Résultat convaincant : 8 h 31 avec 621 points. Une autre grille de mots croisés brillamment réussie. Joseph-Arthur a vaincu Michel Hannequart une autre fois. Il faut bien passer le temps. Dix minutes plus tard, il a regardé tous les clips de chats sur Facebook. C'est à ce moment précis que ses yeux sont attirés par la page de Marie Moipas qui, pour la modique somme de 50 $ par mois, promet de faire de ses abonnés des romanciers à succès. Un rêve refoulé. Pas n'importe quel écrivain, non. Joseph-Arthur rêve d'un genre nouveau, un genre absurde. Ses tentatives seraient pour le moins déroutantes. Des poèmes sur des chaussettes orphelines, des romans où les arbres parleraient en alexandrins inversés, des pièces de théâtre avec des dialogues entièrement composés d'onomatopées d'animaux. Ses amies le regarderaient avec un mélange d'amusement et d'inquiétude. Son éditeur, après avoir lu un manuscrit intitulé "La métaphysique du grille-pain", lui suggérerait gentiment de se concentrer sur ses rapports trimestriels. Mais il persisterait, convaincu que le non-sens était la clé d'une vérité profonde, une vérité que seul lui, l'incompris génie de l'absurde, pouvait déchiffrer. Un rêve qui prend une pause quand Luney, en se retournant, rabat l'écran de son ordinateur.

Rapidement, Joseph-Arthur retrouve la page de Marie Moipas qui vante le succès mirobolant d'Hector qui avait suivi ses conseils.

Hector, un collectionneur notoire de bouchons de liège chantants, atteignit l'âge vénérable de 55 ans avec l'ambition soudaine de devenir écrivain. Pas un écrivain de romans à succès ou de poésie lyrique, non. Hector aspirait à immortaliser les péripéties existentielles de son hamster albinos, Gontran, dans une saga épique en alexandrins.

Son bureau, autrefois sanctuaire de ses précieux bouchons, se transforma en un chaos indescriptible de plumes d'oie borgnes, de rouleaux de parchemin tachés de jus de betterave et d'une machine à écrire alimentée par des cacahuètes. Sa muse ? Une figurine de gnome de jardin qu'il avait baptisée Gertrude. Gertrude, perchée sur une pile de dictionnaires obsolètes, semblait approuver chaque mot absurde qu'Hector tapotait avec ses doigts maladroits.

Ses tentatives initiales furent… disons, uniques. Il commença un poème intitulé "Ode à une chaussette orpheline trouvée sur l'autoroute", qu'il abandonna après avoir réalisé que les chaussettes n'avaient probablement pas de sentiments complexes. Ensuite, il se lança dans un roman policier où le détective était un artichaut parlant et la victime, une théière mélomane. Ce projet fut mis de côté lorsqu'Hector confondit son encre avec de la sauce Worcestershire.

Finalement, après avoir consommé une quantité alarmante de tisane à la réglisse et avoir eu une conversation philosophique intense avec un pigeon voyageur nommé Bernard, l'illumination frappa. Hector écrirait sur ce qu'il connaissait le mieux : l'absurdité de la vie elle-même.

Son premier livre, "Les méditations d'un bouchon de liège sur l'existence", devint un succès retentissant dans le cercle très restreint des excentriques et des insomniaques. Les critiques le qualifièrent de "chef-d'œuvre de non-sens organisé" et de "triomphe de l'incohérence poétique".

Ainsi, à 55 ans, Hector, l'ancien collectionneur de bouchons de liège chantants, devint un écrivain acclamé (du moins par sa voisine acariâtre et le facteur distrait). Son histoire prouve qu'il n'est jamais trop tard pour embrasser son étrange passion et la transformer en quelque chose d'encore plus étrange.

Si Hector a réussi à devenir célèbre, Joseph-Arthur est sûr qu'il le peut aussi. Demain, il en parlera à ses amies. Pendant qu'il rêvasse à sa carrière littéraire, Natou, avec une curiosité insatiable, explore les complexités du web. Elle s'efforce de déchiffrer les arcanes numériques, ces mécanismes obscurs qui régissent le fonctionnement d'internet. Son intérêt se porte particulièrement sur les algorithmes, ces séquences d'instructions qui orchestrent l'information, influencent nos recherches et façonnent notre expérience en ligne. Comprendre leur logique est devenu une obsession pour Natou, désireuse de percer les secrets de cette toile mondiale et de naviguer avec aisance dans son architecture sophistiquée. Pas question de se laisser distancer par les pirates du web. Elle profite donc de son congé pour travailler sur de nouveaux programmes anti-virus de son cru. Elle cherche particulièrement à créer un algorithme afin de dénicher tous les pervers sexuels qui cherchent à attirer de jeunes victimes dans leur toile. Un retour aux sources pour celle qui, à ses débuts, débusquait des prédateurs sexuels auprès de jeunes autistes.

Natou, à défaut d'avoir été reconnue par son père est reconnue par ses pairs comme une informaticienne hors-pair tout en étant socialement maladroite. Son cercle d'amis remonte à l'école primaire et se résume à Joseph-Arthur et Rosita. Elle en a vite fait le tour. Ils partagent tout, même leur travail et leur triplex.

Un texto de Joseph-Arthur lui rappelle que demain, il s'organise une surprise-party. Il ne faut pas l'oublier. Surtout, il faut penser au cadeau pour Luney, ce charmant siamois dont elle est la marraine. Presqu'au même moment, Rosita, qui a une intuition parfois surprenante, a le nez dans son marc de café. Elle y voit l'avenir. Elle prend du marc très sec qu'elle délaye dans de l'eau tiède et verse cette mixture sur une assiette bien blanche, en ayant soin de remuer au fur et à mesure qu'elle verse, de manière à égaliser la couche sur toute la surface de l'assiette. Elle égoutte doucement. Il ne reste alors que le marc de café qui forme une multitude de dessins bizarres. La lecture commence par une étude de ces dessins. Elle voit des figures formées par les grains et leur donne des significations connues d'elle seule. Parfois elle en partage le sens pendant que ses amis boivent leur café.

On sait aussi que Rosita pratique l'écriture automatique qui lui permet de noter ses visions qui s'avèrent toujours imprécises, souvent erronées mais toujours rigolotes. Elle a prévu à plusieurs reprises la fin du monde mais en reportant toujours la date fatidique au lendemain de l'Apocalypse. Elle a aussi prédit et maudit la réélection de Donald Trump au lendemain de sa deuxième victoire. Ce midi, elle a la prémonition que demain elle devra fêter son ami Joseph-Arthur et qu'elle oubliera d'apporter à sa filleule Jonah, ses gâteries félines, un présent que la petite chatte apprécie particulièrement. Une spécialiste du futur qui peine avec le présent. On n'est parfait que dans nos imperfections.