide et vraie, car en elle réside la promesse d'un destin unique et de la beauté inéluctable, même dans la plus puissante des tempêtes.
Le sol vibre sous mes pieds et je ressens le besoin de me tenir droit, défiant quiconque osera s’approcher. Des lumières rouges et jaunes s’échappent de la terre pour envelopper certains de mes camarades. Les bleus et les verts suivent.
Une lumière touche la Sangsue. Un putain de violet intense l’enveloppe. Un Velours d’Orage. Jamais j’aurais cru cette brute couverte d’une fleur si innocente et pourtant puissante.
Impossible de raté la lueur de déception dans ses yeux. J’aimerais m’en réjouir et pourtant… La détermination hargneuse qui s’échappe d’elle m’en empêche. Merde, elle va être encore pire qu’avant.
Soudain, la lumière m’enveloppe. Mon aura sombre, violet profond tirant sur le noir, se révèle. Une Nuit d’Épine. Les murmures craintifs commencent. Ils voulaient une raison de me blâmer de mon comportement, la voici. Forcément que ces saloperies de racines n’allaient pas me facilité la vie, leur but est de m’emmerder jusqu’à ma mort et je l’ai compris depuis bien longtemps.
Je me tourne vers Erwen dont le rouge me vrille les yeux, une Coeur de Feu, parfait pour l’impulsif qu’il est. Je ne manque pas son regard surpris sur ma couleur et son putain de clin d’œil qui me dit que l’avenir s’annonce davantage amusant à présent.
— Vieux, c’est exactement ce qu’il nous fallait.
— Parle pour toi, grogné-je.
Les couleurs virevoltent autour des jeunes adultes bénis qui se réjouissent pour la plupart d’avoir trouvé leurs fleurs, pour d’autres, ce n’est qu’un puits de larmes qui les avalent. Preuve que cette saloperie de Jardin est bien déconnant.
Un silence tendu s’installe, coupé seulement par les chuchotements craintifs qui suivent la révélation de ce semi-échec. L’atmosphère joyeuse de la cérémonie s’est étrangement refroidie.
Byra reprend la parole, sa voix plus grave qu’auparavant :
— Mais la sève n’est pas la seule essence dont nous avons besoin. Avec elle, nos racines ont besoin de soutien, de chaleur et de force pour nous rendre meilleurs. Les fleurs se lient pour nous permettre d’accéder à l'harmonie et à la lumière que nous ne pouvons trouver seuls.
Une nouvelle vague de chaleur émane du centre de la clairière. Des fils de lumière commencent à se former, reliant les auras. Des fils aux couleurs douces, harmonieuses, se tendent entre les jeunes. Des sourires soulagés apparaissent sur les visages.
Un fil vert foncé, solide et rassurant, se tend de la Liane Captive du blondinet pour se lier au Velours d’Orage de la Sangsue. Le lien attendu. La communauté respire un peu.
Erwen reste à mes cotés et son rouge ne trouve pas d’âme à qui se lier. Une pointe de dégoût s’insinue en moi alors que les couleurs s’affaiblissent.
Soudain, alors que la nuit allait nous engloutir, un autre fil émane du Velours d’Orage cette fois. Un fil puissant, pulsatile, d’un violet éclatant strié de noir. Il se tortille dans l’air, ignorant l’obscurité ambiante, et se dirige droit sur mon aura de Nuit d’Épine.
Un nouveau murmure d’horreur parcourt la foule. Ce n’est pas un lien comme les autres. Il vibre d’une énergie… dérangeante. Plusieurs personnes reculent instinctivement.
Je sens une putain d’attraction, une force étrange qui me tire vers cette obscurité qui émane d’elle. Mon regard se fixe sur la Sangsue. Son visage est crispé, ses yeux noirs rivés sur le fil qui se forme entre nous. Il y a une intensité brute dans son regard, une putain de surprise mêlée à… de la colère ?
À côté de moi, Erwen, toujours auréolé de son rouge Cœur de Feu, observe la scène avec une incrédulité amusée.
Le fil sombre atteint mon aura et s’y enroule, une brûlure froide qui me glace jusqu’aux os. Putain de merde.
La Sangsue détourne le regard, se raccrochant au bras du blondinet comme à une bouée alors que la panique vibre en elle.
Byra observe la scène, son visage enfin trahissant une profonde préoccupation. Ses yeux verts passent de notre lien improbable à la marque sur le poignet de la Sangsue. On dirait qu’elle voit quelque chose que les autres ignorent.
Le silence est lourd, chargé de questions et d’une tension palpable. Son Velours d’Orage de malheur est lié à la fois à la lumière et à l’ombre. Mon avenir, je le sens, vient de prendre un putain de tournant inattendu.
Je me tourne vers Erwen qui ricane, un éclair de malice dans ses yeux noisettes :
— Bienvenue au club des emmerdés, Phélyx. On dirait que la Sainte-Nitouche a un côté obscur qu’elle ignorait.
Putain de Sangsue. Qu’est-ce que ce bordel signifie ?
— T’es dans la merde, vieux, continue-t-il.
— Je le savais que cette Sangsue puait le malheur, puis fallait que ça soit pour ma gueule, hein.
J’aperçois soudain l’air un peu fade de mon ami et m’approche de lui :
— C’est histoire de lien, c’est de la merde. T’prend pas la tête pour ses conneries, t’as forcément quelqu’un qui t’attends…
— Au cas où tu le saurais pas, le temps entre chaque générations de fleurs s’allonge… Si c’est pour qu’elle arrive et que j’ai cinquante piges, ça craint.
Les paroles d’Erwen résonnent en moi, une putain de vérité amère. Cinquante piges pour une moitié ? L’idée me donne envie de gerber. Je lève les yeux, cherchant la Sangsue dans la foule.
Elle est agrippée au bras du blondinet, leurs deux auras – le violet brillant et le vert insipide – étrangement discordantes à présent que cette putain de corde sombre les relie aussi à moi. Elle lui parle, la tête penchée, mais son regard glisse sans cesse vers le lien qui nous unit et je sens qu’elle se retient de laisser son regard parcourir entièrement le lien pour venir jusqu’à moi.
Il lui répond, un sourire crispé sur ses lèvres de saint-nitouche. Je parie qu’il se demande aussi quelle putain de créature s’est accrochée à leur idylle. Bien fait pour lui. Qu’il goûte un peu de cette saloperie d’ombre qui me suit partout.
— On attendra pas cinquante ans, je reprends. D’autres n’ont pas trouvé non plus, ça veux pas dire que c’est mort.
Erwen écarquille les yeux :
— Depuis quand tu connais l’optimisme toi ?
— Depuis que mon meilleur pote est dans la merde et que je vais devoir l’en sortir.
— Je crois que t ’as des problèmes plus urgents à régler…
À peine finit-il sa phrase qu’un poing s’écrase sur mon visage :
— Qu’est-ce que tu as encore été pourrir avec ton énergie malsaine ? Tu peux pas la lâcher un peu ? Ça t’amuses de la faire souffrir ?
— J’ai rien demandé moi !
Mon poing atterri bruyamment sur son nez avant qu’un Ancien ne vienne nous séparer.
— Ne l’approche pas ! menace Lysandro.
— Sinon quoi ?
— Je te tuerai !
— J’ai hâte de voir ça.
Erwen m’éloigne de lui tandis que je balaie la foule du regard, cherchant la responsable de cette rage. Mes yeux s’arrêtent sur Byra. Elle observe Flora, son visage est plus sombre que je ne l’ai jamais vu. Ses putains d’yeux verts fixés sur le lien qui nous unit, une expression de profonde préoccupation.
Qu’est-ce qu’elle sait ? Qu’est-ce que cette vieille sorcière a toujours caché sous son air solennel ? Il y a quelque chose qui cloche avec ce Jardin, je le sens depuis des années. Cette foutue cérémonie ratée en est la preuve la plus éclatante.
La douleur lancinante dans ma mâchoire me rappelle la putain de rage du blondinet. Rage justifiée, sans doute. Il voit son petit monde parfait se fissurer avec cette putain de connexion. Qu’il souffre un peu. Ça ne fait que commencer.
Erwen me tire en arrière, sa main sur mon bras. Son visage est étonnamment sérieux.
— Laisse tomber, Phélyx. Tu ne vas rien arranger.
Arranger quoi ? Ce putain de gâchis qu’est ma vie ? Ce lien contre nature avec la Sangsue ?
Je me dégage de sa prise d’un coup sec. Mes yeux restent fixés sur Flora. Elle regarde Lysandro, elle repousse sa main d’un geste sec et son regard sombre glisse vers moi par intermittence. Je vois de la peur, bien sûr. Mais aussi… une putain d’hésitation. Comme si une part d’elle était aussi prisonnière de cette saloperie de corde invisible.
Le chant du Jardin reprend, plus insistant, comme pour noyer les tensions. Des paroles mielleuses sur l’union et le destin. Quelle putain de farce.
Je sens un malaise grandir en moi. Cette foutue connexion… elle est plus étrange que je ne le pensais. Ce n’est pas juste une corde sombre. Il y a… une putain de résonance. Une vibration subtile qui me parcourt, désagréable et intrusive. Est-ce que la Sangsue la sent aussi ?
Une pensée sombre me traverse l’esprit. Et si ce lien…
Ridicule. Je dois être plus sonné que je ne le pensais avec ce coup de poing.
Erwen me tape sur l’épaule.
— On se casse ?
J’hoche la tête, incapable de parler.
Ensemble, nous nous éloignons de la foule, laissant derrière nous le chant mielleux du Jardin et la présence obsédante de Flora Velours d’Orage.
Nous atteignons les abords du village, là où les ombres des bâtiments commencent à s’allonger sous la lumière mourante des lanternes florales. Je m’arrête, le dos appuyé contre un mur de pierre froid, et ferme les yeux.
Putain de merde.
Qu’est-ce qui vient de se passer ? Ce lien… cette putain de corde sombre qui me relie à elle… c’était… inattendu.
Je rouvre les yeux, fixant le vide. Je dois réfléchir. Comprendre cette merde. Trouver un moyen de… de quoi ? De rompre ça ? Est-ce même possible ?
— Arrête de trop réfléchir, commence Erwen, tu dois respirer, te laisse pas bouffer par ça.
Une agitation étrange me prend. Un besoin irrationnel… de comprendre. De sentir à nouveau cette putain de résonance, mais sans la proximité suffocante de cette cérémonie. Un écho de cette saloperie de corde sombre qui vibre en moi.
— Je dois…
Les mots meurent dans ma gorge. Je ne sais pas ce que je dois faire. M’éloigner. C’était le plan. Putain, c’était la seule chose sensée à faire.
Erwen me regarde, une question muette dans ses yeux.
— Tout va bien, vieux ? T’as une drôle de gueule.
Je secoue la tête, incapable de formuler une réponse cohérente. Mon esprit est un champ de bataille entre la raison qui hurle de fuir et cette putain de curiosité lancinante.
Sans un mot, je me remets en mouvement. Pas directement vers ma demeure. Je marche sans but précis, m’éloignant des lumières de la place. J’ai besoin d’espace. D’air. De comprendre cette putain de merde sans la présence irritante de la Sangsue.
Erwen soupire et me suit, sans poser d’autres questions. Il sait que quand mon esprit est une tempête, il vaut mieux me laisser la traverser seul. Pour l’instant, mon instinct me guide loin d’elle. La réflexion, aussi tordue soit-elle, doit précéder toute autre putain d’action.
Nous entrons dans le bar d’Elandro et celui-ci m’apporte immédiatement un shot d’Ombre Tranquille en lançant :
— T’es dans une sacré merde.
— Merci, j’en avais pas encore assez conscience.
J’avale le verre d’une traite alors que nous nous installons à une table.
— Aidez-moi à trouver une solution. Il doit y avoir un moyen de rompre ce lien.
Erwen se gratte le menton, son sourire s’effaçant peu à peu.
— Je sais pas, Phélyx. Les liens du Jardin, c’est pas vraiment ma spécialité. Mais je doute qu’on puisse les rompre comme ça. C’est censé être sacré, indestructible, tout ça.
— C’est de la merde, je te dis. Il doit y avoir une faille, un moyen de contourner cette putain de magie.
— Peut-être, concède Erwen. Mais ça va pas être facile. Et si on essaie de le rompre de force, on risque de se faire très mal.
— T’es sûr de vouloir faire ça, Phélyx ? demande Elandro. Les liens du Jardin, c’est pas des branches que tu coupes avec un sécateur.
— Je m’en fous. Je veux juste me débarrasser de ce putain de lien.
— Pourquoi ? Tu as peur de ce qu’elle pourrait te faire ressentir ?
— La ferme Elandro ! Toi t’es heureux avec ta Larme de Lune, t’as vu le carnage que c’est quand on est ensemble avec la Sangsue ? Même un volcan en éruption fait moins de dégât que nous…
— Elandro n’a pas tort, reprend Erwen. si t’en veux pas de la Sainte, moi je ne serais pas contre.
— Ne.la.touche.pas.
— C’est qu’il est possessif, se moque-t-il.
Agacé, je passe une main sur mon visage. Putain de mystères. Putain de Jardin. Et surtout, putain de Sangsue.
Je serre les poings. Ce n’est que le début. La réponse, je le sais au fond de moi, est probablement aussi sombre et tordue que ma propre putain d’existence. Et je vais devoir la trouver. Que ça me plaise ou non.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3143 histoires publiées 1387 membres inscrits Notre membre le plus récent est Thigat |